Protection des lanceurs d'alerte: la loi votée le 16 février 2022

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Thierry Vallat, avocat au barreau de Paris
Février2022



Le 16 février 2022 [1], le Sénat a définitivement adopté la proposition de loi visant à renforcer le rôle du Défenseur des droits en matière de signalement d'alerte et celle visant à améliorer la protection des lanceurs d'alerte.


Présentée par le député Sylvain Waserman et plusieurs de ses collègues, la proposition de loi visant à améliorer la protection des lanceurs d'alerte tend, selon ses auteurs, à construire un environnement clair et protecteur pour les lanceurs d'alerte.


Elle contient des dispositions :


  • précisant la définition du lanceur d'alerte et les champs pouvant être concernés par son alerte
  • améliorant la protection des personnes physiques et morales liées au lanceur d'alerte ;
  • permettant de mieux protéger les lanceurs d'alerte des représailles et des procédures baîllons et de renforcer les sanctions contre les représailles visant les lanceurs d'alerte;
  • actant la possibilité pour un agent public de bénéficier des mesures de protection des lanceurs d'alerte.


Depuis plusieurs années, la protection des lanceurs d’alerte est devenue, pour nos sociétés, un véritable marqueur démocratique.


L’émergence des lanceurs d’alerte est une question de droits fondamentaux qui repose sur la liberté d’expression et d’information, mais aussi un fait de société dans notre monde des réseaux sociaux et des nouvelles technologies de l’information, car chaque citoyen qui veut lancer une alerte peut techniquement le faire.


La question qui se pose, au‑delà de l’impact du signalement, porte dès lors sur les conséquences auxquelles ils s’exposent en lançant l’alerte et donc sur la protection que nous devons leur apporter.


En effet, les lanceurs d’alerte représentent un garde‑fou démocratique et citoyen dans nos États de droit, notamment sur des enjeux majeurs comme la lutte contre la corruption, les atteintes à l’environnement, ou les questions de libertés individuelles.


Une protection efficace pour les lanceurs d’alerte et les personnes physiques ou morales qui sont liées à eux est donc essentielle pour permettre leur parole face à un crime ou un délit, à une violation d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, à une violation du droit de l’Union européenne, de la loi ou du règlement, ou à une menace ou un préjudice grave pour l’intérêt général.


Ces personnes prennent un risque personnel et professionnel important qui peut aller jusqu’à altérer gravement leur santé notamment face à des pressions et des intimidations de toutes sortes.


Le Conseil de l’Europe, son Assemblée parlementaire ou encore le Groupe d’États contre la corruption (GRECO) se sont saisis, depuis plusieurs années, de ce sujet pour impulser un changement normatif au sein des différents États membres.


Si la loi n° 2016‑1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique dite « Sapin II » a marqué un tournant dans la protection des lanceurs d’alerte, elle doit, à l’occasion de la transposition de la directive (UE) 2019/1937', être renforcée et tirer toutes les conséquences de l’évolution du droit et des travaux européens.


La directive (UE) 2019/1937 du 25 septembre 2019 permet la création d’un cadre commun pour la protection des lanceurs d’alerte signalant une violation du droit de l’Union européenne. La France a jusqu’à la fin de l’année 2021 pour la transposer.


La loi votée le 16 février 2022 vise à construire un environnement clair et protecteur pour les lanceurs d’alerte et capitalise sur le retour d’expérience du cadre législatif actuel, les avancées de la directive européenne et les rapports de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.


Cet environnement cohérent et équilibré à vocation à devenir un cadre de référence au niveau européen pour la protection des lanceurs d’alerte. Il repose sur :


  • Une définition étendue des lanceurs d’alerte plus adaptée aux réalités et aux enjeux de leur protection.


Un lanceur d’alerte est une personne physique qui signale ou divulgue, sans contrepartie financière directe et de bonne foi, des informations portant sur un crime, un délit, une menace ou un préjudice pour l’intérêt général, une violation ou une tentative de dissimulation d’une violation d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, du droit de l’Union européenne, de la loi ou du règlement.


Lorsque les informations n’ont pas été obtenues dans le cadre des activités professionnelles mentionnées au I de l’article 8, le lanceur d’alerte doit en avoir eu personnellement connaissance.


Les faits, informations et documents, quel que soit leur forme ou leur support, dont la révélation ou la divulgation est interdite par les dispositions relatives au secret de la défense nationale, au secret médical, au secret des délibérations judiciaires, au secret de l’enquête ou de l’instruction judiciaires ou au secret professionnel de l’avocat sont exclus du régime de l’alerte défini au présent chapitre.


  • Des canaux internes et externes clarifiés, dont le choix est libre, avec des exigences de délais vis‑à‑vis du lanceur d’alerte qui seront formalisés par décret
  • Un renforcement conséquent de la protection des lanceurs d’alerte avec des sanctions pénales et/ou civiles à l’encontre de ceux qui divulguent leur identité, visent à étouffer le signalement ou à ensevelir les lanceurs d’alerte sous des procédures abusives.
  • Une meilleure reconnaissance et protection de celles et ceux qui accompagnent le lanceur d’alerte et peuvent ainsi se retrouver exposés parce qu’ils ont joué un rôle actif dans le signalement de l’alerte.
  • De nouveaux outils à disposition de la justice pour faciliter la défense des droits des lanceurs d’alerte ainsi que leur reconversion professionnelle si elle est nécessaire.


La France dispose donc désormais d’un système de protection des lanceurs d’alerte cohérent, complet, performant et à même de donner aux lanceurs d’alerte leur juste place dans notre démocratie.


Nous reviendrons plus complètement sur le détail du nouveau régime des lanceurs d'alerte une fois la loi publiée.