Revenir sur une donation est-il possible ?

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.
France > Droit privé > Droit civil >  Droit des successions


Murielle Cahen, avocat au barreau de Paris
Février 2020




La donation entre vifs est un contrat à titre gratuit, soumis, en principe, à des règles de forme impératives.


Par cet acte, l'un des cocontractants appelé « donateur » se dépouille actuellement et irrévocablement d'un bien, au profit de l'autre cocontractant, appelé « donataire ».


Pour qu'une convention soit qualifiée de donation, il est nécessaire que l'appauvrissement subi par le donateur au profit du donataire soit volontaire.


Les cadeaux ou dons effectués à l'occasion d'événements importants survenus dans la famille ou en fonction de certains usages (mariage, fêtes, anniversaire, etc.), et dont l'importance n'est pas disproportionnée avec la situation financière du donateur, échappent en tout point au régime des donations entre vifs.


Sauf exceptions concernant certaines donations de biens meubles, le contrat de donation est un contrat solennel devant être passé en la forme authentique (Code civil, article 931), à peine de nullité d'ordre public et sans qu'il soit possible au donateur de confirmer ou ratifier ultérieurement une donation nulle en la forme.


Par la donation, le donateur s'appauvrit pour enrichir le donataire. Cette idée est exprimée dans l'article 894 du Code civil par les mots “se dépouille” et “en faveur du donataire”.


C'est ainsi que la donation entre vifs se distingue des autres contrats de bienfaisance, comme le prêt à usage ou le dépôt.


Le prêteur ou le déposant, lui, ne se dépouille pas, il a droit à la restitution de la chose, de sorte que l'emprunteur ou le dépositaire ne s'enrichit pas.


Echappe à la qualification de donation, au sens des dispositions de l'article 894 du Code civil, la libéralité ayant en réalité pour objet de rémunérer les services évaluables en argent rendus par le donataire au donateur, à condition toutefois qu'il y ait équivalence entre la valeur des biens donnés et celle des services rendus ; après avoir retenu que le requérant héritier avait rendu sur une longue période au défunt des services d'une qualité exceptionnelle, de sorte que la somme versée à son profit avait eu pour contrepartie le travail fourni, la cour d'appel, en écartant l'intention libérale, a légalement justifié sa décision (Cass. com., 19 déc. 2006, n° 05-17.086 [1] : JurisData n° 2006-036659 ; JCP N 2007, n° 3, act. 146) ;


La preuve de l'intention libérale ne peut résulter du seul fait que la mère défunte a financé l'intégralité de l'immeuble acquis par son fils. Au décès de celle-ci, le fils propriétaire n'a pas à rapporter à la succession la valeur actuelle de la maison concernée (Cass. 1re civ., 4 nov. 2015, n° 14-24.052 [2], 14-26.354 [3]: JurisData n° 2015-024659 ; JCP N 2015, n° 48, act. 1129. – V. JCl. Notarial Formulaire, V° Donation entre vifs, fasc. 20 ; V° Rapport à succession, fasc. 40, par F. Collard).


En outre, avant la réforme du 23 juin 2006, on opposait la révocation pour inexécution des conditions ou des charges et la révocation pour ingratitude qui ont un caractère judiciaire et la révocation pour survenance d’enfants qui avait lieu de plein droit.


Désormais, cette dernière suppose une clause de l’acte de donation et une action judiciaire.


La révocation pour inexécution des conditions ou des charges est une application de l’article 1224 du Code civil.


La révocation pour ingratitude est la conséquence d’un manque de reconnaissance et prend l’aspect d’une peine.


La révocation pour survenance d’enfant repose désormais sans contestation possible sur la volonté du donateur puisqu’une clause de la donation doit la prévoir.


La révocation pour ingratitude ne peut pas nuire aux droits des tiers et les aliénations sont maintenues [4].


Aussi, le don manuel est révocable même s'il s'identifie à une donation mutuelle ou à une donation rémunératoire et quelle que soit sa valeur (Code civil, article 960 s.). La règle connaît néanmoins un double tempérament.


D'une part, la révocation de la donation pour cause de survenant d'enfant ne joue, depuis l'entrée en vigueur de la loi n° 2006-726 du 23 juin 2006, soit le 1er janvier 2007, que si l'acte de donation le prévoit.


