Responsabilité contractuelle et contrat informatique (fr)

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.


Cet article est issu de JurisPedia, un projet dont la version en langue française est administrée par le Réseau Francophone de Diffusion du Droit. Pour plus de renseignements sur cet article nous vous invitons à nous contacter afin de joindre son ou ses auteur(s).
Logo jurispedia.png

France > Droit civil > Droit des obligations > Responsabilité civile > Responsabilité contractuelle
Fr flag.png

Il semble que dans le domaine des contrats informatiques, comme dans le reste du droit, ce soit avant tout dans une perspective de réparation d'un préjudice subi que la responsabilité civile soit mise en œuvre. La question est alors de savoir quelle responsabilité, contractuelle ou délictuelle[1], s'applique en la matière. Le non-respect d'une obligation semble devoir être soumis au régime de la responsabilité contractuelle. Effet, la mise en jeu de la responsabilité contractuelle du cocontractant qui a manqué à l'une de ses obligations, par exemple à son obligation de délivrance, notamment en matière de logiciel, est le mode de réparation le plus usité dans notre domaine[2]. Conformément aux règles du droit commun de la responsabilité contractuelle régie par les articles 1146 et suivants du Code civil, certaines conditions si elles sont réunies (I), permettent d'engager la responsabilité de l'une des parties au contrat (II).

I.- Les conditions de mise en œuvre de la responsabilité contractuelle

Conformément aux grands principes de la responsabilité contractuelle qui trouvent ici une application, la responsabilité du cocontractant ne pourra être engagée que si trois conditions sont réunies : un fait générateur (A), un dommage (B) et un lien de causalité (C).

A.- Le fait générateur

L'inexécution d'une obligation contractuelle, peut résulter du fait personnel du cocontractant (1), du fait d'autrui ou du fait d'une chose (2).

1.- La responsabilité du fait personnel du cocontractant

En matière de logiciel par exemple, la faute contractuelle du fournisseur sera constituée par l'inexécution par celui-ci d'un des aspects de son obligation de délivrance. Il pourra s'agir notamment de la livraison d'un logiciel non conforme à ce qui a été contractuellement prévu[3] ou bien encore d'une livraison tardive en présence de délais impératifs[4]. La charge de la preuve variant selon qu'il s'agisse d'une obligation de moyens ou de obligation de résultat. On rappellera, qu'il existe une gradation de la faute. Cette gradation dont la fonction à l'origine était de déterminer le principe de la responsabilité, a maintenant pour effet principal de commander l'efficacité des limitations de responsabilité. La faute dolosive ou intentionnelle est celle qui est commise avec l'intention de nuire. Elle a pour effet de rendre inefficaces les limitations légales ou conventionnelles de responsabilité et n'est pas assurable. Depuis le célèbre arrêt Société des comédiens français[5]de 1969, on assimile à la faute dolosive la mauvaise foi. La constatation d'une telle faute aurait de graves conséquences dans notre domaine, notamment du point de vue de l'assurance[6]. La faute lourde ne comporte, elle, aucun élément intentionnel mais est particulièrement grave, en raison soit de l'écart de conduite du débiteur, soit de ses conséquences, qui ruinent l'essence du contrat. Depuis 1938, la jurisprudence assimile la faute lourde à la faute dolosive ou intentionnelle pour écarter le jeu des clauses limitatives ou exonératoires de responsabilité ou appliquer l'article 1150 du Code civil. Dans le domaine de l'informatique, les juges font une application de cette règle[7]. La faute inexcusable, enfin, ne trouve pas d'application dans notre domaine, étant réservée au droit des transports et des accidents du travail et de la circulation.

2.- La responsabilité contractuelle du fait d'autrui et du fait des choses

Si la notion de responsabilité du fait d'autrui est explicitement consacrée par les textes en matière délictuelle et quasi-délictuelle[8], elle ne trouve, en droit français en matière de responsabilité contractuelle, aucun appui textuel. Aussi, la jurisprudence[9] et une partie de la doctrine se sont prononcées en faveur d'une extension de cette responsabilité. Il est donc désormais acquis dans le cadre des contrats de fourniture de logiciel, que le débiteur qui se fait remplacer ou aider par un tiers pour l'exécution de ses obligations contractuelles doit répondre à l'égard de son cocontractant du fait de celui qu'il s'est substitué. La responsabilité du fait des choses est moins évidente. Le droit commun ne pose pas de principe général en matière contractuelle, comparable à celui fondé sur l'article 1384 al.1 du Code civil. Si la doctrine nie l'existence d'une telle responsabilité dans le domaine contractuelle, il n'en demeure pas moins, que, s'agissant de l'action en garantie des vices cachés de la chose qui intéresse notre domaine, l'on puisse parler d'un tel fondement. En effet, certains ont vu dans cette action, un moyen indirect de renforcer la responsabilité contractuelle pour les dommages causés par le fait des choses que le responsable a livré en exécution du contrat. Il rest que, la responsabilité contractuelle du fait des choses semble cependant moins évidente que la responsabilité du fait d'autrui, d'une part, en raison des controverses doctrinales quant à son existence, et d'autre part, en raison des hésitations à appliquer la notion de vice caché notamment aux contrats de fourniture de logiciels[10].

