Reconnaissance faciale et contrôles préventifs sur la voie publique: vers un contrôle d'identité permanent et général ? (fr)

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Thierry Vallat, avocat au barreau de Paris
Octobre 2019



Va-t-on en arriver à un contrôle d'identité permanent et général de la population gràce aux outils numeriques et les logiciels de reconnaissance faciale ?


Dans une note du Centre de Recherche de l'École des Officiers de la Gendarmerie Nationale (CREOGN) n°43 de septembre 2019 qui vient d'être publiée, est posée sous la plume du colonel de gendarmerie Dominique Schoenher la problématique du recours à la reconnaissance faciale par les forces de l’ordre qui selon mérite de relever d’un choix de société éclairé s’appuyant sur des garanties techniques et sur un droit consolidé permettant l’expérimentation scientifique.


Selon cette analyse, tant est qu'elle atteigne un niveau de fiabilité acceptable, la plus-value policière de cette technologie ne fait aucun doute.


Elle viendrait consacrer la démarche d’anthropométrie judiciaire entamée il y a 150 ans pour identifier les fauteurs de troubles qui, auparavant, étaient marqués au fer rouge pour les plus dangereux. L’intérêt de cette technologie est d’exécuter systématiquement et automatiquement les actes de base des forces de l'ordre que sont l'identification, le suivi et la recherche d’individus en rendant ce contrôle invisible


Sous réserve d’algorithmes exempts de biais, la reconnaissance faciale pourrait mettre fin à des années de polémiques sur le contrôle au faciès puisque le contrôle d'identité serait permanent et général.


Elle permettrait une réactivité accrue pour les recherches de personnes vulnérables ou la traque de délinquants en fuite.


Elle serait également de nature à instaurer un autocontrôle limitant les incivilités (respect du code de la route, déjections animales, dépôts d'ordure) sur le modèle du crédit social chinois.


L'auteur pose deux pré-requis:


une technologie fiable et sûre

La fiabilité est la première source de confiance dans la technologie.


Le cas de la voiture autonome nous montre que le seuil d'acceptation social de l'erreur est très faible pour les processus animés par l'intelligence artificielle, a fortiori pour ceux ayant des implications sur les libertés individuelles.


Le taux d'erreur doit être garanti à un niveau acceptable, quelles que soient les conditions d'emploi (luminosité changeante, en mouvement...).


La qualité du logiciel de reconnaissance faciale repose sur son algorithme et la manière dont il a été « entraîné ».


L’analyse des résultats des systèmes actuels a montré que le taux d'erreur était systématiquement plus important pour les personnes de couleur et pour la gent féminine parce que les hommes blancs étaient surreprésentés dans l'échantillon d'apprentissage le fonctionnement de l’algorithme doit donc être transparent et les conditions de son apprentissage scrupuleusement contrôlées avec une base de référence répondant à des critères qualitatifs vérifiables.


Le système d’information doit être protégé dans son fonctionnement contre les menaces internes, comme c’est le cas pour tous les traitements de données policiers, en imposant une traçabilité permanente des actions des opérateurs afin d’éviter les mésusages et les détournements de finalité.


Au regard des menaces externes, il constitue une cible de choix pour les hackers aux motivations libertaires ou plus bassement matérielles mais aussi pour les services de renseignement d’un État tiers à des fins d’espionnage.


Son architecture et son infrastructure doivent être non seulement parfaitement sécurisées mais aussi résilientes.


La surveillance des paramètres de fonctionnement doit être constante pour détecter toute anomalie résultant d'un piratage.


L’avantage en la matière reste à l’attaquant.


Les données biométriques étant par essence sensibles, il faut en assurer la protection contre le vol, en garantir l’intégrité contre les modifications ou destructions ainsi que la disponibilité en temps utile pour le bon fonctionnement du système.

un environnement juridique consolidé

Ce pré-requis ne peut être atteint que dans un environnement juridique consolidé, qu’il s’agisse de l’expérimentation ou de la mise en œuvre opérationnelle sur la voie publique.


Ainsi, il conclut que le contrôle vigilant du juge et de l'autorité administrative indépendante seraient autant d’éléments clefs pour rassurer la population. Si, par ailleurs, elle y perçoit un gain objectif en sécurité et surtout une réduction de contraintes(la fameuse expérience usager améliorée), la technologie serait acceptée.


Rien n'est moins sur, avec le problème majeur d'absence de transparence des ces intelligences artificielles de reconnaissances biométriques, l’algorithme n'étant que le reflet des demandes de ses développeurs et commanditaires.


Rappelons que le Conseil constitutionnel dans sa Décision n° 93-323 DC du 5 août 1993 avait clairement précisé que :"Toutefois, la pratique de contrôles d’identité généralisés et discrétionnaires serait incompatible avec le respect de la liberté individuelle".


Source

CREOGN https://www.gendarmerie.interieur.gouv.fr/crgn/Publications/Notes-du-CREOGN/Reconnaissance-faciale-et-controles-preventifs-sur-la-voie-publique-l-enjeu-de-l-acceptabilite