Revirement de jurisprudence en matière de nullité des délibérations adoptées en sas au mépris de ses statuts
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Tristan Girard-Gaymard, docteur en droit privé et sciences criminelles [1]
Mars 2023
Les règles de nullité des délibérations de sociétés figurent parmi les normes les plus complexes du droit des sociétés. La doctrine a mis en évidence tant l’incertitude relative au domaine des nullités que le désordre des causes de nullité (Elsa Guégan, Les nullités des décisions sociales, Dalloz, 2020).
En droit des sociétés par actions simplifiées, ces imperfections résultent de l’article L. 227-9' du Code de commerce. Rappelons la structure de cet article : le premier alinéa énonce une règle de compétence des statuts en matière de détermination des conditions d’adoption des décisions collectives ; le second ménage une poche d’exclusivité, au profit des associés, dans l’adoption de certaines décisions particulièrement importantes ; le dernier alinéa dispose que « les décisions prises en violation des dispositions du présent article peuvent être annulées à la demande de tout intéressé ».
Le dernier alinéa de l’article L. 227-9 du Code de commerce est porteur d’une sanction – l’annulation – ce qui lui permet d’entrer dans le cercle fermé des nullités en droit des sociétés commerciales, porté par l’article L. 235-1 du Code de commerce : « la nullité d’actes ou délibérations autres que ceux prévus à l’alinéa précédent ne peut résulter que de la violation d’une disposition impérative du présent livre ».
Or, la nullité est une sanction si grave, particulièrement en droit des sociétés dont on connait la méfiance à cet égard, qu’elle manifeste de l’impérativité du texte qui la prévoit.
Malgré l’apparente simplicité de ce raisonnement, la question a émergé de savoir si la violation de tous les alinéas de l’article L. 227-9, ou bien seulement certains d’entre eux, était sanctionnée par la nullité.
S’agissant du deuxième alinéa de l’article L. 227-9, la possibilité d’annuler les délibérations adoptées à son mépris n’a fait aucun doute. Rappelons que ces décisions sont celles énumérées par l’article L. 227 et concernent les modifications et l’amortissement du capital ; les fusions, scissions et apports partiels d’actif soumis au régime des scissions ; la nomination des commissaires aux comptes ; la dissolution de la société ; la transformation de la SAS en société d’une autre forme ; l’approbation des comptes annuels et l’affectation des résultats.
Il faut à cet égard préciser que le fait, pour le président ou les dirigeants de la SAS de ne pas avoir consulté les associés dans les conditions prévues par les statuts, dans ces différents cas est puni d’une peine d’emprisonnement de six mois et d’une amende de 7 500 euros (art. L. 244-2 du Code de commerce). En ce domaine, l’impérativité est pleinement assurée par la nullité de la délibération adoptée au mépris de l’article L. 227-9 alinéa 2 du Code de commerce.
C’est ensuite vers le premier alinéa que s’est tournée la réflexion relative à la sanction de sa violation.
Au terme d’une lecture favorable à l’annulation, il est possible d’affirmer que les décisions prises en violation des dispositions statutaires déterminant les décisions qui doivent être prises collectivement et fixant les formes et conditions de validité des décisions collectives, sont annulables.
C’est d’ailleurs ce qu’a jugé la Cour d’appel de Paris dans un arrêt du 27 novembre 2018 (RG n° 16/16446). Dans cette espèce, la Cour a annulé des délibérations en ce qu’elles étaient contraires à des modalités de convocation insérées dans les statuts.
Cette solution n’avait rien d’une évidence, notamment au regard de la jurisprudence de la Cour de cassation qui, quelques mois auparavant, avait rappelé, pour exclure une telle annulation, que « sous réserve des cas dans lesquels il a été fait usage de la faculté, ouverte par une disposition impérative, d’aménager conventionnellement la règle posée par celle-ci, le non-respect des stipulations contenues dans les statuts ou dans le règlement intérieur n’est pas sanctionné par la nullité » (Cass. com., 26 avr. 2017, n° 14-13.554 [2]).
Ce faisant, la Cour de cassation réitérait sa célèbre jurisprudence Larzul du 18 mai 2010 (n° 09-14.855 [3]) en subordonnant l’article L. 227-9 à l’article L. 235-1 du Code de commerce, et affirmait ainsi que les clauses statutaires d’une SAS déterminant le champ de compétence des décisions collectives ne constituaient pas un aménagement de l’article L. 227-9, alinéa 1er du Code de commerce.