B.- Le préjudice du demandeur

Le préjudice subi, pour donner lieu à réparation, doit être direct, certain et prévisible. La nature du dommage présente, elle, certaines spécificités dans le cadre des contrats informatiques. La nature du dommage réparable peut être soit patrimoniale, soit morale. Si le dommage de nature patrimoniale est plus fréquent dans notre domaine, un préjudice mixte à la fois patrimonial et moral, n'est pas exclu. La pratique montre que différents types de préjudices subis par les clients des fournitures de systèmes informatiques ont été réparés. Il s'agira par exemple d'un préjudice financier[11], d'un préjudice salarial[12] ou d'un préjudice commercial[13].

C.- L'exigence d'un lien de causalité

Il appartient au demandeur d'établir un lien de causalité entre le dommage qu'il a subi et l'inexécution du contrat (1). Toutefois, il existe des causes d'exonération qui permettent au défendeur d'échapper à la mise en œuvre de sa responsabilité (2).

1.- L'établissement d'un lien de causalité entre le dommage et l'inexécution du contrat

L'existence d'un lien de causalité entre le dommage et le fait générateur établit le caractère direct du préjudiceArticle 1151 du Code civil. Il existe deux définitions du lien de causalité généralement présentées comme antinomiques. La théorie de la causalité adéquate consiste à faire une sélection entre les causes du dommage pour ne retenir que les conditions qui contenaient la possibilité objective du résultat, c'est-à-dire qui rendaient le dommage prévisible. En revanche, la théorie de l'équivalence des conditions ou de la condition sine qua non considère que tout événement qui a été nécessaire à la réalisation du dommage doit être considéré comme étant sa cause juridique. En matière informatique, la jurisprudence paraît marquer une préférence pour la théorie de la causalité adéquate. Les décisions révèlent une appréciation casuistique du lien de causalité[14] et une gradation dans l'admission du caractère direct du préjudice.

2.- Les causes d'exonération du débiteur

Les causes d'exonération du débiteur dépendent, en matière contractuelle, de la nature de son obligation. S'il s'agit d'une obligation de moyens, le débiteur pourra s'exonérer totalement ou partiellement, en prouvant son absence de faute, l'existence d'une cause étrangère, le fait d'un tiers ou le fait de la victime. En revanche, s'il s'agit d'une obligation de résultat, le débiteur ne pourra, en principe, s'exonérer que par la preuve d'une cause étrangère, la preuve de son absence de faute étant alors sans incidence. Après avoir vu les conditions de mise en œuvre de la responsabilité contractuelle, voyons maintenant ses effets.

II.- Les effets de la responsabilité contractuelle

Conformément à un principe de proportionnalité et d'équité, la réparation de l'obligation non exécutée par le débiteur doit se mesurer avec le préjudice subi par le créancier insatisfait. Les modes de réparation prévus par la loi (A) dont l'application ne présente pas de grandes spécificités en matière informatique, sont susceptibles d'aménagements contractuels (B).

A.- Les modes de réparation

Le Code civil prévoit deux modes de réparation : la réparation en nature (1) et la réparation par « équivalent pécuniaire », c'est-à-dire par le versement de dommages et intérêts à la victime (2).

1.- La réparation en nature

Si l'on considère la réparation du dommage comme une restitutio in integrum, c'est-à-dire une reconstitution de la situation antérieure au dommage, la réparation en nature peut sembler la meilleure solution[15]. Toute forme de réparation autre que pécuniaire étant considérée comme une réparation en nature, les formes de réparation en nature sont donc diverses. Concernant les contrats de fourniture de logiciels spécifiques, un auteur[16] a considéré que ce mode de réparation était envisageable à condition, d'une part, qu'il existe d'autres professionnels compétents pour les techniques concernées et, d'autre part, qu'il y ait à disposition des dossiers techniques complets permettant la reprise. Toutefois, la jurisprudence semble ne pas avoir fait application de ce mode de réparation dans notre domaine. On rappellera, que d'autres voies de réparation en nature sont prévues par le législateur comme celles visant à supprimer ou limiter le dommage. C'est ainsi que l'auteur du dommage a été condamné à recommencer un travail mal exécuté[17]. La transposition de cette décision paraît possible en matière de contrats informatiques, le cocontractant étant condamné par exemple à refaire un logiciel qui correspondrait aux besoins du client. La pratique montre toutefois, une réticence des juges à appliquer le mode de réparation en nature dans le domaine de l'informatique comme dans les autres domaines du droit.

