Accord entre l’Union européenne et le Maroc, Application territoriale de l’accord (Arrêt de la CJUE) (eu)

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Date: Juin 2017

(Arrêt du 21 décembre 2016, Conseil / Front Polisario, aff. C-104/16 P)


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Saisie d’un pourvoi introduit par le Conseil de l’Union européenne à l’encontre de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 10 décembre 2015 (aff. T-512/12) par lequel celui-ci a annulé sa décision 2012/497/UE concernant la conclusion de l’accord sous forme d’échange de lettres entre l’Union européenne et le Royaume du Maroc relatif aux mesures de libéralisation réciproques en matière de produits agricoles, de produits agricoles transformés, de poissons et de produits de la pêche (ci-après « la décision »), la Cour de justice de l’Union européenne a annulé l’arrêt du Tribunal.

Dans son arrêt, le Tribunal a accueilli le recours en annulation formé par le Front Polisario, mouvement promouvant l’indépendance du Sahara occidental, contre la décision du Conseil et annulé celle-ci en ce qu’elle approuve l’application de l’accord commercial en cause au Sahara occidental. D’une part, le Tribunal a jugé le Front Polisario recevable à introduire un recours en annulation en tant que personne morale directement et individuellement concernée par la décision attaquée. Selon le Tribunal, les dispositions de l’accord produisant des effets sur la situation juridique du territoire du Sahara occidental, contrôlé par le Royaume du Maroc et le Front Polisario étant le seul interlocuteur qui participe aux négociations menées sous l’égide de l’ONU avec le Maroc en vue de la détermination du statut du Sahara occidental, celui-ci était dès lors recevable d’agir en vertu de l’article 263 TFUE. D’autre part, le Tribunal a jugé que le Conseil avait manqué à son obligation d’examiner tous les éléments du cas d’espèce avant l’adoption de la décision attaquée. La question de savoir si l’exploitation des ressources du Sahara occidental, en vue de l’application de l’accord, se faisait ou non au détriment de la population locale aurait dû entrainer un examen du Conseil.

Le Conseil a, dès lors, introduit un pourvoi visant à l’annulation de cet arrêt en contestant, d’une part, l’examen de la recevabilité de l’affaire et, d’autre part, l’examen opéré au fond. L’analyse de la Cour porte uniquement sur la recevabilité du recours porté par le Front Polisario en première instance, en particulier, sur sa qualité à agir.

• Saisie dans ce contexte, la Cour revient, dans un premier temps, sur l’interprétation du Tribunal selon laquelle l’accord de libéralisation s’appliquerait au territoire du Sahara occidental, en vertu d’un accord tacite entre les parties à l’accord d’association Union européenne – Maroc signé en 1996. La Cour rappelle, à cet égard, que pour réaliser cette interprétation, le Tribunal était tenu de tenir compte de toute règle pertinente du droit international applicable dans les relations entre les parties à ce traité. Etant donné l’autonomie de chacune de ces règles, la Cour les examine successivement.

- En premier lieu, en vertu du principe coutumier d’autodétermination, le territoire du Sahara occidental a un statut séparé et distinct par rapport à celui de tout Etat. Ainsi, selon la Cour, les termes « territoire du Royaume du Maroc » figurant dans l’accord de libéralisation ne sauraient être interprétés de sorte que le Sahara occidental soit inclus dans son champ d’application.

- En deuxième lieu, en vertu de la règle coutumière selon laquelle le traité lie chacune des parties à l’égard de l’ensemble de son territoire, la Cour considère qu’afin d’inclure le Sahara occidental dans le champ d’application de l’accord, le traité aurait dû le prévoir expressément, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

- En troisième lieu, en vertu du principe de l’effet relatif des traités, ceux-ci ne doivent ni nuire, ni profiter à des sujets tiers sans leur consentement. Alors que le Tribunal a jugé que ce principe n’était pas pertinent aux fins de l’examen du recours qu’il avait à connaître, arguant des circonstances propres à celui-ci, la Cour juge que ce principe devait être pris en considération dans le cadre de l’interprétation du champ d’application de l’accord, dès lors qu’une application de celui-ci au Sahara occidental aurait conduit à ce que l’accord affecte un « tiers ». Dès lors que le peuple du Sahara occidental doit être regardé comme étant un « tiers » au sens de ce principe et que celui-ci pourrait être affecté par la mise en application de l’accord commercial sur ce territoire, la Cour considère que l’inclusion du Sahara occidental dans le champ d’application de l’accord est contraire au principe de l’effet relatif des Traités. Partant, elle estime que le Tribunal a commis une erreur de droit en estimant que l’Union et le Maroc étaient tacitement d’accord pour appliquer l’accord de libéralisation au territoire disputé.

• La Cour se penche, dans un second temps, sur la prise en compte de l’absence dans l’accord de clause excluant l’application de ce dernier au territoire du Sahara occidental. Le Tribunal a jugé que cette absence permettait de considérer que l’Union et le Maroc étaient tacitement d’accord pour inclure le territoire disputé dans le champ d’application de l’accord.

- En vertu de la règle selon laquelle lorsqu’un traité précise qu’il est subordonné à un traité antérieur ou postérieur ou qu’il ne doit pas être considéré comme incompatible avec cet autre traité, les dispositions de celui-ci l’emportent, l’accord de libéralisation conclu en 2012 et l’accord d’association conclu en 2000 doivent être regardés comme des traités successifs, conclus entre les mêmes parties. L’accord de libéralisation, en cause dans l’affaire du principal étant postérieur et portant aspects précis et limités d’une matière régie par l’accord antérieur, doit être considéré comme subordonné à ce dernier. Selon la Cour, l’accord ne pouvait pas être compris en ce sens que son champ d’application territorial incluait le territoire du Sahara occidental et il n’était besoin d’aucune clause excluant expressément celui-ci dudit champ d’application. Partant, la Cour juge que le Tribunal a commis une erreur de droit en estimant qu’à défaut d’une telle clause, les parties avaient tacitement accepté d’appliquer l’accord au Sahara occidental.

– De plus, la Cour souligne que si le régime de préférences tarifaires prévu par les accords d’association était appliqué dans certains cas aux produits originaires de ce territoire, cette application revêtait seulement un caractère « de facto ». Selon la Cour, le Tribunal ne pouvait pas considérer que cette pratique ultérieure justifiait d’interpréter lesdits accords en ce sens qu’ils s’appliquaient au Sahara occidental. Partant, la Cour annule l’arrêt du Tribunal. Considérant l’affaire en état d’être jugée, elle décide également de statuer définitivement sur le fond du litige. Dès lors que l’accord ne peut être interprété comme s’appliquant au territoire du Sahara occidental, la Cour juge que le Front Polisario ne saurait être regardé comme ayant qualité pour agir en annulation de la décision attaquée. Partant, la Cour juge le recours porté par le Front Polisario contre la décision attaquée irrecevable.

(Arrêt du 21 décembre 2016, Conseil / Front Polisario, aff. C-104/16 P)