Le maintien de cette argumentation était sollicité par l’auteur du pourvoi ayant conduit la Cour à statuer le 15 mars 2023. Celui-ci reprochait à la Cour d’avoir annulé des délibérations « sans constater que ces décisions étaient de celles qui auraient dû être prises collectivement par les associés en vertu d’une disposition impérative du livre II du code de commerce applicable aux sociétés par actions simplifiées ». Et la Cour de cassation a commencé par rappeler la position posée par sa jurisprudence du 18 mai 2010
Cette solution se réclamait d’une interprétation stricte de l’article L. 235-1 du Code de commerce qui, il est vrai, se réfère à des « dispositions impératives », ce qui a un sens précis concernant une loi ou un règlement – et seulement ceux-ci (voy. en ce sens J. Hémard, F. Terré, P. Mabilat, Sociétés commerciales, t. 1 : Dalloz, 1972, n° 743, p. 569). L’on ne saurait donc en faire application à des clauses statutaires, dès lors que la loi n’en fait pas expressément mention. En somme, point d’impérativité statutaire, seulement une impérativité légale ou règlementaire. C’est d’ailleurs ce que rappelle, pour le nuancer ensuite, la Cour dans l’arrêt commenté : « certes, la disposition statutaire qui réserve, dans ces sociétés, certaines décisions à la collectivité des associés, n’aménage aucune disposition impérative, tirant au contraire parti de la liberté que l’article L. 227-9, alinéa 1er, laisse aux rédacteurs des statuts ».
La doctrine n’a cependant pas manqué de souligner l’influence considérablement néfaste de cette jurisprudence sur l’efficacité des statuts (voy. not. R. Mortier, note sous CA Paris, pôle 5, ch. 8, 27 nov. 2018, n° 16/16446, Dr. Sociétés, 1er avril 2019, n° 4, comm. 61). Surtout, on a fait remarquer que les sanctions mobilisables en l’absence de nullité – responsabilité du dirigeant ; révocation, nomination d’un administrateur provisoire – ne sont pas adéquates, car constitutives, pour ainsi dire, de sanctions par équivalent, et non en nature.
Comme l’a suggéré Elsa Guégan dans sa thèse de doctorat : « chaque fois qu’une clause des statuts énonce, sur invitation ou sur délégation de la loi, une condition de validité des décisions de la société, la sanction adéquate de sa violation est la nullité » (Elsa Guégan, Les nullités des décisions sociales, op. cit., n° 478). Ceci d’autant qu’il est possible de faire des statuts un complément des dispositions visées à l’article L. 227-9 du Code de commerce (Ibid., n° 89).
C’est probablement ce qui explique le revirement opéré le 15 mars dernier par la Cour de cassation (n° 21-18.324). La Haute Juridiction rappelle d’abord que l’organisation et le fonctionnement de la société par actions simplifiée relèvent essentiellement de la liberté statutaire. Il en découle que le respect des dispositions statutaires est essentiel au bon fonctionnement de la société et à la sécurité de ses actes. Or, les limitations apportées par la jurisprudence à la possibilité de voir sanctionner par la nullité la méconnaissance de ces dispositions statutaires conduisent à ce que leur violation ne puisse être sanctionnée. C’est dire que l’argument de l’efficacité des statuts a été entendu par la Cour de cassation.
Ces considérations, poursuit-elle, la conduisent « à juger désormais que l’alinéa 4 de l’article L. 227-9 du code de commerce, institué afin de compléter, pour les sociétés par actions simplifiées, le régime de droit commun des nullités des actes ou délibérations des sociétés, tel qu’il résulte de l’article L. 235-1, alinéa 2, du code de commerce, doit être lu comme visant les décisions prises en violation de clauses statutaires stipulées en application du premier alinéa et permettant, lorsque cette violation est de nature à influer sur le résultat du processus de décision, à tout intéressé d’en poursuivre l’annulation ».
Voici donc un revirement conduisant à appréhender de façon unitaire la nullité fulminée par l’article L. 227-9 du Code de commerce.
Cette solution éclaire doublement la pratique du droit des sociétés. Elle assure d’une part aux rédacteurs d’actes la sécurité des prévisions statutaire, à travers une sanction redoutable qu’est la nullité de la délibération adoptée à leur mépris. Elle ouvre d’autre part une voie contentieuse dans le traitement des conflits d’associés, en permettant à tout intéressé d’agir en nullité d’une délibération contestable. Rappelons cependant que la nullité de l’article L. 227-9 du Code de commerce est une nullité facultative. Il est donc possible de régulariser la délibération critiquée jusqu’au « jour où le tribunal statue sur le fond en première instance » (art. 1844-11 du Code civil et L. 235-3 du Code de commerce). La régularisation, si elle est possible, rendra rétroactivement la délibération valable.
Restera à déterminer, en pratique, les violations « de nature à influer sur le résultat du processus de décision ». En l’espèce, il s’agissait principalement d’une absence de convocation. En ce cas, il est certain que l’absence de consultation d’un associé influe sur le résultat du vote. Il en ira de même s’agissant du non-respect des règles de majorité ou de quorum, si elles sont prévues dans les statuts, de même que l’éventuelle violation des règles de consultation d’un organe ad hoc ayant une faculté d’influencer le processus de décision, par le biais, par exemple d’une voix prépondérante ou d’un droit de veto.
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