Jurisprudence - La cour d’appel de Paris déboute l’AGRIF (association Alliance générale contre le racisme et le respect de l'identité française et chrétienne) de son action fondée sur la provocation à la haine.

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Prononcé publiquement le jeudi 26 janvier 2017, par le Pôle 2 - Ch.7 des appels correctionnels,
Sur appel d'un jugement du tribunal de grande instance de Paris - 17ème chambre - du 03 juin 2016.

Auteur  : Me Caroline Mecary, avocate au Barreau de Paris

LA PROCÉDURE

La saisine du tribunal et la prévention

Mme Y. a été poursuivie devant le tribunal par citation directe à la requête de l'association Alliance générale contre le racisme et le respect de l'identité française et chrétienne (AGRIF), pour y répondre du délit de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence envers les catholiques, infraction prévue et réprimée par les articles 23 pour la publicité, et 24 alinéa 7 pour la répression, de la loi du 29 juillet 1881, à la suite de la publication des propos suivants sur twitter le 22 janvier 2014 : « Vigilants nous devrons être car les réactionnaires s'agitent encore et cela ne cessera que lorsqu'ils seront morts».

Le jugement

Le tribunal de grande instance de PARIS - 17eme chambre - par jugement contradictoire, en date du 03 juin 2016 :

Sur l'action publique:

- a renvoyé Mme Y. des fins de la poursuite

Sur l'action civile:

- a déclaré l'association Alliance générale contre le racisme et le respect de l'identité française et chrétienne (AGRIF) recevable en sa constitution de partie civile, - l'a déboutée de ses demandes,
- a rejeté la demande formée par la prévenue sur le fondement des dispositions de l'article 800-2 du code de procédure pénale.

L'appel

Appel a été interjeté par :
le conseil de ASSOCIATION ALLIANCE GÉNÉRALE CONTRE LE RACISME ET LE RESPECT DE L'IDENTITE FRANÇAISE CHRETIENNE, le 03 juin 2016, son appel étant limité aux dispositions civiles

Les arrêts interruptifs de prescription
Par arrêt interruptif de prescription en date du 21 septembre 2016, l'affaire était fixée pour plaider le 9 novembre 2016.


DÉROULEMENT DES DÉBATS

À l'audience publique du 9 novembre 2016, le président a constaté l'absence des parties, régulièrement représentées par leur avocat.

Maître S. , avocat de la personne poursuivie, a déposé des conclusions, lesquelles ont été visées par le président et le greffier, jointes au dossier. Maître T., avocat de la partie civile, a déposé des conclusions, lesquelles ont été visées par le président et le greffier, jointes au dossier. L'appelant a sommairement indiqué les motifs de son appel,

[…]

DÉCISION

Rendue après en avoir délibéré conformément à la loi,

En la forme

L'appel de la partie civile, interjeté dans les délais et dans les formes requis par la loi, est régulier et recevable,

Au fond

Rappel des faits et de la procédure

Il résulte des éléments du dossier exactement exposés par les premiers juges que par acte d'huissier délivré le 19 janvier 2015, l'association ALLIANCE GENERALE CONTRE LE RACISME ET LE RESPECT DE L'IDENTITE FRANÇAISE ET CHRETIENNE (ci-après AGRIF) a fait citer devant 17e chambre du tribunal de grande instance de Paris Mme Y. , avocate, pour provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence envers les catholiques. La partie civile exposait que, le 22 janvier 2014, Mme Y. avait publié, à partir de son compte TWITTER, un message ainsi rédigé : « Vigilants nous devons être car les réactionnaires s'agitent encore et cela ne cessera que lorsqu'ils seront morts ».

L’association AGRIF précisait dans sa citation que le lien renvoyait à un article mis en ligne le 19 janvier 2014 sur le site du quotidien LIBERATION, intitulé « Manif anti-IVG : « Les femmes qui avortent sont désespérées » », article relatif à une manifestation s'étant déroulée à Paris ce même 19 janvier.

