Adaptation audiovisuelle et parasitisme (fr)

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.
 France > Droit civil > Propriété intellectuel >  Propriété littéraire et artistique > Droit d'auteur


Fr flag.png

Auteur : Maître Emmanuel Pierrat
Date: Janvier 2016



L’article 1382 du Code civil est là pour condamner la reprise abusive d’éléments d’un livre non protégeables par la propriété littéraire et artistique.

Le 17 novembre 2015, la Cour d’appel de Paris a ainsi statué sur le cas d’une oeuvre audiovisuelle manifestement inspirée d’un ouvrage de librairie qui traitait d’un conseiller politique majeur de la Vème République. L’auteur et son éditeur estimaient que le documentaire, consacré aux gourous de l’Elysée, était contrefaisant.

Toutefois, les magistrats ont estimé que « les travaux historiques, les informations relatives à la vie politique, incluant les anecdotes et les révélations, de même que les slogans d’une campagne appartiennent à l’histoire ». Ils ont souligné également que « les formulations provenant de tiers ainsi que les terminologies et expressions du langage commun sont dans le domaine public » et que « les idées sont de libre parcours ».

En conséquence de quoi, ils ont considéré, au détriment de l’auteur du livre, que « le focus réalisé (…) sur la période comprise entre 1980 et 1995, le plan chronologique suivi (…) et les points, événements et anecdotes traités (…) de même que son style très imagé propre au genre du journalisme politique ne sont pas protégeables au titre du droit d’auteur ». Et « l’absence de mise en lumière dans le documentaire de l’aventure personnelle du sujet du livre ne permet pas d’y retrouver les caractéristiques essentielles fondant son originalité ».

En revanche, est jugée répréhensible, sur le fondement du parasitisme, « l’utilisation systématique et fautive (…) des informations et anecdotes sélectionnés arbitrairement par l’auteur dans son livre sur la base de l’analyse faite par lui et dans une présentation formelle identique ou voisine ». Et de sanctionner le tout par 20 000 euros de dommages-intérêts.

Rappelons en effet que l’action en concurrence déloyale permet de pallier l’absence de protection par la propriété littéraire et artistique.

Elle est souvent intentée quand le manque d’originalité et donc de protection par le droit d’auteur empêche une action en contrefaçon. Une telle action peut être, par exemple, envisagée pour défendre des apports intellectuels souvent plus proches d’une simple idée ou d’un long travail de recherche et de compilation que d’une œuvre littéraire et artistique en bonne et due forme.

La concurrence déloyale est une notion élaborée par les juridictions sur le fondement des articles 1382 et 1383 du Code civil. Trois éléments sont nécessaires pour qu’une juridiction retienne la qualification de concurrence déloyale : une faute, un préjudice et un lien entre cette faute et ce préjudice.

En matière d’édition, la faute peut consister en deux types bien distincts d’agissements : le risque de confusion et le parasitisme.

Il y a risque de confusion lorsqu’on s’efforce de copier un concurrent afin de tromper le public non averti. Ainsi, celui qui imite une couverture de collection peut-il être poursuivi pour confusion dans l’esprit de la clientèle. Et le risque de confusion s’apprécie toujours par rapport à un consommateur moyen. Il ne faut donc pas considérer que des différences grossières aux yeux de spécialistes puissent exclure une condamnation.

Mais certaines similitudes sont imposées par le type de produit et les techniques utilisées. Elles dépendent aussi parfois de la mode. Par exemple, la vogue des guides touristiques d’un genre nouveau ne doit pas permettre à un éditeur de se réserver un marché par le biais du droit. Il en est de même pour ce qui concerne la présentation des cahiers de vacances, qui peut être imposée par les programmes scolaires ; en particulier lorsque l’éditeur prend soin de ne pas entretenir de confusion avec ses concurrents en faisant distinctement apparaître son nom.

Les agissements parasitaires sont des cas de pillage dont les instigateurs ne cherchent pas, pour autant, à entretenir de confusion aux yeux du public. Il s’agit en réalité pour le pilleur de faire économie de temps ou d’argent. Ce pillage peut s’exercer aussi bien sur des illustrations que sur une composition typographique (par le biais du reprint) ou encore sur une série d’exemples servant à soutenir une argumentation. Le « parasite » cherche à se dispenser d’un effort et à s’inscrire dans le sillage d’un concurrent. On a ainsi coutume de dire qu’il moissonne là où il n’a pas semé.

Dans « l’affaire Maxidico », les juges du tribunal de commerce de Paris ont ainsi estimé qu’« en vendant l’édition 1997 du Maxidico au prix de 99 francs affiché sur la première de couverture, les défenderesses ont délibérément voulu tirer un avantage commercial de la contrefaçon du Petit Larousse illustré, qu’elles ont frauduleusement détourné des parts de marché à leur profit, qu’elles se sont ainsi rendues coupables de parasitisme ».

Pour ce qui concerne deux répertoires de cartes postales, il a été jugé que les informations contenues étaient du domaine public, et que la méthode de classement utilisée relevait des idées (qui ne sont jamais protégées en tant que telles par le droit d’auteur). En revanche, la reproduction d’une sélection de cartes avec les mêmes erreurs relevait de la concurrence déloyale. La sélection en elle-même n’était pas visée, mais les erreurs communes prouvaient que le second auteur avait fait peu d’efforts et s’était contenté de parasiter le travail de son prédécesseur.

Les juges se montrent de plus en plus sévères pour ce qui concerne les recueils d’informations, car ils sont conscients des investissements économiques réalisés. La transposition en droit français de la directive sur les bases de données ne peut que leur donner raison.

La frontière est souvent difficile à établir entre utilisation d’une œuvre appartenant au domaine public et concurrence déloyale. « L’affaire Didot-Bottin » a permis, il y a déjà longtemps, de juger que « les noms, les adresses et les divers renseignements dont se compose un annuaire tel que celui de la société Didot-Bottin sont de notoriété courante et appartiennent (…) au domaine public ».

Toutefois, notons que la concurrence déloyale ne peut être invoquée, en plus de la contrefaçon, que si des actes spécifiques et distincts de la contrefaçon existent. Ainsi, il est possible d’attaquer pour contrefaçon du titre et, parallèlement, pour parasitisme des informations contenues. En revanche, l’absence de référence à un ouvrage contrefait dans la bibliographie est un acte de concurrence déloyale en tant que tel.