Quand la retenue douanière devient une vraie garde a vue.

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Jean Pannier, avocat au barreau de Paris
Docteur en droit
Ancien membre du Conseil de l’Ordre
Août 2019


C’est à n’en pas douter une nouvelle victoire du droit qui découle de la décision du Conseil constitutionnel du 22 septembre 2010 que nous avions commentée dans cette revue. [1] La réforme de l’article 323-1 du code des douanes est intervenue avec la loi n° 2011-392 du 14 avril 2011 complétée par le décret n° 2011-810 du 6 juillet 2011 et une circulaire SG-11-013/SADJAV/BAJ/12.07.11 du ministère de la justice en date du 12 juillet 2011.

Même si le législateur est resté attaché à la terminologie douanière qui demeurera une source de confusion puisque la retenue douanière s’applique aussi aux marchandises « en sureté des pénalités », le pas franchi permet d’éviter les tentations antérieures de la jurisprudence tendant parfois à restreindre les droits des personnes retenues par rapport aux améliorations du régime de la garde à vue . (cf : notre étude précitée) L’avancée la plus sensible est évidemment l’intervention de l’avocat pendant la retenue douanière.

Le nouveau régime de la retenue douanière

Les agents des douanes ne peuvent procéder à l’arrestation et au placement en retenue douanière d’une personne qu’en cas de flagrant délit douanier puni d’une peine d’emprisonnement et lorsque cette mesure est justifiée par les nécessités de l’enquête douanière. Autrement dit, les contraventions douanières ne permettent plus de retenir une personne contre son gré.

Les agents des douanes informent sans délai le procureur de la République de la retenue provisoire. Au cours de la retenue provisoire, la personne est conduite devant l’officier de police judiciaire territorialement compétent ou maintenue à sa disposition. La durée de la retenue provisoire est limitée au temps strictement nécessaire à l’accomplissement de ces diligences, sans pouvoir excéder trois heures à compter de la demande de l’officier de police judiciaire. A l’expiration de ce délai, la personne est laissée libre si elle n’a pu être remise à l’officier de police judiciaire territorialement compétent.

Lorsque la personne retenue est placée en garde à vue au terme de la retenue provisoire, la durée de la retenue provisoire s’impute sur celle de la garde à vue. De même, lorsque la personne retenue fait l’objet d’une retenue douanière dans les conditions prévues aux articles 323-1 à 323-10 du présent code, la durée de la retenue provisoire s’impute sur celle de la retenue douanière.

Les agents des douanes mentionnent, par procès-verbal de constat, dont un double est remis à l’officier de police judiciaire, le jour et l’heure du début et de la fin de la retenue provisoire ; ces mentions figurent également sur le registre mentionné à l’article 323-8. La durée de la retenue douanière ne peut excéder vingt-quatre heures.

Toutefois, la retenue peut être prolongée pour un nouveau délai de vingt-quatre heures au plus, sur autorisation écrite et motivée du procureur de la République, si les nécessités de l’enquête douanière le justifient. L’autorisation est accordée dans les conditions prévues au II de l’article 63 du code de procédure pénale. Dès le début de la retenue douanière, le procureur de la République dans le ressort duquel est constaté le flagrant délit en est informé par tout moyen.

Il est avisé de la qualification des faits qui a été notifiée à la personne. Le procureur de la République peut modifier cette qualification ; dans ce cas, la nouvelle qualification est notifiée à la personne dans les conditions prévues à l’article 323-6 du code des douanes. Cette nouveauté nécessite une formation spécifique des parquets qui pour l’instant n’est pas prévue.

Si la mesure doit être exécutée dans un autre ressort que celui du procureur de la République où l’infraction a été constatée, ce dernier en est informé. Elle s’exécute sous le contrôle du procureur de la République qui assure la sauvegarde des droits reconnus par la loi à la personne retenue. Il peut se transporter sur les lieux pour vérifier les modalités de la retenue et se faire communiquer les procès-verbaux et registres prévus à cet effet.

La personne placée en retenue douanière bénéficie du droit de faire prévenir un proche ou son curateur ou son tuteur, de faire prévenir son employeur, d’être examinée par un médecin et de l’assistance d’un avocat dans les conditions et sous les réserves définies aux articles 63-2 à 63-4-4 du code de procédure pénale. Lorsque la personne placée en retenue douanière est de nationalité étrangère, elle peut faire contacter les autorités consulaires de son pays. Les attributions conférées à l’officier de police judiciaire par les articles 63-2 à 63-3-1,63-4-2 et 63-4-3 du même code sont exercées par un agent des douanes.

