Action en responsabilité contre le dirigeant d’une société commerciale : compétence du tribunal de commerce (fr)

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Auteur : Bruno Dondero, professeur agrégé des facultés de droit. Il enseigne, écrit et intervient dans les principales matières du droit des affaires et en droit comparé. - À compter du 1er septembre 2012 : professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne - 2009-2012 : professeur à l'Université de Picardie - 2007-2009 : professeur à l'Université de la Réunion - 2001-2007 : maître de conférences à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et directeur adjoint du CAVEJ




L’arrêt rendu le 14 novembre 2018 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation est relatif à la compétence d’attribution en matière d’action en responsabilité exercée contre le dirigeant d’une société commerciale.

L’arrêt a été mis en ligne sur le site internet de la Cour de cassation et il est promis à publication aux deux Bulletins.

La question et la solution

La plupart du temps, lorsqu’un dommage est causé par une société, l’action en responsabilité est exercée contre la société. Lorsqu’une action en responsabilité est formée contre une société commerciale, la juridiction compétente est généralement le tribunal de commerce, car la société est un commerçant et les actes qu’elle accomplit sont le plus souvent des actes de commerce.

Or, l’art. L. 721-3 du Code de commerce dispose

Les tribunaux de commerce connaissent :

1° Des contestations relatives aux engagements entre commerçants, entre établissements de crédit, entre sociétés de financement ou entre eux ;

2° De celles relatives aux sociétés commerciales ;

3° De celles relatives aux actes de commerce entre toutes personnes.

Toutefois, les parties peuvent, au moment où elles contractent, convenir de soumettre à l’arbitrage les contestations ci-dessus énumérées.

Lorsque l’action en responsabilité vise le dirigeant lui-même, la question est moins évidente, car le dirigeant n’est la plupart du temps pas un commerçant, et les actes de commerce qu’il peut accomplir ne sont faits que pour le compte de la société, qui seule est commerçante.

Une cour d’appel avait considéré que le juge civil était compétent pour statuer sur l’action en responsabilité visant le dirigeant, car le dirigeant n’avait pas la qualité de commerçant et parce que les faits qui lui étaient reprochés ne constituaient pas des actes de commerce ni ne se rattachaient à la gestion de la société par un lien direct.

Une autre action exercée cette fois contre le liquidateur de la société, avait été jugée également de la compétence de la juridiction civile, au motif que le liquidateur n’a pas la qualité de commerçant et n’accomplit pas des actes de commerce.

L’arrêt d’appel est censuré, sur l’un et l’autre point, pour violation de l’art. L. 721-3 du Code de commerce.

S’agissant de la situation du gérant, il est jugé que « les manquements commis par le gérant d’une société commerciale à l’occasion de l’exécution d’un contrat se rattachent par un lien direct à la gestion de celle-ci, peu important que le gérant n’ait pas la qualité de commerçant ou n’ait pas accompli d’actes de commerce », et sur la question du liquidateur, il est jugé que celui-ci, « comme le gérant, agit dans l’intérêt social et réalise des opérations se rattachant directement à la gestion de la société commerciale ».

Donc l’action en responsabilité intentée contre le dirigeant d’une société commerciale (la formule « le gérant d’une société commerciale » est un peu approximative) ou le liquidateur d’une telle société relève de la compétence du tribunal de commerce, du moins tant que les actes sur lesquels l’action est fondée se rattachent à la gestion de la société commerciale (autre petite approximation sur les actes du liquidateur qui se rattacheraient à la « gestion » de la société).

La reprise d’une solution déjà établie

En 2009, un arrêt remarqué par la doctrine avait déjà jugé que l’action en responsabilité exercée contre le dirigeant de fait d’une société commerciale relevait de la compétence du tribunal de commerce (Cass. com., 27 oct. 2009, n° 08-20384, P+B+R+I ; D. 2009, AJ, p. 2679, obs. X. Delpech; D. 2010, p. 296, note B. Dondero ; JCP éd. G 2009, 590, note Ch. Lebel; RLDA déc. 2009, n° 44, p. 10, obs. D. Poracchia et L. Merland ; LPA 29 décembre 2009, p. 9, note B. Brignon ; JCP éd. E 2010, 1017, note J.-P. Legros; RTD com. 2009, p. 766, obs. P. Le Cannu et B. Dondero).

La Chambre commerciale censurait l’arrêt attaqué pour défaut de base légale au regard de l’art. L. 721-3 du Code de commerce, pour n’avoir pas recherché « si les faits allégués ne se rattachaient pas par un lien direct à la gestion de sociétés commerciales, peu important que M. X… ou M. Y… n’ait pas eu la qualité de commerçant non plus que celle de dirigeant de droit de ces sociétés », et après avoir rappelé par un attendu de principe que « les tribunaux de commerce connaissent des contestations relatives aux sociétés commerciales ».

Un arrêt beaucoup plus ancien reconnaissait déjà la compétence de la juridiction commerciale pour une action en responsabilité intentée contre un gérant de SARL, dès lors que les faits fondant l’action se rattachaient par un lien direct à la gestion de la société (Cass. com., 7 avril 1967, n° 64-14121, Bull. IV, n° 129 ; D. 1968, jur., p. 61, note J. Calais-Auloy). La solution avait ensuite été reprise (Cass. com., 27 nov. 1973, n° 72-14646, Bull. IV, n° 343).

