Récupérer son permis de conduire en référé (fr)
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Didier Reins, avocat au barreau de Strasbourg
Novembre 2018
Lorsqu’un automobiliste a commis un certain nombre d’infractions, celui-ci risque l’annulation de son permis de conduire.
Celui-ci recevra alors un formulaire dit 48SI qui l’informera de cette invalidation.
L’automobiliste peut déposer un recours pour excès de pouvoir devant le tribunal administratif.
Il lui faudra démontrer, infraction par infraction, l’illégalité des retraits de points et en demander la restitution.
Mais il y a un écueil redoutable : les délais judiciaires.
En effet, le tribunal administratif peut fort bien rendre son jugement au bout de plusieurs mois.
QUESTION : que devra faire cet automobiliste s’il a besoin de son permis de conduire pour des raisons professionnelles ?
Il pourra alors déposer une requête en référé-suspension afin d’obtenir plus rapidement le droit de conduire son véhicule en attendant que le juge se prononce sur le recours pour excès de pouvoir.
Le régime juridique du recours en référé obéit à des conditions strictes, à savoir :
- Des conditions légales c’est à dire posées par la loi ;
- Des conditions jurisprudentielles, c’est à dire posées par les tribunaux.
Les conditions légales
Il existe quatre conditions légales :
- Il faut d’abord déposer un recours pour excès de pouvoir.
- Il faut joindre au recours en référé une copie du recours pour excès de pouvoir.
- Il faut démontrer qu’il y a urgence à suspendre la décision d’annulation du permis de conduire.
- Il faut démontrer que la décision d’annulation du permis de conduire est manifestement illégale.
Le dépôt préalable du recours pour excès de pouvoir
Il n’est pas possible de déposer uniquement une requête en référé.
Il faut d’abord déposer un recours pour excès de pouvoir.
Ceci est logique : Le but de la requête en référé est de demander la suspension de la décision d’invalidation du permis de conduire.
Or, une suspension est temporaire, c’est-à-dire dans l’attente d’une autre décision définitive.
Pour demander la suspension d’une décision, il faut donc préalablement en solliciter l’annulation.
Si cette formalité n’est pas respectée, le recours en référé-suspension est irrecevable.
Le dépôt d’une copie du recours pour excès de pouvoir
Il faut joindre au recours en référé-suspension une copie du recours pour excès de pouvoir.
Là encore, si cette formalité n’est pas respectée, le recours en référé-suspension est irrecevable.
L’article R522-1 du Code de justice administrative énonce:
“À peine d’irrecevabilité, les conclusions tendant à la suspension d’une décision administrative ou de certains de ses effets doivent être présentées par requête distincte de la requête à fin d’annulation ou de réformation et accompagnées d’une copie de cette dernière.”
L’urgence
Le requérant doit démontrer qu’il y a urgence à suspendre la décision 48 SI.
La notion d’urgence est toute relative et dépend du contexte.
Généralement, il y a urgence lorsque le requérant a besoin de son permis de conduire pour des raisons professionnelles.
Exemple : le chauffeur de taxi.
Un chauffeur de taxi dont le permis de conduire est annulé se trouve dans une situation d’urgence.
Autres exemples :
- les ambulanciers ;
- les chauffeurs poids-lourds ;
- plus généralement tous les routiers ;
- les commerciaux et les VRP, les chefs d’entreprise ;
- les conducteurs d’engins de chantier ;
- les livreurs ;
- Etc.
Parfois, la notion d’urgence sera plus discutable pour ceux qui occupent un emploi ”sédentaire”.
Toutefois, la jurisprudence sait faire preuve de souplesse et a reconnu l’urgence pour des personnes au chômage et qui font des formations visant des emplois pour lesquels un permis de conduire sera nécessaire.
Ainsi, le Conseil d’État a fait droit à la requête d’un automobiliste en considérant que la formation professionnelle suivie par ce dernier nécessitait la possession d’un permis.
Le Conseil d’État énonce :
“considérant, d’autre part, qu’il ressort des pièces du dossier que l’exécution de la décision contestée porterait une atteinte grave et immédiate à la situation de Madame A qui est dépourvue d’emploi et qui est inscrite à une formation devant débuter le 2 novembre 2016 et nécessitant la possession d’un permis de conduire.