La présence de l’avocat est une grande nouveauté en cette matière :

Aux termes de l’art. 63-3-1 du code de procédure pénale : Dès le début de la garde à vue, la personne peut demander à être assistée par un avocat. Si elle n’est pas en mesure d’en désigner un ou si l’avocat choisi ne peut être contacté, elle peut demander qu’il lui en soit commis un d’office par le bâtonnier.

Le bâtonnier ou l’avocat de permanence commis d’office par le bâtonnier est informé de cette demande par tous moyens et sans délai.

L’avocat peut également être désigné par la ou les personnes prévenues en application du premier alinéa de l’article 63-2. Cette désignation doit toutefois être confirmée par la personne.

L’avocat désigné est informé par l’officier de police judiciaire ou, sous le contrôle de celui-ci, par un agent de police judiciaire de la nature et de la date présumée de l’infraction sur laquelle porte l’enquête.

S’il constate un conflit d’intérêts, l’avocat fait demander la désignation d’un autre avocat. En cas de divergence d’appréciation entre l’avocat et l’officier de police judiciaire ou le procureur de la République sur l’existence d’un conflit d’intérêts, l’officier de police judiciaire ou le procureur de la République saisit le bâtonnier qui peut désigner un autre défenseur.

Le procureur de la République, d’office ou saisi par l’officier de police judiciaire ou l’agent de police judiciaire, peut également saisir le bâtonnier afin qu’il soit désigné plusieurs avocats lorsqu’il est nécessaire de procéder à l’audition simultanée de plusieurs personnes placées en garde à vue. Lorsque la personne est retenue pour un délit douanier mentionné au dernier alinéa de l’article 414 ou à l’article 415 du code des douanes ou pour un délit connexe à une infraction mentionnée à l’article 706-73 du code de procédure pénale, l’intervention de l’avocat peut être différée dans les conditions prévues aux sixième à dernier alinéas de l’article 706-88 du même code.

L’avocat désigné dans les conditions prévues à l’article 63-3-1 peut communiquer avec la personne gardée à vue dans des conditions qui garantissent la confidentialité de l’entretien. Il s’agit de l’avocat choisi par la personne retenue ou d’un avocat commis d’office.

La durée de l’entretien ne peut excéder trente minutes mais doit se dérouler hors la présence des agents des douanes et en aucun cas dans la cellule de retenue. A l’issue de chaque entretien, l’avocat peut présenter des observations écrites qui doivent alors être annexées au procès-verbal de retenue.

La personne retenue peut demander à ce que l’avocat assiste aux auditions. Dans ce cas, la première audition, sauf si elle porte uniquement sur les éléments d’identité, ne peut débuter sans la présence de l’avocat avant l’expiration d’un délai de deux heures qui court à compter de l’avis adressé par le service (par télécopie ou par téléphone) à l’avocat de la personne ou à la permanence pénale. Dans l’éventualité où l’avocat ne s’est pas présenté à l’issue de ce délai, les agents des douanes peuvent débuter l’audition, en précisant cette absence dans le procès-verbal.

Si l’avocat se présente à l’expiration du délai précité, alors qu’une audition est en cours, deux situations peuvent se présenter :

  • la personne retenue peut solliciter l’interruption de l’audition afin de s’entretenir avec son avocat pendant 30 minutes. Lors de la reprise de l’audition, l’avocat peut y assister.
  • la personne retenue ne demande pas à s’entretenir avec son avocat. Ce dernier peut assister à l’audition en cours.

Enfin, l’avocat peut, à l’issue de chaque audition à laquelle il assiste, poser des questions qui sont consignées dans le procès-verbal. S’ils estiment que ces questions sont de nature à nuire au bon déroulement de l’enquête ou à la dignité de la personne, les agents des douanes peuvent s’y opposer.

Lorsque la garde à vue fait l’objet d’une prolongation, la personne peut, à sa demande, s’entretenir à nouveau avec un avocat dès le début de la prolongation, dans les conditions et pour la durée prévue aux deux premiers alinéas de l’article 63 du code de procédure pénale.

La personne placée en retenue douanière est immédiatement informée par un agent des douanes, dans les conditions prévues à l’article 63-1 du code de procédure pénale :

1° De son placement en retenue ainsi que de la durée de la mesure et de la prolongation dont celle-ci peut faire l’objet ;

2° De la nature et de la date présumée de l’infraction qu’elle est soupçonnée d’avoir commise ou tenté de commettre ;

3° Du fait qu’elle bénéficie des droits énoncés à l’article 323-5 du présent code ;

4° Du fait qu’elle a le choix, après avoir décliné son identité, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire. Mention de l’information donnée en application du présent article est portée au procès-verbal et émargée par la personne retenue. En cas de refus d’émargement, il en est fait mention.

