Accident médical non fautif – Indemnisation par l’ONIAM – Précision sur la notion d’acte de soins et l’appréciation de l’anormalité du dommage (fr)

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Nora Mazeaud, avocat au barreau de Paris


Cass. civ. 1re, 19 juin 2019, n°18-20.883 [1]


L’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 19 juin 2019 (pourvoi n°18-20.883), qui apporte des précisions sur les critères d’indemnisation d’un accident médical non fautif, est à signaler à un double titre. La diffusion de l’arrêt sur le site internet de la Cour de cassation démontre d’ailleurs que celle-ci entend lui accorder une large portée.


Était en discussion en l’espèce l’indemnisation par l’ONIAM d’un accident médical non fautif consécutif à des manœuvres obstétricales réalisées lors d’un accouchement par voie basse ayant entraîné une paralysie du plexus brachial droit chez l’enfant.


Les manœuvres obstétricales pratiquées par un professionnel de santé lors d’un accouchement sont bien constitutives d’un acte de soins

L’arrêt doit tout d’abord être signalé car il est l’occasion pour la Cour de cassation de distinguer entre l’accouchement et les manœuvres obstétricales et de préciser de manière claire, à l’occasion de l’examen de la première branche du moyen, que « si l’accouchement par voie basse constitue un processus naturel, les manœuvres obstétricales pratiquées par un professionnel de santé lors de cet accouchement caractérisent un acte de soins au sens de l’article L.1142-1 du Code de la santé publique ».


Cette distinction, sous forme d’attendu de principe, démontre la volonté de la Cour de cassation de clarifier cette question. On relèvera que la qualification d’actes de soins pour les manœuvres obstétricales n’était pas directement discutée par la première branche du pourvoi, qui se limitait à contester la démonstration d’une imputabilité du dommage à l’acte de soins.


La lecture de l’arrêt d’appel révèle toutefois que cette qualification avait été initialement contestée par l’ONIAM, ce qui montre que la clarification apportée par la Cour de cassation n’est pas inutile (l’arrêt d’appel relève en effet que « l’ONIAM ne discute plus devant la cour que si l’accouchement par voie basse ne constitue pas en soi un acte médical, les manœuvres effectuées par la sage-femme et le gynécologue obstétricien lors de l’accouchement sont nécessairement regardées comme tel », CA Aix-en-Provence, 7 juin 2018, n°17/04014).


Le refus de qualification d’« acte de soins », au sens de l’article L. 1142-1 du Code de la santé publique, de l’accouchement par voie basse n’est pas nouvelle (Cass. civ. 1re, 23 janvier 2019, n°18-10.706, publié ; CE, 27 juin 2016, 4ème et 5ème chambre réunies, n°386165, publié ; décisions précisant que l’obligation d’information prévue par l’article L.1111-2 du Code de la santé publique n’est cependant pas écartée).


Une conception stricte de la notion d’acte de soins exclut en effet que l’accouchement par voie basse, acte physiologique, puisse recevoir cette qualification.


En revanche, la présente décision permet de confirmer que « les manœuvres obstétricales pratiquées par un professionnel de santé » lors de l’accouchement revêtent bien la qualification d’« acte de soins », pouvant donc ouvrir droit à indemnisation si les conditions sont réunies.


On relèvera que la présente décision se limite à viser les « manœuvres obstétricales » et n’a pas vocation à remettre en question les jurisprudences antérieures refusant la qualification d’acte de soins aux accouchements par voie basse, sans manœuvres obstétricales, affectés de complication (rupture utérine par exemple).


L’anormalité du dommage doit s’apprécier en tenant compte du taux de survenance de la complication envisagée dans toutes ses conséquences

L’arrêt de la Cour de cassation apporte ensuite des précisions utiles quant à l’appréciation de la condition d’anormalité du dommage posée par l’article L. 1142-1, II du Code de la santé publique.


Pour ouvrir droit à une indemnisation au titre de la solidarité nationale, il est en effet nécessaire d’établir que le préjudice présente outre un caractère de gravité (non discuté dans l’espèce commentée), un caractère d’anormalité.


En application de l’article L. 1142-1, II du Code de la santé publique, l’accident médical doit en effet avoir eu pour le patient « des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l’évolution prévisible de celui-ci ». Aucune définition de cette condition d’anormalité n’étant cependant précisée.


