Abus de position dominante, rabais de fidélité, test AEC, examen approfondi des circonstances d’espèce (eu)

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Arrêt de la Grande Chambre de la Cour de justice de l’Union européenne
Date : Septembre 2017



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Saisie d’un pourvoi formé par Intel Corporation à l’encontre de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 12 juin 2014 Intel / Commission (aff. T-286/09), la Grande chambre de la Cour de justice de l’Union européenne a, notamment, interprété l’article 102 TFUE.


Dans l’affaire en cause, la requérante a été l’objet d’une série d’investigations lancées au mois de mai 2004 par la Commission européenne avant de se voir notifier plusieurs communications des griefs relatives à son comportement à l’égard de plusieurs grands équipementiers informatiques. La décision litigieuse a mis en cause deux types de comportements adoptés par la requérante à l’égard de ses partenaires commerciaux, à savoir, d’une part, des rabais conditionnés à ce que lesdits équipementiers achètent auprès d’elle la totalité ou la quasi-totalité de leurs CPU x86, processeurs dont l’architecture permet le fonctionnement des systèmes d’exploitation Windows et Linux et, d’autre part, des restrictions non déguisées, à savoir l’octroi de paiements aux équipementiers afin qu’ils retardent, annulent ou restreignent la commercialisation de certains produits équipés dudit processeur. La Commission a conclu à l’existence d’une violation unique et continue de l’article 102 TFUE et a infligé à la requérante une amende de 1,06 milliard d’euros.


La requérante a formé un recours devant le Tribunal de l’Union européenne, fondé, notamment, sur la démonstration insuffisante des restrictions de la concurrence, l’absence de compétence de la Commission, l’application incorrecte des lignes directrices pour le calcul des amendes et l’absence de démonstration du caractère anticoncurrentiel de son comportement. Le recours a été rejeté et la requérante a décidé de former un pourvoi à l’encontre de l’arrêt du Tribunal, invoquant, à cette occasion, six moyens tirés, notamment, du défaut d’examen du rabais litigieux, de l’erreur de droit dans le constat de l’absence d’un vice de procédure et de l’application erronée des critères relatifs à la compétence de la Commission.


Saisie dans ce contexte, la Cour de justice n’a opéré de contrôle qu’à l’égard des trois moyens précités.


● En premier lieu, s’agissant de la compétence de la Commission, selon la requérante, le Tribunal aurait confirmé à tort la compétence de la Commission pour appliquer l’article 102 TFUE à l’égard de certains accords conclus entre Intel et Lenovo au cours des années 2006 et 2007. En outre, le Tribunal aurait commis une erreur de droit en admettant, pour la détermination de la compétence de la Commission, le critère des effets qualifiés alors que seul le critère de la mise en oeuvre constituerait un tel titre de compétence.


– La Cour rappelle que les règles de concurrence de l’Union tendent à appréhender les comportements des entreprises qui limitent le jeu de la concurrence au sein du marché intérieur et que le fait pour une entreprise d’être située dans un Etat tiers ne fait pas obstacle à l’application de ces règles dès lors que le comportement produit ses effets sur le territoire du marché intérieur. Le critère des effets qualifiés poursuit le même objectif, à savoir appréhender des comportements qui n’ont pas été adoptés sur le territoire de l’Union mais dont les effets concurrentiels sont susceptibles de se faire sentir sur le marché intérieur. Ce critère peut donc servir de fondement à la compétence de la Commission dans la mesure où il est prévisible que le comportement en cause produise un effet immédiat et substantiel dans l’Union.


– Dans la mesure où le Tribunal a jugé que le comportement d’Intel à l’égard de Lenovo relevait d’une stratégie d’ensemble visant à ce qu’aucun ordinateur portable de Lenovo équipé d’un CPU d’équipementiers concurrents ne soit disponible sur le marché, la Cour juge que c’est à bon droit qu’il a considéré que ce comportement était susceptible d’avoir un effet immédiat.


● En deuxième lieu, s’agissant des vices de procédure allégués, la requérante faisait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant que la Commission n’avait pas violé l’article 19 du règlement 1/2003/CE relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité (ci-après « le règlement 1/2003 »), lu en combinaison avec l’article 3 du règlement 773/2004/CE relatif aux procédures mises en œuvre par la Commission en application des articles 81 et 82 du traité CE (ci-après « le règlement 773/2004 »). Elle alléguait également que le Tribunal a eu tort d’admettre que le vice de procédure résultant de cette violation pouvait être corrigé par la communication d’une note comprenant les points de l’ordre du jour de l’entretien en cause.


