Vers la vaccination obligatoire contre la Covid ? Que dit le droit de la santé ? Que répondent les droits fondamentaux ? (fr)
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Xavier Bioy, Professeur à l’Université Toulouse Capitole, Institut Maurice Hauriou, Codirecteur des Masters « Droit des libertés » et « Ethique, soin et recherche » [1]
Juillet 2021
La presse se fait l’écho des consultations lancées, auprès des élus et des experts, par le gouvernement, en vue d’imposer la vaccination à tout ou partie de la population. Le Conseil d’orientation de la stratégie vaccinale, placé auprès du ministre des Solidarités et de la Santé, a déjà rendu un avis, le 24 juin 2021, levant les doutes qu’avait formulé fin 2020 la Haute autorité de santé quant à l’obligation vaccinale, et se disant favorable à l’obligation pour les professionnels des secteurs sanitaire et médico-social.
Les vaccins sont désormais disponibles, leurs effets mieux connus, le contexte pandémique toujours tendu et alarmant en raison de variants toujours plus contagieux, alors que la campagne fondée sur le volontariat ralentit et que débutent les relâchements des comportements estivaux. Les mesures d’incitation, notamment le « passe sanitaire » [2], n’y suffisent pas. Alors que d’autres vaccins, pour certaines pathologies bien moins contagieuses ou dangereuses que la Covid-19, sont d’ores et déjà obligatoires, tout semble réuni pour une obligation, à part sans doute l’acceptation sociale de nombreux intéressés, même si des sondages font état d’une relative majorité favorable dans la population… dont les vaccinés.
Pourrait-on imposer la vaccination à tout ou partie de la population ?
Chacun sait que les vaccins obligatoires existent déjà et que nos juges en ont déjà examiné la conformité à l’Etat de droit.
À l’origine, cette obligation vaccinale résulte de la loi du 15 février 1902 [3] (variole). S’y sont ensuite ajoutés les vaccins contre la diphtérie (1938), le tétanos (1940), la poliomyélite (1964), … jusqu’à l’extension à onze vaccins par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 [4].
Le Conseil constitutionnel a jugé que le législateur n’avait pas porté atteinte à l’exigence constitutionnelle de protection de la santé en instituant les obligations infantiles de vaccination.
Le législateur peut ainsi « définir une politique de vaccination afin de protéger la santé individuelle et collective », de même qu’il peut « modifier les dispositions relatives à cette politique de vaccination pour tenir compte de l’évolution des données scientifiques, médicales et épidémiologiques » (Déc. n° 2015-458 QPC du 20 mars 2015, Époux L. cons. 10 [5]).
Le Conseil d’Etat (CE, 26 novembre 2001, Ass. Liberté Information Santé, n° 222741 et CE, 6 mai 2019, n° 419242 [6] et n° 415694 [7]) en a examiné la conventionnalité, estimant que « ces dispositions ont pour effet de porter une atteinte limitée aux principes d’inviolabilité et d’intégrité du corps humain invoqués par les requérants, [mais qu’]elles sont mises en œuvre dans le but d’assurer la protection de la santé, (…) et sont proportionnées à cet objectif (…) dès lors, elles ne méconnaissent pas le principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité de la personne humaine (ni) de la liberté de conscience ».
Il tient compte, pour ce faire, de la gravité des maladies, de l’efficacité de ces vaccins et de la nécessité de les rendre obligatoires pour atteindre une couverture vaccinale satisfaisante pour l’ensemble de la population.
La Cour européenne a émis une opinion semblable, enfin, dans un arrêt qui ne saurait être trop extrapolé hors du cas soumis et en raison d’un rappel appuyé de la marge nationale d’appréciation (CEDH, 8 avril 2021, Vavřička et autres c. Rép. Tchèque, nos 47621/13).
Elle y fait part d’un consensus sur les enjeux de la vaccination, mais pas nécessairement quant aux modalités, notant que certains pays n’imposent pas de vaccination quand d’autres y recourent au nom de la nécessité d’une couverture collective.
Dans cette affaire, il s’agissait de vaccins longuement éprouvés qui ne suscitent plus que des contestations marginales chez les adversaires radicaux de toute vaccination.
Il en va tout autrement des vaccins anti-covid (même sans parler, improprement en raison de l’existence d’une autorisation de mise sur le marché, même conditionnelle, d’expérimentation biomédicale).
Quelles limites la protection des droits apporte-t-elle ?
Les Cours constitutionnelles saisies à l’étranger ont posé certaines exigences comme l’institution d’un mécanisme effectif d’indemnisation en cas d’effets secondaires indésirables ou encore d’un mécanisme permettant d’exclure de la vaccination les individus présentant des contrindications médicales (cf. Italie, n° 268/2018, 22 novembre 2017 ; Slovénie, 12 février 2004, n° U-I-127/01). Loin de conduire à refuser la vaccination, elles réaffirment l’obligation parentale de protection des enfants.
