Avalanches et responsabilités (fr)

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La commission "Droit du Sport" du barreau de Paris, présidée par notre confrère Jacques LANG, a organisé une réunion à la Maison de l'Avocat sur le thème "Avalanches et Responsabilités", en avant-première de la saison de ski.
Un sujet confié à Maurice BODECHER, notre confrère du barreau d'Albertville, spécialisé en matière d'accidents de montagne et de ski, auteur de plusieurs ouvrages, dont le plus récent édité en septembre 2017.
L'occasion d'un débat convivial et dynamique autour de différentes approches juridiques, dont une partie est reproduite ci-dessous.

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L'immixtion du droit pénal : une réalité ?

Si pendant longtemps l'immixtion du droit en montagne était vécu comme un sacrilège, l'évolution judiciaire et sociale a balayé cette vision. Même si le nombre de décisions des tribunaux correctionnels est limité, la jurisprudence opère une distinction juridique aux conséquences importantes pour les poursuites exercées : il s'agit de l'origine du déclenchement. En effet,

–soit l'auteur (skieur ou surfeur) n'a pas provoqué le phénomène avalancheux ;

–soit l'auteur est directement à l'origine de l'avalanche.

Jean-Pierre VIAL (cahier droit du sport n° 46,2017, p.151) le résume parfaitement sur le plan juridique : « l'exigence de risque direct et immédiat pour caractériser le délit de mise en danger d'autrui révèle l'importance que le législateur attache à une causalité qui doit être la plus courte possible entre la violation de la règle et le risque qui s'ensuit pour autrui. Il écarte le risque trop éloigné de la violation de l'obligation car plus celui-ci est distant, plus il est difficile d'en apprécier la causalité. L'immédiateté du risque implique qu'il soit imminent en sorte que le dommage puisse se réaliser à tout instant. La condition d'un risque direct suppose qu'il puisse se produire sans qu'il y ait besoin d'un fait supplémentaire pour sa survenance comme le déclenchement d'une avalanche lorsque des surfeurs ont enfreint l'interdiction d'accès à une piste de ski. » Cette approche, assez subtile, va générer un niveau différent de recherche de responsabilité ainsi que l'illustrent des décisions récentes.

L'auteur n'a pas provoqué directement le phénomène avalancheux

Rappelons que l'article 121–3 du code pénal vient définir l'auteur indirect d'un dommage.

Il s'agit de celui qui a créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n'a pas pris les mesures permettant de l'éviter, sans avoir causé directement le dommage.

En cas d'accident, il doit être établi à l'encontre de l'auteur l'existence d'une faute caractérisée, exposant autrui un risque d'une particulière gravité qu'il ne pouvait ignorer. Une telle faute est beaucoup plus exigeante que la faute simple : si son degré de gravité n'est pas suffisant, les juridictions prononcent la relaxe de la personne poursuivie.

C'est ce qu'illustre une décision du 22 mai 2015 du tribunal correctionnel d'Albertville (Journal Spécial des Sociétés, 2016 n° 2, page 12)

Le 9 décembre 2010, en fin de matinée, une avalanche emporte un moniteur de ski et son client dans un secteur hors-piste. Le moniteur enseveli partiellement, arrive à s'extraire seul, mais ne peut se mouvoir en raison d'une fracture du fémur. Son client est en revanche décédé malgré le déclenchement de son sac airbag. Ni l'absence de matériel (pelle, sonde, DVA, et même airbag) ni l'ignorance du bulletin des risques d'avalanche (BRA) ne pouvait être retenu à l'encontre du moniteur.