– La Cour considère, tout d’abord, qu’il ressort du libellé même de l’article 19 §1 du règlement 1/2003 que celui-ci a vocation à s’appliquer à tout entretien visant la collecte d’informations relatives à l’objet d’une enquête et qu’aucun élément ne permet d’inférer que le législateur a entendu introduire une distinction entre deux catégories d’entretiens ou d’exclure du champ d’application certains d’entre eux. Il n’y a donc pas lieu de distinguer parmi les entretiens effectués par la Commission dans le cadre d’une enquête entre des entretiens formels et des entretiens informels lesquels se situeraient hors du champ d’application de cette disposition. En outre, la Cour relève que l’article 3 §1 du règlement 773/2004 ne signifie pas que l’enregistrement de l’entretien revêt un caractère facultatif mais que la Commission est tenue d’avertir la personne concernée de l’enregistrement envisagé.


– De plus, en vertu de l’article 3 §3 du règlement 773/2004, il pèse sur la Commission une obligation d’enregistrer, sous la forme de son choix, tout entretien mené par elle, au titre de l’article 19 du règlement 1/2003 aux fins de collecter des informations relatives à l’objet d’une enquête. En outre, c’est à tort, selon la Cour, que le Tribunal a considéré que la communication d’une note interne à Intel au cours de la procédure administrative avait corrigé la lacune initiale de cette procédure tenant à l’absence d’enregistrement de l’entretien en cause. Néanmoins, la Commission ne s’est pas appuyée, dans sa décision, sur des informations obtenues lors d’un entretien qui n’avait pas fait l’objet d’un enregistrement pour mettre en cause la requérante. Il s’ensuit, selon la Cour, que les erreurs de droit dont est entaché l’arrêt attaqué, ne sont pas de nature à invalider la conclusion selon laquelle la procédure administrative n’est pas entachée d’une irrégularité susceptible d’entraîner l’annulation de la décision litigieuse.


● En dernier lieu, s’agissant de la qualification d’abus de position dominante, la requérante soutenait que les rabais de fidélité ne pouvaient être qualifiés d’abusifs qu’après un examen de toutes les circonstances pertinentes visant à déterminer si les rabais sont susceptibles de restreindre la concurrence, incluant un examen du niveau des rabais en cause, de leur durée, des parts de marché concernées, des besoins des clients et de la capacité des rabais d’évincer un concurrent aussi efficace (as efficient competitor test, ci-après « le test AEC »).


– La Cour rappelle, tout d’abord, que le fait de lier des acheteurs par une obligation ou une promesse de s’approvisionner pour la totalité ou pour une part considérable de leurs besoins exclusivement auprès de ladite entreprise constitue une exploitation abusive d’une position dominante au sens de l’article 102 TFUE, que l’obligation soit simplement stipulée ou qu’elle trouve sa contrepartie dans l’octroi d’un rabais. Si l’entreprise soutient, au cours de la procédure administrative, que son comportement n’a pas eu la capacité de restreindre la concurrence et, en particulier, de produire les effets d’éviction reprochés, la Commission est non seulement tenue d’analyser l’importance de la position dominante de l’entreprise sur le marché pertinent et le taux de couverture du marché par la pratique ainsi que les conditions et modalités d’octroi des rabais, leur durée et leur montant, mais elle est également tenue, selon la Cour, d’apprécier l’existence éventuelle d’une stratégie visant à évincer les concurrents au moins aussi efficace.


– En l’occurrence, la Commission a souligné la capacité de restreindre la concurrence de sorte qu’une analyse de l’ensemble des circonstances de l’espèce n’était pas nécessaire et, à cet égard, le test AEC a revêtu une importance réelle dans cette analyse. Le Tribunal était donc tenu d’examiner l’ensemble des arguments d’Intel formulés au sujet de ce test. Ayant jugé qu’il n’était pas nécessaire d’examiner si le test AEC avait été effectué dans les règles de l’art et qu’il n’était pas nécessaire d’examiner si les calculs alternatifs proposés par Intel avaient été effectués de manière correcte, il a dénié toute pertinence au test AEC.


En conséquence, selon la Cour, il convient d’annuler l’arrêt attaqué en ce que le Tribunal s’est abstenu de prendre en considération l’argumentation d’Intel visant à dénoncer les prétendues erreurs commises par la Commission dans le cadre du test AEC.


(Arrêt du 6 septembre 2017, Intel / Commission, aff. C-413/14 P)