C'est dire que, désormais, les dons manuels ne peuvent être révoqués pour cause de survenance d'enfant que si cette stipulation résulte d'un pacte adjoint au don manuel et que la preuve peut en être rapportée. Aussi, cette cause de révocation n'a vocation, en pratique, à déployer ses effets que de manière marginale, et cela d'autant plus pour les dons manuels consentis avant le 1er janvier 2007 auxquels les dispositions nouvelles de l'article 960 sont applicables 444(L. n° 2006-728, 23 juin 2006, art. 47, I)444. D'autre part, les présents d'usage échappent à la révocation ainsi que les dons manuels entre époux.


Les cas de révocation pour inexécution ou ingratitude sont des causes légales de résolution de la donation.

Depuis la loi du 23 juin 2006, la révocation pour survenance d’enfant est facultative et suppose une clause de l’acte de donation la prévoyant (Civil Code, Art. 953 à 966).


Révocation pour inexécution des conditions ou des charges

Conditions de la révocation

Le terme « conditions » des articles 953 et 954 du Code civil ne doit pas prêter à confusion avec les conditions qui peuvent affecter une donation et dont l’inaccomplissement emporte résolution de plein droit de celle-ci.


Il s’agit de conditions imposées au donataire et qu’il doit respecter, comme il doit assurer les charges qui pèsent sur lui.


Toute donation peut être révoquée pour inexécution des conditions ou des charges : donations solennelles, mais aussi don manuel, donation déguisée, donation indirecte, donation rémunératoire quand elle conserve un caractère de libéralité, donation par contrat de mariage, donations mutuelles.


Seuls y échappent les présents d’usage et les donations rémunératoires n’ayant pas le caractère de libéralité.


Bien que l’article 956 du Code civil précise que la révocation pour inexécution n’a jamais lieu de plein droit, une clause de la donation peut permettre qu’il en soit ainsi. La clause doit être claire et précise.


À défaut de clause de révocation de plein droit, la révocation n’est prononcée par le juge que si la condition ou la charge constituait la cause déterminante de la donation (Civil Code, Art. 953 à 966, fasc. 10).


La nature et la valeur de la charge ou de la condition sont sans incidence.


La charge ou la condition peut devenir illicite après la donation [5]. La distinction entre charge et condition peut avoir une incidence. L’inexécution de la charge entraîne la révocation de la donation, la condition illicite est réputée non écrite (Code civil, article 954 et 900).


La preuve de la condition ou de la charge ne peut résulter que de l’acte de donation. Il n’y a pas de charge tacite, sauf exceptionnellement en cas de donation de la totalité ou d’une fraction des biens du donateur. Lorsque les charges et conditions d’une donation consentie par acte notarié ont été stipulées par acte sous seing privé, la nullité emporte celle de la donation.


Inexécution

La révocation de la donation est prononcée lorsque le juge du fond constate souverainement que la charge ou la condition inexécutée en était la cause impulsive et déterminante. La faute du donataire n’est pas nécessaire, mais elle peut modifier les conditions de la révocation.


Les parties peuvent écarter la possibilité de révocation en insérant une clause dans la donation laissant la liberté au donataire d’exécuter la charge ou la condition.


Les juges du fond décident souverainement s’il y a lieu de prononcer la révocation partielle de la donation. À défaut, ils apprécient le point de savoir si l’inexécution est suffisamment importante pour prononcer la révocation.


Éventuellement, au lieu de la révocation, ils allouent des dommages et intérêts. En cas d’exécution tardive, le juge possède un pouvoir d’appréciation pour décider qu’il y a inexécution.


La faute du donataire peut justifier, outre la révocation, l’allocation de dommages et intérêts. La faute du donateur ayant été à l’origine de l’inexécution exclut la possibilité de demander la révocation. Lorsque l’inexécution est due à la force majeure, la question est délicate. L’opinion dominante considère que la donation [https://avocat-droit-succession-cahen.fr/avant-prevoir/peut-on-contester-une-donation-partage/@ peut être caduque pour défaut de cause.


La révision judiciaire des conditions et des charges peut faire obstacle à la révocation (Civil Code, Art. 953 à 966).


Il est possible de préciser dans l’acte de donation que la révocation ne sera encourue qu’en cas d’inexécution fautive du donataire.


L’auteur énonce diverses conditions et charges ayant donné lieu ou non à révocation :

  • Défaut d’inventaire ou inventaire erroné ;
  • Obligation de cohabitation et de soins ;
  • Obligation de soins et de ne pas se marier ;
  • Stipulation d’emploi.


Le donateur peut stipuler que le bien donné restera sous la surveillance et l’administration de l’un de ses héritiers. L’héritier nommément désigné peut aménager les charges et conditions dans la mesure où les intentions du donateur sont respectées.


