Statut juridique des sites de vidéo en ligne (fr)
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Le statut juridique des sites de vidéos en ligne est une problématique contemporaine du droit des médias, souvent au cœur des controverses entre ayants droit et sites internet collaboratifs, et liée à des enjeux économiques substantiels.
Partie 1 / Les apports de la LCEN, un régime archaïque et source de méfiance.
Chapitre 1 / Les définitions de la loi, un régime précis mais dépassé.
Section 1 / Présentation de la problématique.
Concernant les plateformes de vidéos en lignes, qui sont principalement Youtube - propriété du groupe Google - et le français Dailymotion, il est particulièrement délicat pour juristes et juges de choisir entre les deux catégories d'opérateurs envisagés par la LCEN, c'est-à-dire éditeur ou hébergeur ; la qualification de fournisseur d'accès n'étant en revanche en aucun cas envisageable. Ces explications vont donc tourner autour de ce duo et des hésitations qu'il entraîne ; même si, on peut le signaler dès à présent, la notion d'hébergeur semble avoir aujourd'hui remporté plus de points que son adversaire. Cependant la partie perdure toujours.
Section 2 / Présentation générale de la LCEN.
La LCEN du 21 juin 2004, qui encadre donc juridiquement la communication au public en ligne en France, transpose en droit national la directive communautaire du 8 juin 2000 relative à la société de l'information et au commerce électronique [1]. Cependant, cette dernière s'inspire elle-même d'un texte plus ancien : le Digital Millenium Copyright Act américain (DMCA) de 1998 [2].
Section 3 / Le contenu de l'article 6 et les différents régimes édités.
L'article 6 de la LCEN instaure un régime de responsabilité limitée pour les hébergeurs, tandis que s'appliquent aux éditeurs les règlent classiques de la responsabilité civile des articles 1382 et suivants du Code civil. Toutefois, encore faut-il pouvoir désigner les entités qui se cachent sous l'une ou l'autre appellation. C'est là la question la plus périlleuse, celle sur laquelle juges et doctrine se cassent les dents depuis quelques temps déjà.
A / Le commerce électronique.
Le commerce électronique est appréhendé par l'article 14 de la loi comme étant « l'activité économique par laquelle une personne propose ou assure à distance et par voie électronique la fourniture de biens ou de services […] consistant à fournir des informations en ligne, des communications commerciales et des outils de recherche, d'accès et de récupération de données, d'accès à un réseau de communication ou d'hébergement d'informations, y compris lorsqu'ils ne sont pas rémunérés par ceux qui les reçoivent ».
B / Les hébergeurs.
- 1 / Leur définition.
La LCEN distingue deux genres de prestataires techniques, c'est-à-dire d'intervenants qui n'agissent qu'afin d'apporter un soutien matériel aux internautes et sans autre considérations vis-à-vis des contenus : les fournisseurs d'accès et les fournisseurs d'hébergements. Il est important d'insister sur le fait qu'ils doivent n'agir qu'en vertu de missions de nature exclusivement technique car il s'agit du critère décisif, voir unique.
- 2 / Leurs responsabilité et obligations.
Ce même article 6, I, 2 poursuit en déterminant, en des termes sensiblement identiques, les conditions permettant d'engager les responsabilités civile et pénale de ces acteurs, la seconde n'étant quasiment jamais en cause dans les contentieux. Ainsi, ils « ne peuvent pas voir leur responsabilité […] engagée du fait des activités ou des informations stockées à la demande d'un destinataire de ces services si elles n'avaient pas effectivement connaissance de leur caractère illicite ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère ou si, dès le moment où elles en ont eu cette connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l'accès impossible », formulation visant explicitement à rendre exceptionnelle la possibilité d'engager valablement lesdites responsabilités. À noter qu'en vertu d'une réserve d'interprétation du Conseil constitutionnel, ce contenu doit apparaître comme « manifestement illicite » [3] pour que ces dispositions puissent jouer, ce qui renforce l'impression d'intouchabilité. La loi vise expressément les cas de pédophilie, de crime contre l'humanité et d'incitation à la haine raciale. Alors seulement l'hébergeur est astreint à retirer immédiatement les vidéos maladives.
Il est intéressant ici de s'attarder quelques instants sur le travail parlementaire ayant mené à l'adoption de cette procédure. En effet, elle prouve à quel point il peut être difficile pour le monde politique de percevoir les enjeux et intérêts afférents aux nouvelles technologies de l'information et de la communication. L'article décrit ci-dessus ne figurait pas dans le projet de loi originel déposé par le Gouvernement. Il provient d'un amendement parlementaire directement motivé et suggéré par le forum des droits sur l'internet qui estimait vital de simplifier la tâche des hébergeurs [4]. Le Sénat n'ayant pas voulu du texte, ce fut finalement la commission mixte paritaire qui l'entérina [5], mais cela prouve qu'au sujet de l'Internet et des nouvelles technologies en général, l'apport des technocrates se révèle indispensable.
