Vote du legal privilege : quelle confidentialité pour les juristes d’entreprise ?

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.
 France >  Loi d’orientation et de programmation de la Justice &  Secret

Antoine Adeline, Stéphanie Simon, avocats au barreau de Paris et Emma Favier [1]
Août 2023


L’Assemblée nationale a voté le 10 juillet 2023 l’article 19 du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la Justice [2], relatif à la reconnaissance en droit français d’un legal privilege pour les juristes d’entreprise.

L’introduction en droit français de la confidentialité des consultations internes des juristes d’entreprise a ainsi fait un grand pas en avant, mais le contenu exact du nouvel article 58-1 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 n’est pas définitif pour autant, car plusieurs amendements ont été apportés au texte initial. Si la discussion en commission mixte paritaire ne devrait pas toucher aux apports généraux de la réforme, elle pourrait permettre de corriger certains de ses défauts.

"La confidentialité des consultations internes des juristes d’entreprise sera attachée au document, et non à la personne du juriste qui en est l’auteur"

En l’état, la réforme consacre la confidentialité des consultations internes des juristes d’entreprise, de sorte qu’elles ne pourront plus être divulguées dans le cadre de procédures contentieuses. La confidentialité des consultations internes des juristes d’entreprise sera attachée au document au cas par cas, et non à la personne du juriste qui en est l’auteur. A cet égard, l’auteur devra être titulaire d’un master en droit ou d’un diplôme équivalent français ou étranger, et justifier du suivi de formations initiale et continue en déontologie.

La réforme ne consacre pas l’existence d’une nouvelle profession réglementée.

En pratique, la confidentialité de la consultation interne supposera l’apposition de la mention « confidentiel – consultation juridique – juriste d’entreprise » sur le document visé. En outre, nonobstant cette mention apposée, l’entreprise pourra décider de lever la confidentialité.

Certaines des critiques adressées à l’encontre de cette réforme n’ont pour autant pas disparu.

  • D’une part, le nouvel article 58-1 de la loi de 1971 subordonnerait la confidentialité d’un document à de multiples critères cumulatifs. En plus de la formation juridique et déontologique que devra avoir suivi son auteur et l’apposition d’une mention sur le document, ce dernier ne pourra être adressé qu’à certaines personnes désignées par la loi, à savoir « au représentant légal, à son délégataire, à tout autre organe de direction, d’administration ou de surveillance de l’entreprise qui l’emploie, à toute entité ayant à émettre des avis auxdits organes, aux organes de direction, d’administration ou de surveillance de l’entreprise qui, le cas échéant, contrôle au sens de l’article L. 233-3 du code de commerce l’entreprise qui emploie le juriste d’entreprise ainsi qu’aux organes de direction, d’administration ou de surveillance des filiales contrôlées, au sens du même article L. 233-3, par l’entreprise qui emploie le juriste d’entreprise ».
  • Les documents couverts par la confidentialité devront, d’autre part, faire l’objet d’une identification et d’une traçabilité particulières dans les dossiers de l’entreprise et, le cas échéant, dans les dossiers de l’entreprise membre du groupe qui est destinataire de ces consultations.
  • La confidentialité des consultations de leurs juristes est par ailleurs source d’incertitude juridique pour les entreprises, car elle reste susceptible d’être contestée. En toutes hypothèses, la confidentialité ne sera pas opposable dans le cadre d’une procédure pénale ou fiscale.

Pour rendre le legal privilege à la française véritablement efficace et attractif, il conviendrait que la commission mixte paritaire en simplifie la mise en œuvre pratique.