Arrêt « SeLoger.com » : des fissures dans la marque, CA Paris Pôle 5, 14 octobre 2014 (fr)

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Auteur : Cabinet Staub & Associés
Avocats au barreau de Paris
Publié le 05/11/2014 sur Immateria, le blog du Cabinet Staub & Associés



CA de Paris, Pôle 5, 14 octobre 2014


Mots clefs : E-commerce, internet, marque, nom de domaine, acquisition par l'usage, distinctivité, validité



Dans un arrêt 14 octobre 2014, la Cour d’appel de Paris a prononcé la nullité partielle des marques « SeLoger » de la société exploitant le service « SeLoger.com » tout en affirmant la validité de certaines marques comportant le « .com » … visite guidée de cette décision riches d’enseignements.



Le dépôt d’une marque a pour but d’empêcher les tiers de faire usage, dans la vie des affaires, d’un signe identique ou similaire pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux du dépôt.

Toutefois, ce titre de « propriété » n’est pas inattaquable : en particulier, en cas d’action en contrefaçon du titulaire de la marque contre un tiers, il est classique que le défendeur contre-attaque en contestant la validité de la marque. Or, la validité d’une marque tient, notamment, à son caractère distinctif, c’est-à-dire sa capacité à identifier une entreprise plutôt qu’une autre et donc à s’éloigner des termes nécessaires ou usuels dans le secteur.

C’est exactement le scénario de l’affaire «  SeLoger.com  » : la société exploitant ce service entendait agir contre l’usage de ses marques par un tiers, à titre de nom de domaine et d’enseigne de signes tels que «  se loger pas cher  » ou en encore «  se loger immo » . Elle lui opposait donc plusieurs marques, verbales et semi-figuratives, avec ou sans le «  .com » , déposées pour de multiples produits et services.

La nullité des marques avait été sollicitée en défense mais refusée par le Tribunal de grande instance de Paris qui a condamné le défendeur pour contrefaçon de marque. Dans son arrêt du 14 octobre 2014, la Cour d’appel de Paris a pris le contre-pied du Tribunal et a, au contraire, prononcé la nullité partielle de certaines marques et plus généralement débouté « SeLoger.com  » de toutes ses demandes.

S’agissant de la validité des marques, la Cour d’appel rappelle tout d’abord les critères de la distinctivité: «  le caractère distinctif d’une marque s’apprécie au regard de tous ses éléments constitutifs pris dans leur ensemble au jour de son dépôt au regard des produits et/ou services désignés et du public auquel les produits ou services s’adressent » .

C’est donc eu égards à tous les produits et services du dépôt que l’appréciation doit être effectuée. En l’espèce, la Cour analyse donc les différents signes (verbaux, semi-figuratifs) et les produits et services respectivement désignés.

L’absence de caractère distinctif des marques «  Se Loger  » pour l’immobilier

Les marques «  Se Loger  » ont été jugées partiellement nulles en raison, selon la Cour, du fait que «  le verbe pronominal “se loger”, qui est ici un élément dominant de la marque litigieuse, est très couramment utilisé dans ce secteur d’activité, dont l’une des fonctions principales est précisément de faciliter, par la diffusion d’informations, la recherche d’un logement pour permettre de “se loger » .

En outre, le dépôt du logo est ici jugé indifférent en raison de l’absence d’effet distinctif de la partie figurative, qui aurait pu éventuellement « rattraper  » le caractère usuel de la partie verbale : «  sa combinaison avec les couleurs simples blanche et rouge, sans précision de nuance pour cette dernière, n’est pas de nature à permettre à la marque dans son ensemble de distinguer les produits ou services visés diffusés sur le marché » .

Toutefois, cette annulation ne vaut que pour les produits et services ayant un rapport avec l’immobilier (schématiquement les bases de données d’annonces immobilières).

Ainsi, ces marques restent valables pour les produits et services qui n’appartiennent pas au domaine immobilier ou du logement (par exemple, journaux et magazines, télécommunication etc.).

Cette solution est sévère mais importante.

Tout d’abord, elle rappelle que les termes courants et usuels pour un secteur déterminé n’ont pas vocation à être déposés à titre de marque, même si dans le monde de l’économie numérique la tentation est forte de vouloir réserver le mot-clé de son activité.

