Rappel utile en ces temps agités : la force majeure financière n'existe pas

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.
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Par Louis Thibierge
Agrégé des Facultés de Droit
Professeur à l’Université d’Aix-Marseille
Membre du Centre de Droit Économique
Directeur du Master 2 Recherche Droit Économique
Directeur du DESU Economic Law
Avocat au Barreau de Paris


CA Paris, pôle 1 ch. 2, 2 juin 2022, n° 21/19440

Si la Cour de cassation ne l’a à notre connaissance affirmé qu’une fois (Cass. com., 16 septembre 2014, 13-20.306 [1]) , la doctrine expose depuis longtemps que la force majeure ne se conçoit pas pour les obligations de somme d’argent (voir notamment L. Thibierge, Le contrat face à l’imprévu, préf. L. Aynès, Economica, 2011).

La règle puise son origine dans l’adage genera non pereunt, qui signifie que les choses de genre ne périssent pas. De la même manière que le vendeur qui perd sa cargaison de blé peut toujours s’en procurer sur le marché pour livrer son acquéreur, le droit considère que le débiteur d’une somme d’argent peut toujours se procurer de l’argent pour payer son créancier.

Si la règle relève parfois de la fiction juridique, notamment lorsque la situation du débiteur est si obérée qu’il ne peut plus contracter de crédit et qu’il n’a pas de biens à vendre pour payer son créancier, elle participe du bon sens. A défaut, l’on verserait dans le droit de ne pas payer ses dettes décrié par Ripert.

Il existe déjà des mécanismes correctifs face à l’impécuniosité : procédures collectives et d’apurement du surendettement des particuliers ont vocation à permettre ce traitement. Dans un strict cadre bilatéral, la force majeure n’est pas la réponse commode que d’aucuns souhaiteraient.

La cour d’appel de Paris vient d’en faire le rappel dans un arrêt didactique relatif à un bail commercial : « le débiteur d’une obligation contractuelle de somme d’argent inexécutée ne peut s’exonérer de cette obligation en invoquant un cas de force majeure. La force majeure se caractérise par la survenance d’un événement extérieur au débiteur, imprévisible et irrésistible, rendant impossible l’exécution de l’obligation.

Or, l’obligation de paiement d’une somme d’argent est toujours susceptible d’exécution, le cas échéant forcée, sur le patrimoine du débiteur. Elle n’est, par nature, pas impossible : elle est seulement plus difficile ou plus onéreuse ».

Dit autrement, faute d’impossibilité d’exécuter, la force majeure n’est pas caractérisée.

Salutaire rappel !