Protection des personnes placées en garde à vue ou mises en examen: vers un nouveau délit de communication d'information des noms des GAV ? (fr)
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Thierry Vallat, Avocat au Barreau de Paris
juillet 2018
Une proposition de loi N° 562 déposée par 63 sénateurs et visant à renforcer la protection des personnes placées en garde à vue ou mises en examen, vient d'être envoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement du Sénat senat.fr/leg/ppl17-562.html … [1]
Elle part du postulat que bien qu'il existe un principe général de présomption d'innocence, l'opinion publique aurait tendance à considérer comme coupable une personne placée en garde à vue ou mise en examen, alors qu'elle n'a pas encore été jugée.
Elle rappelle que l'affaire d'Outreau est restée dans les mémoires et que tous avons en tête l'acquittement de treize personnes accusées à tort de pédophilie, humiliées, enfermées pendant des années à l'issue de deux procès à Saint-Omer et à Paris.
Leur vie a basculé, rien ne sera jamais plus comme avant.
Quel que soit l'aspect symbolique de cette affaire, il en est beaucoup d'autres qui pourraient être citées avec des conséquences tout autant dramatiques pour les personnes, leur famille ou leur environnement professionnel.
Il ne s'agit pas, selon les sénateurs, de remettre en cause le système judiciaire, mais de renforcer davantage la protection des personnes placées en garde à vue ou mises en examen. Celles-ci sont trop souvent soumises à la vindicte, frappées d'une sorte de pré-condamnation, alors qu'elles n'ont pas encore été jugées pour les faits qui leur sont reprochés.
L'article 9-1 du code civil relatif à la présomption d'innocence et son corollaire, l'article 11 du code de procédure pénale relatif au secret de la procédure au cours de l'enquête et de l'instruction, ne protègeraient pas suffisamment les personnes placées en garde à vue ou mises en examen.
Rappelons que l'article 9-1 du code civil prévoit que chacun a droit au respect de la présomption d'innocence.
« Lorsqu'une personne est, avant toute condamnation, présentée publiquement comme étant coupable de faits faisant l'objet d'une enquête ou d'une instruction judiciaire, le juge peut, même en référé, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que l'insertion d'une rectification ou la diffusion d'un communiqué, aux fins de faire cesser l'atteinte à la présomption d'innocence, et ce aux frais de la personne, physique ou morale, responsable de cette atteinte. »
L'article 9-1 du code civil donne aujourd'hui le choix au juge de décider en cas de violation du secret de l'enquête ou de l'instruction d'ordonner ou non toutes mesures permettant de faire cesser l'atteinte à la présomption d'innocence, en ordonnant par exemple que soient rectifiés les propos tenus par leurs auteurs.
Certes, pour la proposition de loi, le juge doit garder tout pouvoir d'appréciation sur la constatation de la violation de la présomption d'innocence, il en va de l'indépendance de la justice.
Il doit pouvoir juger si, compte tenu des circonstances, il y a eu ou non violation du secret de l'enquête ou de l'instruction.
Le juge qui constate une atteinte à la présomption d'innocence doit ordonner, par force de loi, l'insertion d'un rectificatif dans la presse.
Il doit prendre toutes les mesures possibles pour mettre fin à cette violation.
Cette proposition s'inscrirait dans une suite logique de son jugement qui ne le priverait pas de ses pouvoirs, mais affirmerait au contraire son intime conviction et garantirait le respect des droits de la défense.
L'article 1er vise donc à créer un délit qui réprime le fait de communiquer à titre personnel ou professionnel, quel qu'en soit le domaine, sous quelques formes que ce soit, les noms des personnes placées en garde à vue ou mises en examen ainsi que les informations les concernant, avant qu'elles ne soient jugées pour les infractions qui leur sont reprochées. En cas de récidive, les peines seraient doublées.
L'article 2 a pour objet de renforcer la protection des personnes placées en garde à vue ou mises en examen, en imposant au juge qui constate une violation de la présomption d'innocence, de prendre les mesures qui s'imposent pour la faire cesser.
L'article 3 indique les modalités d'insertion d'une rectification ou la diffusion d'un communiqué ordonnées par le juge, par renvoi aux articles 12 et 13 de la loi sur la presse du 29 juillet 1881.
Cette proposition de loi serait donc la suivante:
Article 1er
Après l'article 9-1 du code civil, il est inséré un article 9-2 ainsi rédigé :
« Art. 9-2. - Il est interdit à toute personne à titre personnel ou professionnel, quel qu'en soit le domaine, sous quelques formes que ce soit, de citer le nom ou des informations sur une personne placée en garde à vue ou mise en examen, dès lors que l'affaire pour laquelle elle fait l'objet d'une mise en cause n'a pas encore été jugée.
« Cette infraction est punie de six mois d'emprisonnement et de 10 000 € d'amende. La peine est doublée en cas de récidive. »
Article 2
Le second alinéa de l'article 9-1 du code civil est ainsi modifié :
- 1- Le mot : « peut » est remplacé par le mot : « doit » ;
- 2- Après le mot : « subi », sont insérés les mots : « et du prononcé des peines prévues par la loi ».
Article 3
Après l'article 9-1 du code civil, il est inséré un article 9-3 ainsi rédigé :
« Art. 9-3. - L'insertion d'une rectification ou la diffusion d'un communiqué ordonnée par le juge le seront dans les mêmes conditions que celles prévues aux articles 12 et 13 de la loi du 29 juillet 1881 de la liberté de la presse. »
Aucun calendrier n'a été communiqué à ce jour pour débattre au Parlement de cette proposition qui ne manquera pas de faire débat entre liberté de la presse et droit à l'information et respect de la présomption dinnocence,