Que dans ces conditions, la condition d’urgence fixée par l’article L 521-1 du code de justice administrative doit être regardée comme remplie”
Il s’agit là d’une décision réaliste et pragmatique.
L’urgence n’est pas toujours que professionnelle.
La réalité est plus complexe.
Tous les justiciables n’ont pas la même vie.
L’urgence peut donc revêtir plusieurs visages : elle peut aussi être familiale.
Exemple : une mère isolée pourra démontrer que l’utilisation de son véhicule lui est indispensable pour emmener ses enfants à l’école le matin et les rechercher le soir.
L’appréciation de l’urgence doit s’accompagner d’une certaine bienveillance.
Soulignons que le code de justice administrative ne définit pas l’urgence.
Il ne pose donc aucune limite.
Il appartient donc au juge administratif d’apprécier au cas par cas la notion de l’urgence.
La décision d’invalidation du permis de conduire doit être manifestement illégale
Le requérant doit démontrer que la décision attaquée est manifestement illégale.
Pour cela, les arguments listés dans le recours pour excès de pouvoir pourront être repris.
Rappelons en effet que le recours pour excès de pouvoir a pour but de faire annuler la décision 48 SI.
L’automobiliste reprendra, infraction par infraction, telles que celles-ci figurent dans le formulaire 48SI, pour démontrer que, selon la procédure suivie, les retraits de points sont illégaux.
Il s’agit là d’une démonstration extrêmement technique.
Il faut donc avoir une connaissance accrue de la jurisprudence en la matière.
Au stade de la requête en référé-suspension, il faut donc insister sur les arguments indiscutables développés dans le recours pour excès de pouvoir.
Les conditions posées par les tribunaux
Les tribunaux ont rajouté des conditions touchant au comportement de l’automobiliste.
Ces conditions ne sont pas appréciées de la même manière : elles varient d’un tribunal à l’autre.
Le juge administratif va se livrer à une appréciation, subjective, de la dangerosité du requérant.
Il appartiendra donc à l’automobiliste de produire tout élément démontrant qu’il n’est pas dangereux au regard des impératifs de la sécurité routière.
Pour cela, deux critères vont entrer en ligne de compte :
- La nature des infractions commises ;
- Le nombre des infractions commises.
La lecture du relevé intégral d’information de l’automobiliste va être indispensable.
La nature des infractions commises
Le juge administratif est nécessairement sensible aux impératifs de la sécurité routière.
Celui-ci regardera plus sévèrement l’automobiliste qui a commis des infractions graves par rapport à celui qui a commis de petits délits .
Exemple 1 : la conduite d’un véhicule en état d’ébriété ou sous l’emprise de produits stupéfiants.
Exemple 2 : les délits de grande vitesse.
Rappelons que le juge administratif aura sur ces sujets sa propre conviction.
Il n’existe pas d’unicité de la jurisprudence en ce domaine.
Ce qui paraîtra très grave pour l’un le sera moins pour un autre.
Il arrive donc que sur des dossiers identiques, l’on ait des décisions différentes.
Le tribunal administratif ne juge théoriquement pas de la gravité de l’infraction commise par l’automobiliste.
Il doit en principe répondre à une seule question : y a-t-il urgence à suspendre la décision 48SI ?
La nécessité de lutter contre l’insécurité routière, qui est un objectif noble.
Mais la lutte contre l’insécurité routière n’est pas un critère de l’urgence.
Il s’agirait sinon d’une 3ème condition non posée par l’article L 521-1 du Code de Justice Administrative.
Certains tribunaux ont affiché une véritable clémence pour les automobilistes dont la dangerosité pouvait être dénoncée.
Ordonnance du 6 mars 2008, Tribunal Administratif de Versailles, FORQUES / Ministre de l’Intérieur.
” Contrairement à ce que soutient le Ministre de l’Intérieur, en dépit de la gravité des infractions commises par le requérant les 5 octobre 2005 et 13 octobre 2006, dont la 2nde est à l’origine de la perte de quatre points, la suspension de cette décision n’est pas inconciliable avec les exigences de la sécurité routière ;
Que, dans ces conditions, la condition d’urgence est remplie”.
