Un fichage génétique généralisé dès la naissance et votre ADN vendu au privé: bienvenue à Gattaca (us)

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.
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Thierry Vallat, Avocat au Barreau de Paris
Mai 2018







Imaginez que votre enfant nouveau-né soit déjà génétiquement fiché dès sa naissance. Bienvenue à Gattaca ? Non, vous êtes à San Francisco ou Los Angeles en 2018.



C'est en effet ce qui arrive déjà à tout enfant né en Californie, et ce depuis 1983, les petits californiens ayant leur ADN fiché dans une gigantesque banque de données biométriques conservé dans des conditions bien opaques.


Un échantillon d'ADN de chaque nourrisson est ainsi prélevé et stocké pour alimenter un mega-fichier.


Si la loi californienne prévoit que les parents doivent être informés de leur droit d'accès au fichier et de celui de demander sa destruction, il semblerait en revanche que cette information n'est pas donnée systématiquement.


Les fichiers sont stockés dans une biobanque sous forme anonymisée avec seulement un numéro d'identification, le nom correspondant étant détenu dans d'autres fichiers.


Seul un juge peut permettre à un tiers, dont les autorités ou la police, d'obtenir les références de l'ADN identifié


Ce fichage ADN généralisé s'est donc tranquillement mis en place, dans de nombreux Etats dont la Californie .


Officiellement, cette base de données était à l'origine destinée à détecter d’éventuelles nouvelles anomalies génétiques, à mesure que le science progresse.


Elle permet également d’aider à la recherche de personnes disparues ou d’identifier des corps et même de résoudre des énigmes comme la récente découverte du tueur en série "Golden State Killer".


Mais si les prélèvements sont réalisés par des laboratoires publics, ils peuvent aussi être transférés au privé.


La loi the newborn screening law [1] de l'Etat de Californie n'autorise en principe pas le stockage des échantillons ou leur monétisation à des fins de recherche, mais une règlementation séparée [2] de la Direction de la Santé publique de Californie précise que si l'échantillon sanguin et les informations ont été collectées à l'occasion d'un test il devient "propriété de l'Etat" !


On apprend par CBS San Francisco [3] que cet échantillon d'ADN peut être utilisé des fins plus mercantiles puisque des chercheurs privés peuvent les acquérir pour un prix entre 20 $ et 40 $!


Autant dire que l'affaire fait grand bruit du côté de Sacramento ces derniers jours DNA of every baby born in California is stored [4].


En France, un tel fichier ADN prélevé dès la naissance n'est pas envisageable. Il existe bien sur le Fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG), qui gère les empreintes utiles à la résolution d'enquêtes, créé en 1998 et qui comprend les fiches de près de 3,5 millions d'individus prises dans les conditions de collecte et de conservation prévues par l'article 706-54 du code de procédure pénale [5]


L’article 16-1 du Code civil dispose par ailleurs que « le corps humain, ses éléments et ses produits ne peuvent faire l’objet d’un droit patrimonial »


L'ADN d'un individu qui constitue une donnée personnelle comme un élément du corps humain ressort donc du champ d’application de l’article 16-1. Une donnée de santé n’est pas davantage appropriable.


Sur le plan européen, le simple fait de mémoriser des données relatives à la vie privée d’un individu constitue une ingérence au sens de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme qui garantit le droit au respect de la vie privée et familiale, du domicile et de la correspondance.


Rappelons que cet article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme dispose que :


« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».


La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) rappelle pour sa part que:


"Peu importe que les informations mémorisées soient ou non utilisées par la suite (...). Toutefois, pour déterminer si les informations à caractère personnel conservées par les autorités font entrer en jeu [un aspect] de la vie privée (...), la Cour [européenne des droits de l’homme] tiendra dûment compte du contexte particulier dans lequel ces informations ont été recueillies et conservées, de la nature des données consignées, de la manière dont elles sont utilisées et traitées et des résultats qui peuvent en être tirés (...). " (S. et Marper c. Royaume-Uni, arrêt (Grande Chambre) du 4 décembre 2008, § 67)


Il n'est donc pas possible en Europe de procéder à la collecte et la rétention indéfinie d’empreintes digitales, d’échantillons de cellules et de profils d’ADN.


La Chine n'a pas ces préoccupations. Le ministère chinois de la sécurité publique, qui supervise une gigantesque base de données, aurait déjà collecté des informations pour plus de 50 millions de personnes actuellement (3% de la population) et en progression constante. La Chine affirme posséder ainsi la plus grande base de données ADN du monde. À titre de comparaison, aux États-Unis, l’indice national d’ADN du FBI ne compte que 12,7 millions de profils de délinquants. Même l’ADN semble ainsi appartenir au Parti communiste chinois. et le votre, pourrez vous en disposer librement ?


(source: CBS DNA of every baby born in California is stored) [6]


LIre également notre article Big Data santé: aspirées par Google ou stockées vos données médicales sont-elles en danger ? [7]