Promesse de vente d'actions: attention au risque de requalification en acte anormal de gestion
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LS AVOCATS,cabinet parisien [1]
Décembre 2022
La vente d’actions d’une société à un prix inférieur à leur valeur vénale ne constitue pas nécessairement un acte anormal de gestion, à condition toutefois que le prix ait été convenu dans l’intérêt de la société.
Toute société a vocation à croître et à augmenter sa valeur économique. Ainsi, lorsqu’une société est à l’aube de son développement, il peut être tentant pour sa maison mère de réserver à ses dirigeants la possibilité d’en acquérir les titres, dans plusieurs années, à un faible prix fixé à l’avance. Pour cette raison, la pratique a vu se développer le recours aux promesses de vente au bénéfice de dirigeants d’entreprises : si la société se développe, la promesse permet d’en acquérir les titres à un prix fixé alors qu’elle n’avait pas encore atteint son potentiel de croissance ; si la société ne se développe pas comme espérée, il n’y a pas d’obligation d’achat.
Si le recours à de telles promesses permet aux dirigeants de réaliser un important bénéfice à moindre risque, l’administration fiscale a toujours la possibilité de requalifier celles-ci en acte anormal de gestion. En effet, si l’administration fiscale n’a pas à se prononcer sur la manière dont les dirigeants gèrent leur entreprise, elle peut toutefois remettre en cause la prise en compte d’une charge ou le refus de percevoir une recette en cas de gestion anormale.
Les conséquences pour l’entreprise peuvent alors s’avérer lourdes : le bénéfice non réalisé par l’entreprise en raison de la vente à bas prix d’actions d’une filiale devra être réintégré dans le calcul du bénéfice imposable à l’impôt sur les sociétés.
En pratique, il n’est pas rare que l’administration tente d’obtenir la requalification de la cession d’un élément d’actif d’une entreprise en acte anormal de gestion lorsque ladite cession a été réalisée à un prix significativement inférieur à la valeur vénale réelle. La jurisprudence retient même qu’en l’absence de justifications apportées par l’entreprise, tout écart de prix significatif entre le prix de vente d’un élément de l’actif immobilisé et sa valeur vénale suffit à caractériser la preuve d’un acte anormal de gestion (CE, 21 décembre 2018, n° 402006). À titre d’exemple, le Conseil d’Etat a récemment considéré que la vente par une société d’un appartement à un prix inférieur de plus de 40 % au prix du marché à son dirigeant constituait un acte anormal de gestion, une telle vente ayant appauvri l’entreprise pour des raisons étrangères à son intérêt.
Si recourir à de telles promesses présente des risques, le Conseil d’Etat a confirmé, dans une décision du 11 mars 2022 (n° 453016) que cela peut néanmoins se justifier.
Dans cette affaire, une société holding avait consenti en 2009 une promesse de vente de 233 964 actions de sa filiale, au prix définitif d’un euro par action, à son dirigeant (en l’espèce, directeur commercial). Deux ans plus tard, en 2011, ledit dirigeant avait ainsi acquis 100 270 actions de la filiale au prix unitaire d’un euro, et les avait revendues le jour même au prix unitaire de 3 838 euros, réalisant en quelques heures un important bénéfice. L’administration fiscale a alors interprété cette cession comme ayant été consenti à un prix anormalement bas, et a par suite réintégré dans les bénéfices de la société, sur le fondement de l’article 38 du code général des impôts, la somme correspondant au gain d’acquisition réalisé par son dirigeant, ladite somme devant bien évidemment entrer dans le calcul de l’impôt sur les sociétés.
La société holding a contesté cette décision devant les tribunaux puis devant la Cour d’appel administrative de Nantes. Tandis que la société expliquait que la promesse de 2009 visait à motiver le directeur commercial à s’impliquer davantage dans le développement de l’entreprise, en lui permettant de profiter directement de la croissance économique de la société, l’administration fiscale et la Cour d’appel de Nantes ont, au contraire, retenu que la promesse de vente consentie en 2009 ne comportait pas de contreparties suffisantes pour la société : le dirigeant n’était pas salarié de l’entreprise et la promesse n’était assortie d’aucune condition en termes de durée de présence dans l’entreprise ou de durée minimale de conservation des titres acquis.
Les juges d’appel, estimant que la société ne démontrait pas que son intérêt était de vendre les titres de sa filiale à un euro en 2011, ont donc confirmé la décision de l’administration (CAA Nantes, 15 avril 2021, n° 19NT02763).
Saisi de la question, le Conseil d’Etat contredit les juges d’appel et rappelle, dans son arrêt du 11 mars 2022, les critères jurisprudentiels permettant de requalifier une telle vente en acte anormal de gestion :
Premièrement, le Conseil d’Etat rappelle qu’il convient d’apprécier l’intérêt de l’entreprise à consentir une telle promesse en se positionnant à la date de la promesse, et non à celle de la cession qui en découle. Ainsi, le Conseil d’Etat censure la décision des juges d’appel qui ont apprécié l’anormalité de l’acte en se plaçant en 2011, sans rechercher si, en consentant la promesse de vente des actions de sa filiale en 2009, la holding y avait trouvé un intérêt.
Deuxièmement, le Conseil d’Etat affirme que la promesse ne constituait pas, en l’espèce, un acte anormal de gestion. En effet, les juges précisent que le fait que le cadre dirigeant bénéficiaire de la promesse de vente ne soit pas salarié n’est pas de nature à écarter l’intérêt de l’entreprise (la société holding pouvant trouver un intérêt au développement de sa filiale). Les juges précisent également que les compétences et l’expérience commerciale du bénéficiaire de la promesse étaient de nature à permettre l’accroissement du chiffre d’affaires de la société. Le Conseil d’Etat en déduit donc que, contrairement aux affirmations de l’administration, la société holding avait trouvé un intérêt à l’opération et la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés auxquelles l’administration l’avait, à tort, assujettie.
Dans cette décision, le Conseil d’Etat s’est montré attentif au contexte juridique et aux conditions contractuelles de la promesse de vente. Si ces éléments n’ont pas été déterminants en l’espèce (les autres critères ayant permis à eux seuls de justifier le recours à une promesse à bas prix), la rédaction de clauses à la charge du bénéficiaire, notamment afin de contractualiser son implication dans le développement de la société, est nécessaire afin de se prémunir contre tout risque de requalification. Le recours à un avocat spécialisé avant d’envisager une telle opération s’avère donc indispensable.