La jurisprudence tant du Conseil d’État (CE, 12 décembre 2014, deux arrêts, n°355052, publié et n°365211), que de la Cour de cassation (Cass. civ. 1re, 15 juin 2016, n°15-16.824, publié), considère que « la condition d’anormalité du dommage prévue par ces dispositions doit être regardée comme remplie lorsque l’acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie de manière suffisamment probable en l’absence de traitement ; que, dans le cas contraire, les conséquences de l’acte médical ne peuvent être considérées comme anormales sauf si, dans les conditions où l’acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible ; qu’ainsi, elles ne peuvent être regardées comme anormales au regard de l’état de santé du patient lorsque la gravité de cet état a conduit à pratiquer un acte comportant des risques élevés dont la réalisation est à l’origine du dommage ».


En l’espèce, l’anormalité du dommage ne pouvait résulter de la première hypothèse tenant à la gravité des conséquences puisque l’acte médical en cause avait permis d’éviter le décès possible de l’enfant ; en revanche la question se posait de savoir si l’anormalité pouvait résulter de la deuxième hypothèse tenant à la faible probabilité de la survenance du dommage.


S’agissant de la probabilité de survenance du risque envisagé, aucun taux n’est posé par les textes ni par la jurisprudence, même si en pratique le taux de référence appliqué, et notamment retenu par les CCI, est un taux de 5 %. En l’espèce, ce n’était pas tant la question du taux maximal de survenance du risque qui était en discussion, mais celle de la détermination des éléments à prendre en considération pour fixer ce taux.


Sur ce point l’arrêt de la Cour de cassation, reprenant les principes énoncés ci-dessus, précise « que, pour apprécier le caractère faible ou élevé du risque dont la réalisation a entraîné le dommage, il y a lieu de prendre en compte la probabilité de survenance d’un événement du même type que celui qui a causé le dommage et entraînant une invalidité grave ou un décès ».


Elle s’inscrit donc ici dans la même ligne que la jurisprudence du Conseil d’Etat qui avait déjà apporté cette même précision (CE, 15 octobre 2018, n°409585, publié).


En l’espèce, le pourvoi formé par l’ONIAM reprochait notamment à la cour d’appel d’avoir déterminé « la probabilité de survenance du dommage au regard de la probabilité que la lésion du plexus brachial entraîne des séquelles permanentes, et non au regard de la probabilité que les manœuvres obstétricales entraînent une telle lésion, qu’elle a évaluée entre 10 et 25 % ».


En d’autres termes, il faisait valoir que la survenance d’une lésion du plexus brachial dans le contexte présenté était fréquente et que la cour d’appel ne pouvait retenir que le critère de l’anormalité était rempli en se fondant sur la fréquence des conséquences de la lésion, ici des séquelles permanentes dont elle retenait qu’elles étaient plus rares que des séquelles temporaires.

Le raisonnement de l’ONIAM déjà soumis à la cour d’appel, n’avait pas été suivi par celle-ci qui avait considéré que « pour évaluer cette fréquence de survenue, il convient de s’attacher à la pathologie effective du bébé dans toutes ses composantes et ses conséquences »' et que « si la survenance d’une élongation du plexus brachial est une complication fréquente subie par un enfant ayant présenté au cours de l’accouchement une dystocie des épaules, les séquelles permanentes à type de paralysie sont-elles, beaucoup plus rares, puisque correspondant entre 1 % et 2,5 % de ces cas ; que la faible fréquence de survenue de la permanence des séquelles de la paralysie permet donc de caractériser le dommage anormal subi ».


La Cour de cassation conforte ici ce raisonnement.


Après avoir relevé que « l’arrêt retient que, si l’élongation du plexus brachial est une complication fréquente de la dystocie des épaules, les séquelles permanentes de paralysie sont beaucoup plus rares, entre 1 % et 2,5 % de ces cas, de sorte que la survenance du dommage présentait une faible probabilité », elle approuve la cour d’appel d’ « en [avoir] exactement déduit, sans se contredire, que l’anormalité du dommage était caractérisée, et que, par suite, l’ONIAM était tenu à indemnisation au titre de la solidarité nationale ».


L’anormalité résultant de la faible survenance du dommage doit donc être appréciée au regard de la complication prise dans toutes ses conséquences et son ampleur, ce qui est finalement conforme à la lettre de l’article L.1142-1, II du Code de la santé publique qui se réfère à la notion de « conséquences anormales [pour le patient] au regard de son état de santé comme de l’évolution prévisible de celui-ci ».