Les articles 63-5 et 63-6 et le premier alinéa de l’article 63-7 du code de procédure pénale sont applicables en cas de retenue douanière. Ainsi, la garde à vue doit-elle s’exécuter dans des conditions assurant le respect de la dignité de la personne. Seules peuvent être imposées à la personne gardée à vue les mesures de sécurité strictement nécessaires.

Les mesures de sécurité mentionnées à l’article 63-6 du code de procédure pénale sont limitativement énumérées par arrêté du ministre chargé des douanes.

Les mesures de sécurité ayant pour objet de s’assurer que la personne gardée à vue ne détient aucun objet dangereux pour elle-même ou pour autrui sont définies par arrêté de l’autorité ministérielle compétente. Elles ne peuvent consister en une fouille intégrale.

La personne gardée à vue dispose, au cours de son audition, des objets dont le port ou la détention sont nécessaires au respect de sa dignité. L’art. 63-6 du Code de procédure pénale est également applicable en cas de retenue intervenant en application des articles 141-4 , 712-16-3, 716-5 et 803-3 de ce code.

Les attributions conférées à l’officier de police judiciaire par l’article 63-7 du même code sont exercées par un agent des douanes. Le procès-verbal de retenue douanière est rédigé conformément au I de l’article 64 du code de procédure pénale.

Figurent également sur un registre spécial tenu, éventuellement sous forme dématérialisée, dans les locaux de douane susceptibles de recevoir une personne retenue, les mentions prévues au premier alinéa du II du même article 64.

A l’issue de la retenue douanière, le procureur de la République peut ordonner que la personne retenue soit présentée devant lui, un officier de police judiciaire ou un agent des douanes habilité en application de l’article 28-1 du code de procédure pénale ou qu’elle soit remise en liberté.

En cas de flagrant délit douanier commis par un mineur, la retenue douanière se déroule selon les conditions prévues à l’article 4 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante.

Toutes ces précisions ont évidemment une grande importance d’autant qu’elles résultent de la loi elle-même. Elles laissent cependant latent le problème posé par la rédaction du premier alinéa de l’article 323 du code des douanes qui continue à autoriser les agents des autres administrations à constater des infractions douanières comme si nous étions toujours en période de guerre.

La Cour de cassation met les pendules à l’heure de la réforme

Pour apprécier la portée de l’évolution récente, un rapide retour en arrière s’impose.

Le 11 avril 2006, à 10 heures 30, des agents des douanes découvrent des blousons de moto proposés à la vente sous des marques contrefaites dans un magasin exploité par la société Harry D au Perthus (Pyrénées-Orientales) ; à 10 heures 45, ils ont établi, en présence de la gérante et de son époux, un procès-verbal de constat que ceux-ci ont signé.

Par procès-verbal distinct, ils leur ont aussitôt notifié qu’ils étaient mis en retenue douanière et ont entrepris un contrôle physique et documentaire portant sur les marchandises présentes dans les locaux et l’activité de la société ; Ils ont informé le procureur de la République de la retenue des prévenus à 14 heures ; Les prévenus ont été condamnés en première instance.

La cour d’appel de MONTPELLIER, en date du 18 décembre 2008, a infirmé le jugement de première instance, en constatant que le procureur de la République n’a pas été informé immédiatement du placement en rétention douanière des époux ; elle a donc annulé les actes de la procédure douanière et a, en conséquence, relaxé les prévenus des fins de la poursuite ; pour infirmer le jugement, annuler les actes de la procédure douanière, relaxer les prévenus et débouter la partie civile de ses demandes, l’arrêt de la cour retient qu’en l’absence de démonstration de circonstances insurmontables ayant empêché l’information du procureur de la République, il y avait lieu d’annuler la retenue douanière, l’interrogatoire des prévenus et tous les actes subséquents de la procédure établie par les agents des douanes qui en découlent, et, partant, de relaxer la prévenue des fins de la poursuite.

La cour de cassation a censuré cette décision par arrêt du 7 avril 2010 sur le motif que la saisine de la juridiction correctionnelle ne pouvait être affectée par l’annulation de la mesure de retenue, qui n’en était pas le support nécessaire, la cour d’appel, qui n’a pas recherché si les constatations des enquêteurs antérieures à cette mesure ne pouvaient servir de fondement aux poursuites, a méconnu le sens et la portée des textes susvisés et du principe ci-dessus rappelé. [2]

La cour d’appel de Montpellier avait encore rendu une décision protectrice des droits de la défense en confirmant l’annulation d’une procédure douanière par un arrêt du 19 janvier 1910 [3]. La personne retenue n’avait pas été informée de la nature de l’infraction reprochée.