L'expert en nivologie, désigné dans le cadre de l'enquête pénale, concluait cependant à plusieurs erreurs d'appréciation, au regard d'une pente à forte déclivité, de la présence d'un goulet hérissé de rochers, et du peu de distance entre les pratiquants du parcours hors-piste. Il apparaissait que le manteau neigeux était plus instable que ne l'avait évalué le professionnel de la montagne. Pour autant, le tribunal d'Albertville n'a pas considéré que cette erreur de diagnostic atteignait le niveau de gravité exigé par la loi, de sorte que la faute caractérisée ne pouvait être retenue : la relaxe a donc été prononcée. Le singulier employé par le texte pénal (« faute caractérisée ») renvoie aux débats parlementaires qui précisent qu'il faut entendre par cette expression la faute qui présente « une particulière évidence », « une particulière intensité ».

Cette terminologie laisse penser, à la première lecture, qu'il doit s'agir d'un acte unique. En réalité, il n'en est rien : la jurisprudence s'attache à une accumulation de petites fautes, comme le choix d'un itinéraire de la sortie, l'absence de prise en compte du niveau de l'élève ou du client, la non consultation du bulletin météorologique, l'absence de formation minimale au maniement des DVA etc...(Florine LACHENAL, avalanches et responsabilité des professionnels de la montagne, sous la direction du professeur Philippe YOLKA, 2016).

La Cour de Cassation a eu, en effet, l'occasion de préciser les contours de la notion de faute caractérisée, en indiquant qu'il peut s'agir de « l'accumulation par une même personne, de négligences et d'imprudences dont chacune, prise isolément, n'aurait peut-être pas été regardée comme étant suffisamment grave pour être génératrice de responsabilité pénale » ( Cass.crim. janvier 2006, Jurisdata n° 2006–032023).

C'est ce que résume le professeur Yves MAYAUD : « la faute caractérisée et donc la qualification de ce qui relève de l'unité comme de la pluralité : unité de défaillance par l'importance de l'obligation à respecter ; ou pluralité sous forme de nombreux manquements en présence d'un risque connu » (droit pénal général, éd.PUF, 2015). Dans un autre contexte, la faute simple sera suffisante pour engager la responsabilité pénale de l'auteur du déclenchement de l'avalanche.

L'auteur est directement à l'origine de l'avalanche

La circulaire du 11 octobre 2000, pour l'application de la loi FAUCHON 10 juillet 2000, est venu tenter d'éclaircir la notion de causalité directe : « lorsque la personne en cause a elle-même frappé ou heurté la victime, soit a initié ou contrôlé le mouvement d'un objet qui a heurté ou frappé la victime ». Les juridictions ont donc été amenées à s'interroger sur le fait que « l'objet » visé pouvait concerner une avalanche. Déjà en 2007, le tribunal correctionnel de Nice avait retenu un lien de causalité directe entre le moniteur de ski et le déclenchement de l'avalanche qui avait causé le décès de son client, ensuite de l'aveu même du professionnel à la barre du tribunal :

Le président du tribunal :

« Pensez-vous que c'est le passage de Monsieur D. et vous qui soit à l'origine de l'avalanche ? »

Le prévenu:

« Honnêtement, oui, je pense que cette plaque est partie du fait que la pente avait été fragilisée à notre passage et à ceux d'autres skieurs, ce jour-là et les jours précédents ».

Une affaire plus récente du 10 octobre 2013 (tribunal correctionnel d'Albertville) est venue conforter cette analyse.

Malgré un risque d'avalanche avéré, un moniteur de ski conduit son groupe de skieurs à évoluer en hors-piste sur une pente à forte déclivité, alors qu'en aval se tenait dans le même temps un autre groupe.

Lorsqu'il entame sa descente en premier, il déclenche une coulée de dimension modeste qui entraîne à son tour une avalanche qui ensevelit un des skieurs situés dans le groupe en aval : celui-ci ne survivra pas à l'arrivée brutale de cette masse de neige.

Tout l'enjeu résidait dans l'établissement du lien de causalité–direct ou indirect–qui allait servir à identifier le type de faute à établir. En effet, en cas de causalité directe, une faute simple est suffisante au regard du code pénal.

Le tribunal a adopté une conception extensive de la notion de causalité directe, en retenant que l'auteur direct est celui qui est à l'origine du paramètre déclencheur essentiel ou déterminant qui a conduit au décès de la victime.