C / Les éditeurs.
- 1 / La responsabilité et les obligations.
À l'inverse, les titulaires de droits soutiennent la qualification d'éditeur, celle-ci permettant l'application d'une responsabilité pleine et entière devant les actes de contrefaçon. Ainsi, les éditeurs sont tenus par une obligation de diligence à l'égard des contenus qu'ils fournissent. Ils doivent donc vérifier leur compatibilité par rapport aux bonnes mœurs ou à la protection de l'enfance, mais ils doivent encore et surtout s'attacher à contrôler le fait que des droits de propriété intellectuelle n'y soient pas attachés.
La loi omet de définir la notion, l'article 6.III.1 précisant tout au plus que l'éditeur est une « personne dont l'activité est d'éditer un service de communication au public en ligne », formule laconique s'il en est. En outre, est précisé qu'il a une obligation d'identification dans les mentions légales des sites, ce qui ne permet guère de le distinguer d'un hébergeur.
- 2 / Une notion d'éditeur particulière.
En revanche, il s'agit de ne pas se fourvoyer car l'éditeur ici en cause doit être clairement distingué de celui définit - cette fois-ci précisément - par l'article L. 132-1 du Code de la propriété intellectuelle. L'éditeur d'un site n'est que rarement cessionnaire de droits et ne fabrique pas en nombre des exemplaires d'œuvres de l'esprit. Aussi des auteurs, regrettant cette polysémie, proposent-ils d'évoquer plus sûrement des « responsables de sites » [6].
Chapitre 2 / Les remises en cause de la loi, pour un régime repensé.
Section 1 / L'idée d'une catégorie intermédiaire.
Il s‘agit donc de distinguer éditeurs et hébergeurs afin d‘appliquer à chacun un régime lui étant propre. Mais, au vu de la pratique et des décisions contradictoires rendues par la justice (v. partie II), la question se pose de savoir s‘il ne serait pas opportun de créer une catégorie intermédiaire, un hybride tantôt éditeur, tantôt hébergeur [7]. En effet, Dailymotion ou Youtube exercent des activités à mi-chemin entre la simple prestation technique et les choix éditoriaux.
L'Assemblée Nationale commanda un rapport d'application sur la LCEN en 2007 [8]. Celui-ci indiquait déjà que les frontières entre les acteurs de l'Internet avaient tendance à s'estomper devant des pratiques de plus en plus polyvalentes : « l'évolution de l'action d'hébergement suppose de légiférer rapidement, voire de façon urgente, pour fixer plus précisément les limites au sein desquelles le statut d'hébergeur, qui est un statut exonératoire de responsabilité, s'applique. Autant la loi doit être appliquée, autant elle doit régir une réalité. L'une des pistes est sans doute l'éclatement du statut d'hébergeur, en fonction du caractère plus ou moins actif de l'hébergement ».
Voir aussi
Liens externes
Notes et références
- ↑ Directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l'information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur («directive sur le commerce électronique»), Journal officiel n° L 178 du 17/07/2000 p. 0001 - 0016
- ↑ Digital Millennium Copyright Act, 112 Stat. 2860 (1998); voir aussi GINSBURG (J.), « Chronique des Etats-Unis », in RIDA, janv. 1999, n° 179, p. 143 et s.
- ↑ Cons. const., déc. n° 2004-496 DC, 10 juin 2004, Journal Officiel du 22 Juin 2004
- ↑ amendement proposé par le député Patrice Martin-Lalande, AN, 2e séance, 25 et 26 févr. 2003, JOAN, CR, 26 févr. 2003
- ↑ v. DIONIS DU SEJOUR (J.), député, et HERISSON (P.) et SIDO (B.), sénateurs, « Rapport sur les dispositions restant en discussion du projet de loi », n° 1553, AN, n° 274 Sénat (2002-2003), p. 24
- ↑ v. CARON (Ch.), « Contrefaçon et sites communautaires : état des lieux jurisprudentiel », in Communication Commerce électronique, n° 12, Décembre 2007, comm. 143
- ↑ DERIEUX (E.), « Distinction entre éditeur de service et prestataire technique », in JCP G, 2008, II, 10140 et SASSERATH (O.), « Réflexions sur le statut d'hébergeur selon la directive Commerce électronique », in RLDI, nov. 2008, n° 1416
- ↑ DIONIS DU SEJOUR (J.) et ERHEL (C.), « rapport d'information sur la mise en application de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique », Doc. AN, n° 627, p. 20