Rappelons que la notion d’obligation n’implique pas une exécution forcée de la vaccination ; sans doute serait-ce même exclu par l’article 3 CEDH [8]. Les juges regardent que la sanction, de nature administrative (type éviction scolaire), plus rarement pénale (pécuniaire), demeure proportionnée à l’objectif. Le consentement ne peut donc être forcé, mais fortement incité.
Le Conseil d’Etat (CE, 6 mai 2019, n°415694 [9] et n°419242 [10]) a donné sa lecture de la compatibilité de l’obligation vaccinale avec la Convention de Rome (articles 8 et 9) et avec l’article 5 de la Convention [11] pour la protection des droits de l’homme et de la dignité de l’être humain à l’égard des applications de la biologie et de la médecine (Oviedo, 4 avril 1997) ; il a posé en ces termes les équilibres en jeu : « Il doit exister un rapport suffisamment favorable entre, d’une part, la contrainte et le risque présentés par la vaccination pour chaque personne vaccinée et, d’autre part, le bénéfice qui en est attendu tant pour cet individu que pour la collectivité dans son entier, y compris ceux de ses membres qui ne peuvent être vaccinés en raison d’une contre-indication » médicale, compte tenu à la fois de la gravité de la maladie, de son caractère plus ou moins contagieux, de l’efficacité du vaccin et des risques ou effets indésirables qu’il peut présenter ».
La logique des droits fondamentaux nécessite aussi de déterminer si l’Etat peut se contenter d’obliger une partie seulement de la population alors qu’elle est concernée dans sa totalité.
Jusqu’ici les obligations peuvent ne concerner que les personnes exposées (voyageurs ou professions particulières) pour éviter la propagation. Dans le cas du Covid, les motifs de limitation aux « soignants » convainquent moins, faute d’adéquation aux objectifs.
Pour déjouer l’argument de la rupture d’égalité, il faudra justifier de l’adéquation de la catégorie « soignant » au but qu’est la couverture vaccinale ou la protection de tous… S’il s’agit de protéger les patients (supposés vulnérables mais qui n’ont pas voulu courir eux-mêmes le risque vaccinal…), on objectera que les soignants ne sont pas seuls à leur contact, que leur situation n’est pas en soi différente d’autres sources de contamination et que cela ne satisfait pas, en soi, les ambitions de protection collective. L’argument ne porte que couplé avec l’obligation de protection pour soi-même, demandée par l’employeur. L’exemplarité ne peut s’imposer sinon ainsi.
Pourrait-on imaginer une « objection vaccinale » ?
Il reste que les contrôles juridictionnels ainsi opérés se cantonnent à une approche abstraite et générale, confrontant les objectifs de santé publique d’une bonne couverture vaccinale à la faiblesse et la rareté des risques encourus. Les juges chaussent les lunettes des épidémiologistes et refusent presque toujours de substituer leur appréciation à celle du gouvernement, appuyée sur des expertises officielles et des cultures hygiénistes bien ancrées. Ils ne contrôlent en particulier pas la subsidiarité en vérifiant qu’une politique d’incitation forte ne suffirait pas (notamment par une récompense, comme cela se pratique parfois – aux Etats-Unis et même en France [12]). Les conflits entre droits (à l’intérieur du cercle des droits d’un même individu et avec les droits d’autres) s’en trouvent réduits, parfois même niés. Or, au niveau de l’individu, celui qui intéresse les droits fondamentaux, les équilibres sont autres.
Si on avait affaire à un vaccin purement égoïste (ne protégeant que la personne), le raisonnement pourrait conduire à exclure toute obligation ; mais dans l’hypothèse où il vise à limiter la contagion (ce qui semble avéré depuis peu pour le Covid), l’Etat peut prendre la main.
On peut tout de même se demander si l’Etat de droit n’appelle pas à une possibilité d’exemption, d’objection de conscience, non pas pour motif médical, mais pour respecter la liberté de conscience.
L’arrêt Vavřička [13] n’a pas exclu la possibilité d’invoquer l’article 9 de la Convention [14] (tout en l’écartant en l’espèce) mais cela nécessite de faire état de convictions fortes, établies et cohérentes. Adoptant le raisonnement de l’arrêt Bayatyan c. Arménie (CEDH, 27 oct. 2009) [15], on pourra imaginer une « objection de conscience vaccinale » ménageant à une toute petite minorité militante, la possibilité de sortir de la solidarité nationale, dans l’hypothèse d’un équilibre individuel et complet, mettant en balance les avantages pour autrui et les risques pour soi. Difficilement mise en œuvre devant les juridictions (elle le serait dans le contentieux du refus), une procédure administrative non contentieuse pourrait y satisfaire, comme autrefois pour le service militaire. Au demeurant, on imagine bien que les Etats, nourris de biopouvoir, surtout dans l’urgence pandémique, ne verront pas cela d’un bon œil.