La juridiction reprend ainsi en droite ligne la jurisprudence antérieure de l'affaire du collège Saint François d'Assise lors de l'avalanche de la commune de CROTS (Cass.Crim. 26 novembre 2002, n° 01–88–900) en retenant le défaut de contrôle de la présence d'un groupe en aval « qui est une donnée élémentaire en terme de sécurité lors de l'évolution en terrain hors-piste et qui constitue à lui seul une faute, laquelle suffit à retenir la responsabilité pénale ».

Le professionnel averti ne pouvait donc pas ignorer le danger et le défaut de mise en œuvre d'une donnée sécuritaire primordiale, ce qui présume donc l'absence de l'accomplissement d'une « diligence normale », nécessaire pour retenir la faute simple (Camille MONTAGNE, AS, spécial droit de la montagne 30 mars 2014,p.29).

Si l'avalanche avait été déclenchée accidentellement par un membre du groupe en amont, le moniteur n'aurait probablement pas été qualifié d'auteur direct, et il aurait fallu que le procureur de la république démontre l'existence d'une faute caractérisée, plus délicate à analyser en l'espèce.

De telles hésitations résultent de l'absence de définition précise unitaire de la notion de caractère direct/indirectes du lien de causalité. Comme souvent dans une telle situation, certains sollicitent une prise de position plus tranchée du législateur afin de ramener une part de certitude, voire d'apaisement, sur les risques encourus en matière pénale lors des délicates situations d'avalanche causant à autrui un dommage.

Faut-il recourir à la notion de mise en danger d'autrui ?

Cette notion, revêt une acuité particulière dans ce domaine où il est souvent évoqué. Les critères très exigeants pour la mise en œuvre concrète de ce délit pénal est illustré dans une décision du tribunal correctionnel de Tarbes du 19 mars 2013. Les magistrats, non sans se départir d'une forme de reproche, relèvent que la station ne pouvait ignorer la présence de nombreux skieurs évoluant dans un secteur hors-piste et n'a pas mis en place une signalisation particulière, par exemple en barrant l'accès par un filet mobile. Dès lors, les deux skieurs ayant déclenché une avalanche venant terminer sa course sur une piste ouverte au public, ne peuvent être coupables du délit de mise en danger d'autrui. En ayant vu de nombreuses traces et d'autres skieurs évoluaient dans ce secteur, ils n'ont pas méconnu intentionnellement une obligation légale ou réglementaire de sécurité, « n'ayant pas été suffisamment avertis du danger dont ils n'ont pas eu une réelle conscience ». Ainsi, la mise en danger d'autrui par la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement n'a pas été retenue, contrairement à un arrêt de la cour de Cassation du 9 mars 1999 (n° pourvoi 98-82269).

Quels sont les critères retenus pour rechercher la responsabilité en cas d'avalanche ?

Comme il n'existe pas un régime de responsabilité civile spécifique aux accidents de ski, les magistrats se réfèrent à « un homme normalement prudent et diligent, placé dans une situation identique ». .Quels sont les points de référence des tribunaux dans leur recherche de la responsabilité ?

Plusieurs éléments généraux entrent en compte dans l'appréciation des juridictions :

–les règles techniques des fédérations (L.131–16 du code du sport) : les fédérations délégataires (FFS/FFME) sont habilitées édicter des recommandations et des règles de sécurité propres à leurs disciplines qui servent d'élément de référence ;
–les méthodes d'enseignement du ski et de l'alpinisme français (article des 211–53–1 codes du sport) : c'est la mission de l'école nationale de ski et d'alpinisme de Chamonix (ENSA) d'élaborer et de mettre en place les règles sécuritaires de base ;
–des expertises : le recours à une mesure technique par exemple d'analyse niveau logique lors du déclenchement d'une avalanche aux conséquences graves est systématique. Il peut s'agir des enquêteurs (PGHM/CRS) ou un d'expert inscrit sur la liste officielle des experts agréés auprès d'une cour d'appel. L'avis technique motivé bien éclairait le débat devant la juridiction, et détermine assez souvent le ministère public sur l'opportunité ou non de poursuites pénales. Si la procédure pénale est écartée, l'expertise demeure une référence pour l'appréciation et la discussion autour d'une éventuelle faute civile.