Il demeure que la question avait été discutée avant que la Cour de cassation ne l’affirme nettement. Houpin et Bosvieux écrivaient ainsi en 1927 que, pour justifier la compétence du tribunal de commerce, « la jurisprudence se base tant sur le caractère du mandat donné aux représentants de la société et qui emprunterait la nature des opérations qu’ils sont chargés de faire, que sur la théorie de l’accessoire, les actes délictueux dont sont victimes les tiers demandeurs étant connexes à l’exercice d’un commerce » (C. Houpin et H. Bosvieux, Traité général théorique et pratique des sociétés civiles et commerciales et des associations, 6ème éd., t. 1er, Paris, 1927, n° 149, p. 172, note 1). La victime non commerçante devait d’ailleurs avoir le choix d’assigner devant le tribunal de commerce ou devant le juge civil. Le texte donnant compétence au tribunal de commerce pour les litiges entre associés n’était de ce point de vue d’aucune utilité. Une partie de la doctrine avait vivement critiqué la solution précitée. Mais cette solution, précédemment affirmée en jurisprudence, ne pouvait qu’être consolidée par la nouvelle rédaction donnée au texte définissant la compétence du tribunal de commerce.


Observations complémentaires

Trois observations complémentaires.

1. Une sur le litige dans lequel est intervenu l’arrêt commenté, litige qui est intéressant par les stratégies contentieuses qui sont mises en œuvre.

Le point de départ est une relation de franchise entre la SARL et la société SFR. La SARL avait été liée, entre mars 2001 et mars 2005, à la société SFR par des contrats de partenariat et de distribution.

Faisant comme d’autres franchisés, la gérante de la SARL avait demandé en 2007 au conseil de prud’hommes la requalification des contrats de partenariat et de distribution en contrats de travail, et le paiement de sommes au titre d’indemnités de licenciement et de rupture sans cause réelle et sérieuse, ce qu’elle avait obtenu.

Mais au cours de la procédure prud’homale, la société SFR avait contre-attaqué en ouvrant un second front devant le tribunal de commerce, où elle avait assigné la SARL afin qu’il soit statué sur les conséquences de la décision prud’homale sur l’exécution des contrats de partenariat et de distribution.

De cette manière, SFR entendait récupérer auprès de la SARL ce qu’elle avait dû verser à la gérante, du fait de la reconnaissance d’un contrat de travail avec celle-ci.

Mais SFR ne s’était pas arrêtée là, et elle avait reproché à la gérante de la SARL d’être à l’origine du préjudice que lui avait causé l’inexécution par la société de ses obligations contractuelles et à la liquidatrice d’avoir commis une faute dans l’exercice de ses fonctions.


2. Une deuxième observation est relative à la limite de la solution retenue.

Que l’action en responsabilité contre le dirigeant d’une société commerciale relève de la compétence du tribunal de commerce lorsque les faits fondant l’action se rattachent à la gestion de la société est cohérent, mais en ce cas, si l’action est exercée par un tiers, le dirigeant n’engagera pas sa responsabilité, la plupart du temps, puisque la faute sera rattachable à ses fonctions.

Si c’est un tiers qui agit en responsabilité, il faut qu’il prouve une faute séparable des fonctions, ce qui suppose une faute intentionnelle et d’une particulière gravité, incompatible avec l’exercice normal des fonctions sociales (solution retenue depuis Cass. com., 20 mai 2003, n° 99-17092, Bull. IV, n° 84, du moins par les Chambres civiles de la Cour de cassation).

Certes, il est possible que soit commise par le dirigeant d’une société commerciale une faute qui soit :

détachable de ses fonctions de dirigeant ; et qui dans le même temps « se rattache par un lien direct à la gestion de la société », pour reprendre la formule de l’arrêt. Il demeure que souvent, la faute commise par le dirigeant ne permettra pas au tiers d’engager sa responsabilité personnelle, parce qu’elle sera non détachable de ses fonctions.

Le tiers ne pourra alors que rechercher la responsabilité de la société, et celle-ci pourra ensuite, si elle est condamnée, se retourner contre son dirigeant, le tout devant la juridiction commerciale si la société est commerciale !


3. La troisième et dernière observation concerne l’hypothèse où la société fait l’objet d’une liquidation judiciaire et où le dirigeant est visé par une action en comblement de l’insuffisance d’actif (art. L. 651-2 du Code de commerce). Dans ce cas, le tribunal compétent pour statuer sur l’action exercée contre le dirigeant est, aux termes de l’art. R. 651-1 du Code de commerce, la juridiction « qui a ouvert ou prononcé la liquidation judiciaire ». Si la société placée en procédure collective est une société commerciale, l’action en responsabilité exercée contre le dirigeant sera donc de la compétence d’un tribunal de commerce, puisque c’est la juridiction commerciale qui aura ouvert ou prononcé la procédure de liquidation judiciaire (art. L. 641-1, renvoyant à l’art. L. 621-2).