Un avocat invité à quitter l’audience par le président d’une juridiction répressive : la chambre criminelle consacre le droit à l’assistance d’un avocat pour un suspect malgré l’absence de mention explicite de ce droit dans le CPP

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Clarisse Surin et Thomas Baudesson, avocats au barreau de Paris [1]
Avril 2024

Dans un arrêt important rendu le 5 mars 2024 (n° 23- 80.229 ) [2], la chambre criminelle de la Cour de cassation consacre la présence de l’avocat de la défense aux côtés de l’avocat mis en cause lors de l’audience de contestation devant le juge des libertés et de la détention et, en appel, devant le président de la chambre de l’instruction (V. dans ce numéro JCP G 2024, 488, note A. Botton).

En creux, cet arrêt consacre le droit à l’assistance de l’avocat dans les perquisitions pénales, un droit généralement contesté par les enquêteurs du fait de l’absence de sa mention explicite dans le CPP.

La garantie d’un droit de procédure en matière pénale doit-elle nécessairement être prévue par un texte, ou peut-elle être simplement déduite des droits fondamentaux, sans mention explicite dans le CPP ? Voici la question à laquelle la chambre criminelle a répondu dans l’arrêt du 5 mars 2024.

Il aura fallu qu’un avocat de la défense soit invité par le président d’une juridiction répressive à quitter une salle d’audience pour que la chambre criminelle reconnaisse qu’un droit peut exister en l’absence d’un texte le prévoyant expressément dans le droit positif national. En l’espèce, un avocat inscrit au barreau de Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélemy, mis en cause pour des faits d’abus de confiance, d’escroquerie en bande organisée et de blanchiment avait vu son cabinet perquisitionné dans le cadre d’une information judiciaire.

S’opposant à cette saisie en raison de son caractère global, le délégué du bâtonnier de l’ordre des avocats avait saisi le juge des libertés et de la détention.

Ce dernier avait désigné un expert informatique pour extraire les éléments pertinents de la saisie, avant d’en ordonner le versement à la procédure. L’avocat mis en cause et le bâtonnier avaient formé un recours contre cette décision. Lors de l’audience d’appel, le président de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Fort-de-France a invité l’avocat de la défense du mis en cause à quitter la salle d’audience au motif que sa présence n’est pas explicitement prévue par l’article 56-1 du CPP.

Il a en outre considéré que la présence du bâtonnier ou de son délégué permettait de veiller à la régularité de la procédure. Soutenant une grave atteinte aux droits de la défense, l’avocat mis en cause et le bâtonnier ont formé un pourvoi en cassation en invoquant une violation des droits de la défense, du droit à l’assistance d’un avocat, des articles préliminaires du CPP, de l’article 16 de la DDHC et de l’article 6, §1, et § 3, c), de la Convention EDH.

C’est au visa de l’article 6, § 3, de la Convention EDH et de l’article préliminaire du CPP que la chambre criminelle a sanctionné le raisonnement du président de la chambre de l’instruction en affirmant que l’absence de mention explicite du droit à l’assistance d’un avocat dans l’article 56-1 du CPP ne permet pas pour autant d’exclure ce droit.

La motivation de la chambre criminelle (« Le fait que l’article 56-1 du CPP ne prévoie pas le droit, pour l’avocat mis en cause, concerné par la saisie, d’être assisté d’un avocat lors de l’audience devant le JLD ou, sur recours, devant le président de la chambre de l’instruction, ne saurait pour autant exclure ce droit ») consacre implicitement le droit à l’assistance d’un avocat dans le cadre des perquisitions pénales. Alors que la présence de l’avocat est explicitement prévue par les textes régissant les perquisitions des autorités administratives, le CPP ne mentionne pas ce droit expressément dans ses articles 56 et 76.

Pourtant, n’est-ce pas le cœur de l’exercice des droits de la défense pour toute personne suspectée que d’être assistée par un avocat au cours d’une mesure intrusive telle que la perquisition ? En cassant l’ordonnance sur le fondement de l’article 6 de la Convention EDH et de l’article préliminaire du CPP, la chambre criminelle souligne l’importance du respect des droits de la défense, et ouvre la voie à une protection accrue des droits de la personne mise en cause au cours des perquisitions pénales.