Puis, chaque affaire est analysée, en distinguant schématiquement trois phases:

Préparation de la sortie

Il s'agit de différents contrôles qui sont effectués afin d'appréhender l'existence d'une éventuelle faute civile.

* la constitution du groupe

La question du niveau technique et du nombre de participants à la sortie sonne comme une évidence qui permet de mesurer le rôle de l'encadrant de la sortie, qu'il soit professionnel ou non. Cette question a été posée dans le contexte d'une avalanche en Suisse, en dessous du col du Grand Saint-Bernard dans un jugement du 4 décembre 2014 rendu par le tribunal de Grande instance de Bonneville. Déjà, dans l'ordonnance de classement sans suite du 12 mars 2013, rendue par le ministère public du canton du Valais, la personne chargée de l'encadrement de la sortie était apparue comme ayant aucun ascendant sur le groupe et ne disposant pas d'un niveau supérieur aux autres membres, chacun ayant la même capacité d'analyse de la configuration des lieux et les risques encourus (AS 2014, spécial droit de la Montagne,p.22). Dans sa décision du 4 décembre 2014 ( JSS 2016, 2 éme partie, p.14 et suiv.) les magistrats faisaient preuve de réalisme et de pragmatisme. Du réalisme, tout d'abord, en rappelant que les alpinistes, les skieurs, ou randonneurs qui conviennent de faire ensemble une ascension en terrain de montage acceptent de prendre en charge les risques que cette entreprise comporte pour la vie et l'intégrité corporelle de chacun d'eux. Ensuite, le tribunal de Bonneville prend soin de rappeler qu'il faut rechercher la personne ayant « ascendant » sur les autres. Très concrètement, cela implique l'analyse de la qualité de la personne qui gère le groupe : est-il un professionnel ? Quelle est son autorité ? Quelle est son expérience ? Dans le but de vérifier si la ou les personnes qu'il accompagne son placée en confiance sous sa protection juridique, ce qui a pour corollaire l'engagement éventuel de sa responsabilité en cas de faute avérée. Du pragmatisme également, car dans son raisonnement, la juridiction se penche sur le phénomène de groupe : en présence de plusieurs participants expérimentés, l'encadrant ne mène pas forcément la course en toute initiative et liberté du début jusqu'à la fin. D'autres participants, peuvent prendre l'initiative de modifier le choix de l'itinéraire, de s'engager avec d'autres dans un couloir dangereux, de participer ainsi à une mauvaise appréciation du risque. Avec clarté, le tribunal souligne que les membres du groupe, dans le cas spécifique qui lui était soumis, évoluaient sur un pied d'égalité et assumaient dès lors une « prise de risque librement consenti » conduisant ainsi à écarter toute faute civile. Chaque dossier est donc très spécifique en fonction des éléments de fait recueilli au cours de l'enquête ou par l'apport de témoignages.

* le choix de la course

Ce choix est évidemment en lien étroit avec le niveau technique et d'expérience des participants ou clients. La référence aux différents topos issus de l'ouvrage de référence ou le site Internet reconnu permet au tribunal de vérifier, par des données objectives, s'il était opportun de choisir un niveau élevé-trop élevé ou inadapté-de la sortie programmée.

* l'analyse des donnés nivo- météorologiques

Il s'agit souvent d'un point capital dans la procédure judiciaire l'analyse des responsabilités éventuelles.

–négligence dans la recherche d'information: il s'agit dans ce cas, d'une absence de consultation des bulletins nivo-météorologiques, pourtant consultables à la fois sur un support informatique et en différents lieux de la station. Il s'agit incontestablement d'une négligence fautive.