Cette absence d’information, estime la Cour, ne saurait être couverte par le fait que le prévenu aurait eu connaissance de la nature de l’infraction sur laquelle porte l’enquête de gendarmerie du fait de la procédure antérieure de retenue douanière.

«  En effet la procédure de retenue douanière ne porte que sur la seule infraction douanière de circulation irrégulière de marchandise soumise à justificatif d’origine communautaire réputée avoir été importée en contrebande alors que les infractions sur lesquelles porte l’enquête de gendarmerie sont celles de détention, transport et importation illicite de stupéfiants. C’est donc à juste titre que le jugement déféré a prononcé la nullité du procès-verbal de placement en garde à vue du prévenu et, par voie de conséquence, de toute la procédure ultérieure menée par le peloton autoroutier de gendarmerie des chefs d’infractions à la législation sur les stupéfiants ».

Au vu de l’arrêt précité du 7 avril 2010 (2), il était temps qu’intervienne la décision du conseil constitutionnel. Le 31 mai 2011, la chambre criminelle de la Cour de cassation a rendu deux arrêts, publiés au bulletin, qui se réfèrent à l’article 6 § 3 de la Convention européenne des droits de l’homme ; « il se déduit de ce texte, que toute personne, placée en retenue douanière ou en garde à vue, doit, dès le début de ces mesures, être informée de son droit de se taire et, sauf exceptions justifiées par des raisons impérieuses tenant aux circonstances particulières de l’espèce, pouvoir bénéficier, en l’absence de renonciation non équivoque, de l’assistance d’un avocat ; « ..il appartenait à la Cour d’appel, après avoir constaté que les auditions recueillies au cours des mesures de rétention douanière puis de garde à vue étaient irrégulières, d’annuler ces actes puis de procéder ainsi qu’il est prescrit par les articles 174 et 206 du code de procédure pénale, la chambre de l’instruction a méconnu le principe ci-dessus énoncé » [4].

Le deuxième arrêt rappelle dans les mêmes termes le droit à la présence d’un « ..il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure que des agents des douanes exerçant leur droit général de visite ont procédé, lors d’un contrôle routier, à la fouille du véhicule automobile, immatriculé en Lituanie et conduit par M. X..., son propriétaire ; ils ont saisi une quantité importante de résine de cannabis dissimulée dans une cache spécialement aménagée dans le dos de la banquette arrière de ce véhicule ; ils ont également relevé des indices de participation à un trafic de stupéfiants commis en bande organisée, corroborés par l’interpellation, quelques kilomètres plus loin, d’un second automobiliste lituanien ; placé en retenue douanière puis en garde à vue, M. X... a été mis en examen des chefs ci-dessus spécifiés ; …pour écarter l’exception de nullité des procès-verbaux établis dans le cadre de la retenue douanière puis de la garde à vue ainsi que des actes subséquents, présentée par requête du 15 mars 2010 et prise de la violation, par les articles 323 du code des douanes et 63 et suivants du code de procédure pénale, de l’article 6 § 3 de la Convention susvisée, l’arrêt prononce par les motifs repris aux moyens ; en statuant ainsi, alors qu’il lui appartenait, après avoir constaté que les auditions recueillies au cours des mesures de rétention douanière puis de garde à vue étaient irrégulières, d’annuler ces actes puis de procéder ainsi qu’il est prescrit par les articles 174 et 206 du code de procédure pénale, la chambre de l’instruction a méconnu le principe ci-dessus énoncé »[5].

Signalons enfin une des rares décisions rendues en cette matière sur la portée des pouvoirs des agents des douanes lors des interrogatoires : Il se déduit de la combinaison des articles 323-3 et 334 du code des douanes, décide la chambre criminelle, que les agents des douanes peuvent interroger une personne, placée en rétention douanière pour un délit douanier flagrant, mais également sur d’autres infractions douanières. [6]

Références

  1. La retenue douanière en « Question ». Gaz. Pal. 6-7 octobre 2010 p. 10—
  2. Cf. notre Recueil de jurisprudence douanière (1990-2010) Economica 2010, p.304
  3. Montpellier (3ème ch. Corr.) 19 janvier 2010 N° de RG : 09/991 Cf. Légifrance
  4. Cass.crim. 31 mai 2011 N° de pourvoi : 11-80034 c/ chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Rennes 19 nov.2010
  5. Cass.crim. 31 mai 2011 N° de pourvoi : 10-88809 c/ chambre de l’instruction de la cour d’appel de Bordeaux 16 novembre 2010
  6. Cass. crim. 23 mars 2011 N° de pourvoi : 10-85691 c/ Bordeaux 15 juin 2010