Le donateur peut stipuler que les biens donnés à un mineur seront administrés par un tiers. Une telle stipulation est valable même pour la réserve revenant au mineur. Le juge ne peut pas refuser d’appliquer une telle disposition au prétexte qu’elle serait contraire à l’intérêt de l’enfant.


Le juge des tutelles peut désormais nommer un administrateur ad hoc, si le tiers désigné en qualité d’administrateur, dans la donation ou le testament, refuse cette fonction ou se trouve dans une des situations d’incompatibilité ou d’inaptitude et négligence prévues aux articles 395 et 396 du Code civil (Code civil, article 384, al. 3).


Une telle clause est valable à condition d’être limitée dans le temps et justifiée par un intérêt sérieux et légitime. Il est possible d’obtenir judiciairement la levée de l’interdiction d’aliéner.


La demande est réservée au donataire et les créanciers n’ont pas le droit d’agir pour faire lever l’inaliénabilité (Civil Code, Art. 900-1).


Est interdite toute clause tendant à priver de la libéralité le donataire qui mettrait en cause la validité de la clause d’inaliénabilité ou demanderait l’autorisation d’aliéner.


Elles sont exclues du champ d’application de l’article 900-1 du Code civil et l’inaliénabilité perpétuelle est donc possible.


Par ailleurs, les articles 900-2 à 900-8 résultant de la loi n° 84-562 du 4 juillet 1984 leur sont applicables. La révision des charges est donc possible (Civil Code, Art. 900-2 à 900-8).


L’interdiction de se marier ou de se remarier faite au donataire est d’une validité douteuse. Le sentiment inspirant le donateur serait déterminant.


Il y aurait une présomption de validité, la preuve du caractère répréhensible du mobile devant être apportée. La clause de non-divorce fait l’objet d’une analyse analogue.


La clause de reprise d’apport de biens apportés à la communauté est opportunément légalisée (Code civil, article 265, al. 3).


Action en révocation

Nature de l’action

La révocation suppose un jugement, au moins si la donation ne comporte pas une clause de révocation de plein droit. Le juge apprécie l’importance de l’inexécution et vérifie que la condition ou la charge a été la cause impulsive et déterminante de la donation [6].


Le donateur peut stipuler qu’à défaut d’exécution de la charge ou de la condition, la donation sera résolue de plein droit. Si le donataire résiste, il faudra néanmoins aller devant le juge, mais celui-ci aura des pouvoirs restreints.


Différentes formules sont citées ; certaines doivent être évitées, car leurs conséquences sont inopportunes ou incertaines.


Pour permettre au donateur de choisir entre la révocation de la donation et l’exécution de l’obligation par le donataire, la clause peut être rédigée ainsi : « en cas d’inexécution, le donateur pourra poursuivre le donataire en exécution ou demander la révocation. La demande en révocation pourra être faite d’emblée ou après échec de la demande en exécution ».


Demande en révocation

Le donateur a évidemment le droit de demander la révocation, que la charge ou condition lui profite ou qu’elle profite à un tiers. Le tiers peut agir en exécution, mais ne peut pas demander la révocation. Le donataire ne peut pas demander la révocation, mais éventuellement la révision des charges et conditions.


Sauf si le donateur a renoncé de son vivant à l’exécution de la condition ou de la charge, les héritiers peuvent demander la révocation. Le légataire universel a le même droit. Lorsqu’il y a plusieurs héritiers ou légataires, chacun d’eux peut exercer l’action.


Les créanciers peuvent agir au nom du donateur par l’action oblique de l’article 1341-1 du Code civil.


L’action doit être exercée contre le donataire ou contre ses héritiers. Lorsque la charge ne peut être exécutée que par le donataire personnellement, peindre un tableau par exemple, il faut distinguer.


Si le donataire a été mis en demeure de son vivant, une indemnité peut être due et la dette passe à ses héritiers. À défaut de mise en demeure, le donateur n’a que la ressource de l’action révocatoire.


La condition et ils sont étrangers à l’acte de donation. Ce n’est qu’une fois la révocation prononcée que l’action en revendication peut être exercée contre eux.


Sources

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000021651988?init=true&page=1&query=08-14.002&searchField=ALL&tab_selection=all

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000032777950?init=true&page=1&query=15-18.086&searchField=ALL&tab_selection=all

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000041745282?init=true&page=1&query=17-31.642&searchField=ALL&tab_selection=all

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000007021823?init=true&page=1&query=87-15.083&searchField=ALL&tab_selection=all

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000007040217?init=true&page=1&query=96-14.508&searchField=ALL&tab_selection=all