– mauvaise appréciation du contenu des outils d'information: une mise au point s'impose vue des 2 bulletins considérés comme indispensables à la préparation d'une sortie hors-piste, à savoir le bulletin météorologique et le Bulletin d'Estimation des Risques d'Avalanche (BRA).

Ces outils fournissent des informations générales, à l'échelle d'un massif montagneux, et non de secteur ou d'une zone en particulier. Le bulletin d'estimation n'est pas retenu par les juridictions comme « juridiquement contraignant ». C'est au professionnel ou l'encadrant du groupe d'utiliser ses connaissances, son expérience, son bon sens également pour déterminer si les informations recueillies modifient ou annulent son projet de sortie. Cette appréciation, plus technique, va s'appuyer sur le ou les rapports d'expertise diligentée lors de la survenue de l'accident.

* l'équipement en matériel de sécurité et les consignes pour son usage

La règle d'or est désormais connue : sonde, pelles, détecteurs de victimes d'avalanche (DVA). Sur le plan judiciaire, c'est une obligation dont l'omission caractérise l'existence d'une faute. De nombreuses décisions le rappellent, dont l'arrêt la cour d'appel de Chambéry du 23 juin 2016: il s'agissait d'une avalanche de Tignes en décembre 2012 dans laquelle 3 moniteurs de ski, encadrant à l'UCPA prenait la décision de faire évoluer leurs stagiaires en hors-piste dans un secteur exposé aux avalanches, en ayant omis d'équiper les participants de tout matériel de sécurité. Le décès d'une jeune stagiaire de 20 ans sous une avalanche déclenchée par le passage des skieurs dans la zone, justifiait la réalisation de mesures d'expertise.

Le tribunal de Grande instance d'Albertville (7 août 2015), approuvé en cela par la cour d'appel, relevait:

« Les prévenus ont ainsi accumulé une prise de risque énorme avec l'absence de matériel de sécurité et ce d'autant que la présence d'un DVA aurait sans aucun doute permis de retrouver la victime plus rapidement et certainement indemne ».

Encore faut-il que l'équipement des participants ne soit pas une simple formalité, rendant inopérant la présence du matériel de sécurité. Il doit être clairement exposé son utilisation, et vérifier la connaissance de l'usage du matériel afin d'éviter toute confusion lors de sa mise en œuvre, par exemple en ne maîtrisant pas les modes émission/réception des DVA.

Pendant la sortie

L'attente des membres du groupe encadré repose sur la confiance dont le leader, c'est-à-dire la connaissance de ses qualités techniques-réelles ou supposées-et l'attente de la mise en œuvre des qualités annoncées au cours de la sortie.

L'expérience, l'observation du terrain, la justification du choix précis de l'itinéraire seront des éléments pesant dans l'analyse juridique.

C'est, tout d'abord, l'opération consistant à tester le manteau neigeux. Ainsi, dans son jugement du 30 avril 2012 le tribunal correctionnel d'Albertville relaxait un moniteur qui « au départ de la pente, a testé la neige à l'aide de son bâton. Ses déclarations démontrent qu'il a pris en compte les conditions météorologiques niveau logiques avant de s'engager dans la descente en appuyant lui-même sur ses skis dans la partie la plus pentue pour tester la neige… ».

Ensuite, en bonne logique, il sera vérifié si des traces de ski n'ont pas été suivies sans effectuer préalablement un repérage ou des tests sécuritaires. Les juges vérifieront également si les consignes de sécurité ont bien été fournies. C'est ce que rappelle le jugement du tribunal de Grande instance de Nice du 8 mars 2007, déjà évoqué :
« (…) Il convient de constater que le prévenu–moniteur de ski–, n'a jamais enseigné à ses clients, malgré le temps passé avec eux, les consignes à suivre en cas d'avalanche (…) interrogé à la barre sur cette question, le prévenu reconnaît ne pas avoir indiqué à ses clients les réflexes à avoir en cas d'avalanche, réflexes qui lui ont permis d'avoir la vie sauve à titre personnel, ainsi qu'il déclara la barre : " le conseil de réflexes n'est pas une chose qui se dit. Donner ce genre de conseil n'est pas évident, les gens pourraient avoir peur et bloquer en milieu de piste" ».

