Quels moyens opposer à un employeur qui ne lève pas la clause de non-concurrence ?

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Franc Muller, avocat au barreau de Paris [1]
Mai 2024


Même s'il n'existe pas de solution miracle, quelques arguments juridiques ont été retenus par la jurisprudence

Un cruel dilemme

De nombreux salariés négligent l’application d’une clause de non-concurrence inscrite dans leur contrat de travail.

Soit parce qu’ils ne lui ont pas accordé l’importance qu’elle méritait lors de la conclusion du contrat et n’en mesuraient pas justement la portée, soit tout simplement parce qu’ils n’en ont découvert l’existence qu’au moment de la rupture du contrat.

Dans les deux cas, quand un salarié s’apprête à quitter l’entreprise qui l’emploie pour rejoindre une entreprise concurrente ou une autre société opérant dans le même domaine d’activité (donc très souvent visée par la clause de non-concurrence), il se trouve confronté à une difficulté de taille…

Face à l’impossibilité d’informer son employeur de ses futurs projets professionnels, il est souvent pris en tenaille entre l’envie pressante de l’interroger afin de savoir s’il lèvera la clause de non-concurrence, au risque d’éveiller ses soupçons, et l’espoir qu’il la lèvera spontanément afin de ne pas devoir la payer.

Mais le pari est risqué… et il arrive que l’employeur ne libère pas l’intéressé de la clause de non-concurrence, alors que celui-ci a déjà signé un nouveau contrat de travail avec un concurrent pour y occuper un poste plus intéressant et mieux rémunéré.

Il se trouve donc dans une situation où il contrevient à l’obligation de non-concurrence qui lui est faite.

Des solutions qui comportent toujours un risque

Le salarié qui, en connaissance de cause, choisit d’ignorer les prescriptions de la clause de non-concurrence encourt nécessairement un risque qui n’est pas négligeable.

Il peut miser sur le fait que son (ancien) employeur, sans lever la clause de non-concurrence, ne lui paiera pas la contrepartie financière qui est prévue, espérant en être ainsi délié… mais le pari est incertain.

Le scénario tourne à la catastrophe lorsque cet employeur règle à l’intéressé l’indemnité de non-concurrence et découvre quelques temps plus tard (sur les réseaux sociaux) qu’il travaille pour son principal concurrent…

Le contrevenant s’expose inévitablement à subir les représailles de cet employeur, furieux d’avoir été ainsi grugé, et de recevoir une convocation devant le Conseil de Prud’hommes pour se voir condamner à lui payer des dommages intérêts.

Disons-le clairement, dans une telle situation, la solution miracle n’existe pas.

Mais il existe des moyens juridiques qui peuvent être utilement opposés à cet employeur pour espérer qu’il soit débouté de son action.

La remise en cause de l’intérêt légitime de l’entreprise au regard de la liberté du travail du salarié

On se souvient qu’une clause de non-concurrence n’est valable que si elle est indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise.

Cette exigence heurte de front la liberté du travail du salarié lorsque celui-ci soutient que ses perspectives d’emploi se limitaient au secteur d’activité litigieux.

Il faudra pour cela qu’il établisse que sa formation et surtout son expérience professionnelle antérieure, ayant été exclusivement acquise dans ce domaine particulier, il n’avait aucune possibilité de trouver un emploi dans un autre secteur d’activité.

L’argument sera d’autant plus pertinent qu’il justifie avoir accompli l’intégralité de sa carrière dans cette branche et que sa formation professionnelle, ses connaissances et son cursus l’y destinaient.

Un deuxième argument consiste à démontrer que le poste qu’occupait l’intéressé ne justifiait pas la restriction à la liberté du travail qui lui était ainsi imposée, les intérêts légitimes de l’entreprise n’étant en réalité pas menacés au regard des fonctions qu’il exerçait.

La jurisprudence récente en donne une illustration qui peut donner matière à réflexion.

Illustration à travers une décision donnant raison au salarié

Un salarié travaillait pour la société Air France en qualité « d’attaché technico-commercial sédentaire comptoir ».

Son contrat de travail comportait une clause de non-concurrence d’un an, applicable à la France entière, énumérant une longue liste de secteurs d’activité visés par cette limitation.

L’intéressé avait démissionné et avait perçu l’indemnité compensatrice de non-concurrence après avoir exécuté son préavis et quitté l’entreprise.

Jusqu’au jour où l’employeur a découvert que le salarié en avait violé les prévisions…

Il l’avait alors attrait devant la juridiction prud’homale, demandant le remboursement des indemnités qu’il avait réglées, ainsi que sa condamnation au paiement de dommages intérêts.

Le salarié soulevait de son côté la nullité de la clause de non-concurrence, invoquant le caractère disproportionné de cette limitation de son droit de travailler, qui le plaçait concrètement dans l’impossibilité d’exercer une activité conforme à sa formation, à ses connaissances et à son expérience professionnelle.

La Cour d’appel, approuvée par la Chambre sociale de la Cour de cassation, lui donne raison et prononce la nullité de la clause de non-concurrence.

Celle-ci relève que :

Le caractère concurrentiel et mouvant de l’activité, invoqué par l’employeur, ne justifiait pas la restriction à la liberté de travail du salarié prévue par la clause de non-concurrence, excessive au regard de sa qualification de technico-commercial, et fait ainsi ressortir que cette clause, compte tenu des fonctions effectivement exercées par le salarié, n’était pas indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise (Cass. Soc. 22 mai 2024 n° 22-17036 [2] ).

Qu’en était-il alors du remboursement de l’indemnité de non-concurrence perçue par le salarié ?

En cas de nullité de la clause de non-concurrence, le salarié doit-il restituer les sommes qu’il a perçues ?

Le débat prend ici une tournure très juridique.

En droit, lorsqu’un contrat est nul, il ne peut produire aucun effet, de sorte que s’il a été exécuté, les parties doivent être remises dans l’état où elles se trouvaient avant son exécution.

Mais la Haute Juridiction introduit dans cette décision une nuance très subtile, distinguant deux situations.

D’une part, lorsque la clause de non-concurrence est annulée, car ne répondant pas aux exigences légales, alors que le salarié a respecté cette clause de non-concurrence illicite, s’abstenant d’aller travailler pour un concurrent.

Ce salarié, qui a été lésé, peut prétendre au paiement d’une indemnité pour avoir respecté la clause de non-concurrence illicite, et n’a pas à restituer les sommes qu’il avait perçues au titre de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence.

D’autre part, le salarié moins vertueux (comme dans notre affaire), qui a violé la clause de non-concurrence pendant la période au cours de laquelle elle s’est effectivement appliquée (avant que le Juge l’annule), et dont l’employeur rapporte la preuve de cette violation, est traité différemment.

Celui-ci devra rembourser la contrepartie financière dont il a indûment bénéficié à compter de la date à laquelle la violation est établie.

Cette solution avait déjà été amorcée dans une précédente affaire (Cass. Soc. 27 sept. 2017 n° 16-12852[3]).

En clair, il risque fort d’être condamné à restituer les sommes perçues à ce titre jusqu’à la date à laquelle le Juge prononce la nullité de la clause de non-concurrence (c’est à dire, compte-tenu des délais judiciaires jusqu’à son échéance).