2.- La réparation par équivalent

La détermination des domaines respectifs de la réparation en nature et de la réparation par l'octroi de dommages et intérêts a fait l'objet de vifs débats. Toutefois, la jurisprudence reconnaît le principe de la liberté du juge qui apprécie souverainement la possibilité et l'opportunité d'une réparation en nature ou qui peut combiner les dommages et intérêts avec un autre procédé de réparation. On rappellera, que parfois le législateur impose le mode de réparation. C'est ainsi que l'article 1142 du Code civil dispose que : « toute obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommages et intérêts en cas d'inexécution de la part du débiteur ». Mais depuis les années 1950, les tribunaux ont limité le domaine d'application de l'article 1142 aux « obligations personnelles de faire ou de ne pas faire ». Il s'agit d'obligations dont l'exécution forcée risquerait de mettre en péril une liberté considérée comme essentielle du débiteur sans permettre de satisfaire le créancier-client. On rappellera, que dans le domaine informatique la plupart des obligations du fournisseur de matériels et de logiciels sont des obligations de faire. La création de logiciels spécifiques, en tant qu'œuvres de l'esprit, pourrait très probablement être considérée comme une « obligation personnelle de faire » et par là ne pas pouvoir faire l'objet d'une mesure d'exécution forcée. La réparation par équivalent peut aussi présenter des inconvénients dans la mesure où l'évaluation du montant des dommages et intérêts semble particulièrement difficile dans le cadre des contrats informatiques.

B. Les aménagements contractuels de la responsabilité

Au regard du principe de la liberté contractuelle, les parties contractantes peuvent décider de substituer aux règles légales des règles conventionnelles qui auront vocation à s'appliquer en cas d'inexécution des obligations. Les clauses aménageant la responsabilité obéissent au droit commun, et la jurisprudence veille à ce qu'elles aient été acceptées par les parties et les interprète de manière stricte. Parmi ces clauses aménageant la responsabilité, figurent celles qui exonèrent entièrement ou partiellement le débiteur de l'obligation de réparer (1) et celles qui procèdent par la fixation d'un forfait qui jouera en faveur du responsable ou de la victime suivant que le dommage excède ou non le chiffre convenu (2).

1.- Les clauses exonératoires et les clauses limitatives de responsabilité

Sans envisager l'hypothèse dans laquelle ces clauses auraient été insérées dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur et qui sont réputées non-écrites parce qu'abusives au sens de l'article L. 132-1 du Code de la consommation, se pose la question de l'efficacité de telles clauses dans les rapports entre professionnels. Au nom de la liberté contractuelle, ces clauses sont considérées comme valables. Cependant, en dépit de cette affirmation, la jurisprudence est progréssivement venue limiter la liberté des parties, d'abord en procédant à une interprétation extensive[18] de l'article 1150 du Code civil, puis, plus récemment, elle a posé un nouveau fondement[19] à l'inefficacité de ces clauses avec le fameux arrêt Chronopost précité. Se fondant sur le terrain de la cause, les juges ont considéré qu'une clause limitative de responsabilité contredisant l'obligation essentielle du débiteur devrait être réputée non-écrite. Reprenant la solution de l'arrêt Chronopost, la Cour de cassation le 17 juillet 2001, s'est prononcée dans le même sens à propos d'un contrat de maintenance informatique en considérant que devait être écartée une telle clause.