Ensuite, elle dissuade les déposants de contourner le problème en se contentant de déposer une marque semi-figurative qui ne serait qu’une déclinaison de la marque verbale non distinctive sans aucun élément de différenciation par un logo.

Cette décision rappelle le jugement du Tribunal de grande instance de Paris du 28 novembre 2013 dans l’affaire « venteprivee.com » .

Toutefois, elle ménage une porte de sortie pour les marques qui ont, par leur usage, réussi le tour de force d’acquérir un certain degré de distinctivité.

L’acquisition du caractère distinctif par l’usage pour les marques «  SeLoger.com  »


S’agissant des marques verbales et semi-figuratives «  SeLoger.com » , la solution diffère sensiblement, bien qu’il ne faille pas tirer de conclusions trop générales.

La Cour reprend tout d’abord le même raisonnement que pour «  Se Loger  » et rappelle que le « .com  » ne permet pas de distinguer des produits et services s’agissant d’un élément fréquent et nécessaire pour la désignation d’un site internet.

Toutefois, elle considère que  » le vocable “seloger.com” était, au moment du dépôt de la marque en 2006, utilisé de façon notoire par la société Pressimo on Line pour désigner le site internet “ www.seloger.com” proposant un service d’accès à une base de données d’annonces immobilières d’achat et de location ; qu’en effet, il résulte de la présentation générale du site internet que celui-ci, créé en 1996, comptabilisait 922 273 visiteurs en mars 2002 et qu’ il est disponible sur téléphone mobile depuis 2002″.

Par conséquent, ce vocable avait acquis par l’usage et la notoriété un caractère distinctif, possibilité qui est prévue par l’article L.711-2 du Code de la propriété intellectuelle, et ce dès son dépôt.

Citant les chiffres de fréquentation du site et de notoriété, la Cour sauve donc les marques concernées. Finalement, c’est parce que le public était bien susceptible d’identifier ce vocable précis comme renvoyant à une entreprise déterminée, du fait de sa notoriété, que la marque est finalement valable.

Cela signifie que le titulaire de la marque ne peut pas se considérer comme propriétaire du vocable «  se loger  » dans son secteur mais qu’il pourrait théoriquement toujours lutter contre les usurpations faites par un tiers qui voudrait réellement détourner la notoriété acquise par le vocable «  SeLoger.com  » sur le marché.

C’est bien la notoriété du site «  SeLoger.com » , datant des débuts d’internet où l’adjonction du «  .com  » pouvait encore avoir un certain effet distinctif, qui justifie la décision. Il ne faut donc pas voir dans la présence du seul «  .com  » le sésame permettant d’échapper à la nullité d’une marque composée de termes courants. Certains déposants ont pu le croire par le passé, en vain puisque la jurisprudence considère régulièrement que l’extension ne permet pas de différencier les entreprises au regard du droit des marques.

Le déposant qui envisage un tel dépôt doit donc être prévenu : sauf à être certain d’une notoriété exceptionnelle pour son vocable composé de termes usuels et courants dans son secteur, il s’expose à voir sa marque annulée le jour où il voudra l’utiliser contre un tiers qui aura fait usage des mêmes termes.

Enfin, bien que certaines de ses marques aient survécu à l’instance, «  SeLoger.com  » repart bredouille : la Cour estime que les usages faits par le défendeur ne généraient pas de risque de confusion avec les marques restées valables, notamment en raison du degré important d’attention du public qui recherche un logement. En effet, le seul point commun consistait schématiquement en la reprise du vocable «  se loger  » qui n’est pas distinctif…La faible distinctivité intrinsèque des termes revient donc par la fenêtre.

Cet arrêt marque une nouvelle étape dans le tour de vis qui frappe les déposants de marques mots-clés. Vu l’encombrement des registres de marques et les difficultés d’appréciation du risque de confusion entre marques faiblement distinctives, les déposants sont de plus en plus incités, au moment du choix de leur marque, à distinguer objectif de référencement sur internet et marque.


Voir aussi

« Erreur d’expression : opérateur / inattendu. » n’est pas un nombre.