L’intérêt collectif est assuré par les juridictions pénales.
Le juge administratif n’est pas l’ultime stade de sanction d’un comportement répréhensible.
Il est le juge de l’acte administratif, pas celui du comportement du requérant qui a déjà été sanctionné par le juge pénal.
Pour bien comprendre les arcanes de ce labyrinthe judiciaire, nous vous invitons à lire notre article spécifique sur CE LIEN [1]
Il n’appartiendra donc pas théoriquement au juge des référés de se pencher sur la nature des infractions, mais uniquement sur l’urgence qu’il y a à suspendre la décision attaquée.
Le juge des référés du Tribunal administratif de Strasbourg a eu l’occasion de confirmer cela dans une affaire qui ne laissait que peu d’espoir à l’automobiliste.
Ce dernier avait perdu l’ensemble de ses points en commettant des infractions graves : conduite en état d’ébriété à deux reprises avec tentative de fuite… Il faut le faire !
Ce conducteur pouvait s’attendre à un accueil glacial devant la juridiction administrative.
Celui-ci pouvait légitimement penser que son recours serait rejeté eu égard à sa dangerosité .
Pour autant, le magistrat a fait une stricte application des règles de droit.
Il s’est refusé de rajouter à l’article L 521-1 du code de justice administrative une condition que celui-ci ne posait pas.
La décision d’invalidation du permis de conduire de cet automobiliste a été suspendue en référé.
Ultérieurement, la décision d’invalidation a été définitivement annulée par le tribunal.
Voir ainsi Tribunal Administratif de Strasbourg, Pichon / Ministre de l’intérieur :
“Considérant que M. P. qui exerce la profession de tuyauteur au sein de la société X et qui est tenu, par le contrat de travail qui le lie à son employeur, de disposer de son permis de conduire sous peine de licenciement, justifie de l’existence de la situation d’urgence.”
Cela étant, le critère de la dangerosité de l’automobiliste, s’il ne se retrouve pas expressément dans la loi, a forcé la porte des tribunaux.
De plus en plus de juridictions l’intègrent dans le corps de leurs décisions pour accueillir ou non la requête de l’automobiliste.
Le nombre des infractions
Là encore, l’appréciation du juge va être d’une importance capitale.
Le nombre d’infractions commises par l’automobiliste va s’apprécier sur la durée.
Exemple : un nombre élevé d’infractions commises sur une courte durée sera évalué avec plus de sévérité que le fait de commettre 12 infractions à un point sur une longue durée.
Mais il ne faut pas oublier que tout est affaire de corde sensible…
Donc il ne faut pas hésiter, en fonction de chaque dossier, d’insister sur l’absence de dangerosité du requérant en s’appuyant soit sur la nature des infractions commises, soit sur leur nombre.
Il faut donc savoir préparer un dossier :
- L’urgence se démontrera en produisant au tribunal tous les éléments professionnels et personnels du requérant démontrant qu’il doit utiliser son véhicule chaque jour et que la privation de son permis de conduire entraînerait pour lui des conséquences préjudiciables incompatibles avec les impératifs louables voulus par la sécurité routière.
- L’absence de toute dangerosité se déduira d’une lecture forcément partisane du relevé d’information intégral.
Conclusions
Le référé-suspension répond à des conditions que le requérant doit toutes remplir.
Il ne s’agit pas d’un parcours d’obstacles, mais de la bonne tenue d’un dossier.
Cela est d’autant plus exact que le contentieux du permis de conduire a connu un essor fulgurant ces dernières années.
Les juridictions administratives sont submergées de recours.
Il est donc normal qu’une seule règle prévaut : c’est le but des conditions légales.
Dans le même temps, le grand nombre de recours montre qu’il existe un vrai problème comportemental de la part de certains automobilistes.
Il est donc normal que les magistrats viennent au secours des impératifs défendus par la sécurité routière.
C’est l’objectif visé par les conditions jurisprudentielles.
L’essentiel sera de trouver le juste équilibre entre les deux.