2.- Les clauses pénales

Permettant de fixer forfaitairement, dès la conclusion du contrat, le montant des dommage-intérêts dus en cas de retard ou d'inexécution, la clause pénale, régie par les articles 1152 et 1126 à 1233 du Code civil, trouve de fréquentes applications en matière informatique. Aussi, la clause pénale présente des avantages particulièrement appréciables en ce qu'elle permet d'éluder les difficultés d'évaluation judiciaire des dommages-intérêts et prévient l'inexécution du contrat par la menace que représente la sanction contractuellement fixée. Toutefois, au delà de ces avantages, la clause pénale présente certains dangers, particulièrement lorsqu'elle aura été imposée par la partie la plus forte. Les abus commis ont conduit à la réforme réalisée par la loi du 9 juillet 1975[20]. En principe, la clause pénale doit être exécutée telle qu'elle a été voulue par les parties. « Néanmoins, le juge peut, même d'office, modérer ou augmenter la peine qui avait été convenue, si elle est manifestement excessive ou dérisoire. Toute stipulation contraire sera réputée non-écrite »[21]. L'intervention du juge ne doit constituer qu'une exception. Le caractère manifestement excessif ou dérisoire de la peine apparaît par comparaison avec la valeur du préjudice résultant de l'inexécution, le jour où le juge statue. Faisant une application de cette disposition dans le cadre des contrats informatiques, la pratique montre que les espèces dans lesquelles les juges ont réduit les pénalités manifestement excessives sont plus fréquentes[22]. Reste, encore, la question importante en pratique, de l'incidence de l'extinction du contrat sur l'efficacité de la clause pénale. S'il ne fait aucun doute que la nullité du contrat emporte celle de la clause qui s'y trouvait insérée, la question de l'efficacité de cette clause est plus délicate en cas de résolution du contrat[23].


Notes et références

  1. Voir l'article consacré à la responsabilité civile délictuelle
  2. H. Bitan, « Contrats informatiques », Litec, coll. droit@litec, 2002, pp. 231-249.
  3. Cass. 1ère civ., 31 mars 1992, Sté Nixdorf c/ Clop et autres : Lexilaser n°454.
  4. Cass. com., 8 déc. 1992, M. Cerede c/ Sté Diior : Lexilaser n°1860.
  5. Cass. 1ère civ., 4 févr. 1969, Sté des comédiens français : Bull. civ. I, n°60 ; D. 1969, p. 601, note J. Mazeaud.
  6. Article L. 113-1 al. 2 du Code des assurances
  7. Paris, 20 nov. 1990, SA France Abonnements c/ Neddata Francel : Juris-Data n°1990-025912.
  8. Article 1384 du Code civil
  9. Cass. 1ère civ., 18 oct. 1960 : JCP 1960, II, 18446, note R. Savatier ; Cass. civ., 29 mai 1963 : Gaz. Pal. 1963, 2ème sem., p. 290 : « le débiteur est responsable du fait de l'inexécution de ses obligations, alors même que cette inexécution proviendrait d'un tiers qu'il se serait substitué ».
  10. A. Viricel, Le droit des contrats de l'informatique, éd. du Moniteur, 1984 ; v. aussi X. Linant de Bellefonds et A. Hollande, Contrats informatiques et télématiques, Delmas, 1992, p. 122 ; v. également A. Lucas, Le droit de l'informatique, PUF, 1987.
  11. C.A Paris, 16 déc. 1981, Ruf c/ Cabinet Ferte Walter : Juris-Data n°1981-027829.
  12. C.A Paris, 9 sept. 1982, Delacourt c/ Olivetti France : Juris-Data n°1982-023746.
  13. C.A Paris, 17 déc. 1985, Slogos c/ Laureau : Juris-Data n°1985-026965 : retards dans l'organisation de la gestion dus au sous-emploi de l'ordinateur résultant d'un logiciel défectueux.
  14. C.A Paris, 14 mai 1982, Hugin c/ Nord Est SA : Expertises des systèmes d'information n°43, p. 176 ; Juris-Data n°1982-022573.
  15. V. G. Viney, Traité de droit civil (ss dir. J. Ghestin), « La responsabilité : les effets », LGDJ, 1988, n°174.
  16. J. Viet, « La fourniture de logiciels spécifiques relève-t-elle de l'obligation de faire? » : Gaz. Pal. 1987, doctr. p.7.
  17. Cass. Civ 3ème ., 25 oct. 1976 : D. 1977.
  18. Voir la note Cass. com., 15 nov. 1988 : Bull. civ. IV, n°312.
  19. Cass. com., 22 oct. 1996 : D. 1997, jurispr. p. 121, note A. sériaux ; RTD civ. 1997, p. 418, obs. J. Mestre.
  20. F. Chabas, La réforme de la clause pénale : D. 1976, chron. p. 229.
  21. Article 1152 al. 2 du Code civil
  22. C.A Paris, 17 oct. 1980 : Juris-Data n°1980-000854 ; Paris, 2 févr. 1988, NCR c/ Métalex : Juris-Data n°1988-020140.
  23. Sur cette question, v. not. Ch. Hugon, « Le sort de la clause pénale en cas d'extinction du contrat » : JCP 1994, I, 3790.

Bibliographie