Pourtant, le terme de "consignes" employé dans cette décision, est beaucoup trop vague pour être retenu sans aucune précision : de quelle consigne s'agit-il précisément ? Comment vérifier concrètement leur intégration par les clients ?

Il faut, en outre, rechercher chaque fois le lien de causalité : la consigne enseignée, intégrée, pouvait-elle pour autant éviter l'accident de manière certaine ?

L'analyse donc très précise et factuelle avant toute décision judiciaire de retenir ou non l'existence d'une faute.

Survenance de l'accident

Dans cette phase, il s'agit de rechercher si l'alerte a été donnée correctement et si les mesures d'auto sauvetage ont été mises en œuvre.

Suite à un accident d'avalanche qui s'était déroulée le 17 mars 1983, il avait été recherché si les secours avaient été correctement mis en œuvre. Les juridictions avaient retenu qu'à la date de l'accident, les balises ARVA existaient depuis peu, qu'elle posait encore des problèmes de compatibilité et qu'elle n'avait été conseillée par l'ENSA de Chamonix qu'en 1984 et rendues obligatoires en janvier 1986. Le défaut d'un équipement dans l'usage et la diffusion était encore restreint à l'époque n'avait pas été considérée comme fautif.

La même décision souligne que les professionnels (guides) avait eu des réactions les plus appropriées en envoyant des stagiaires donnés l'alerte, en aidant au dégagement des camarades visibles, et en commençant les recherches de sondages sur place, même si malheureusement les hélicoptères s'étaient posés sur le front de la coulée là où précisément la victime avait été retrouvée le lendemain (Cassation, civ 1, 24 janvier 2006, numéro 03–18045) Le matériel ayant désormais acquis une grande fiabilité, on relèvera ici l'incidence des explications techniques qui doivent être données, relatives à l'utilisation du DVA : sans connaissance préalable des consignes, un temps précieux peut être perdu, anéantissant les chances de survie de la personne ensevelie.

S'il s'agit du seul manquement commis, il existe une notion particulière qui va t'être mise en œuvre : la notion de « perte de chance ».

L'idée résulte du fait que la "chance" représente une valeur en soi, et que sa perte s'analyse comme un dommage.

Ce préjudice distinct doit être en relation de causalité certain avec la faute d'information commise, dans la mesure où celle-ci a privé la victime ne serais-ce que d'une chance d'éviter le dommage final. Selon la Cour de Cassation, la perte de chance présente « un caractère direct et certain, chaque fois qu'est constaté la disparition (...) de la possibilité d'un évènement favorable» (Cass. Crim. 4 décembre 1996, n° 96-81.163).

Dans notre cas, il s'agirait de la possibilité de retrouver rapidement la victime d'une avalanche, si, bien sûr, il n'est pas établi que son décès ait été immédiat.

Pour les analystes, ce préjudice de perte de chance est une création artificielle d'un préjudice abstrait, destiné à venir en aide aux victimes qui n'arrivent pas à démontrer la faute "principale", une sorte de préjudice de substitution, « dans la mesure où le préjudice auquel il se substitue ne peut être rattaché avec certitude au fait générateur de responsabilité» ( La réalisation de la perte de chance: quelles limites ?, Mireille BACACHE, Recueil Dalloz, 7 mars 2013,n°9).

D'ailleurs, la jurisprudence considère que l'indemnité allouée au titre de la perte de chance « doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée» (Cass.civ.2, 17 février 2011, n° 10-17.179), en termes plus clairs, il ne s'agit pas de l'indemnisation de la totalité du préjudice.


(Extrait de "Carnet juridique du ski ", 2017, E et M BODECHER, voir sur site Avocatcimes)