À l'audience en première instance, le conseil de la partie civile sollicitait la condamnation de la prévenue à lui verser la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral, outre 3.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 475-1 du code de procédure pénale, et la publication du jugement dans trois journaux au choix de la partie civile, dans la limite de 5.000 euros par publication.

Le ministère public, dans ses réquisitions, estimait que les propos poursuivis ne visaient pas la communauté catholique dans son ensemble.

Le conseil de la prévenue sollicitait sa relaxe, outre 6.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 800-2 du code de procédure pénale, au motif que les éléments constitutifs de l'infraction n'étaient pas réunis. Par jugement contradictoire du 3 juin 2016 la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris a renvoyé Mme Y. des fins de la poursuite, a déclaré l'association Alliance Générale contre le Racisme et le respect de l'Identité Française et Chrétienne recevable en sa constitution de partie civile et l'a déboutée de ses demandes, a rejeté la demande formée par Mme Y. sur le fondement des dispositions de l'article 800 — 2 du code de procédure pénale,

Devant la cour,

La partie civile a déposé des conclusions soutenues oralement par son conseil sollicitant l'infirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions civiles, de dire et juger que les propos poursuivis sont constitutifs d'une faute civile, de condamner Mme Y. à lui payer une somme de 5000 € à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral ainsi que la somme de 3000 € en application de l'article 475 -1 du code de procédure pénale, d'ordonner à titre de dommages-intérêts complémentaires la publication du jugement à intervenir dans les colonnes de trois journaux au choix de la partie civile, dans la limite de 5000 € par publication , sous le titre «Mme Y. condamnée à la suite de poursuites pour provocation à la haine à la violence et à la discrimination envers un groupe de personnes en raison de leur appartenance à la religion catholique » et de la condamner aux entiers dépens ;

Madame l'avocat général ne présente pas d'observation, n'étant pas appelante,

La prévenue, représentée, a déposé des conclusions soutenues oralement par son conseil par lesquelles il demande à la cour de confirmer le jugement du tribunal correctionnel de Paris du 3 juin 2016, de débouter l'AGRIF de l'ensemble de ses demandes fins et conclusions et de la condamner à lui verser une somme de 10.000 € à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi ainsi qu'une somme de 3000 € par application de l'article 800 —2 du code de procédure pénale ,

SUR CE,

Considérant que la prévenue ayant été relaxée définitivement, il convient d' apprécier si Mme Y. a commis une faute fondée sur la prévention de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence envers les catholiques, ouvrant droit à réparation ;

Considérant que l'article 24 alinéa 8 de la loi du 29 juillet 1881 punit d'un an d'emprisonnement et/ou de 45.000 euros d'amende ceux qui, par l'un des moyens énoncés à l'article 23, auront provoqué à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ; que ce délit suppose la réunion de plusieurs éléments constitutifs :

- un caractère public, par l'un des moyens énoncés à l'article 23,
- une provocation, c'est à dire non pas forcément une exhortation, mais un acte positif d'incitation manifeste,
- à la discrimination, à la haine ou à la violence, ce qui n'exige pas un appel explicite à la commission d'un fait précis, dès lors que, tant par son sens que par sa portée, le propos tend à susciter un sentiment d'hostilité ou de rejet,
- à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes déterminé,
- et à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion, étant précisé que pour caractériser ce délit, il n'est pas forcément nécessaire que le message vise individuellement chaque personne composant le groupe considéré, l'infraction étant constituée dès lors que la teneur ou la portée du propos, en lien direct avec l'origine, l'ethnie, la nation, la race ou la religion, rejaillit sur la totalité de la communauté ainsi définie, mais qu'en revanche, il n'y a pas de délit quand est seulement visée une catégorie de personnes qui se distingue du groupe par des comportements spécifiques, auxquels le groupe dans son ensemble n'est pas assimilé,
- un caractère intentionnel, qui se déduit de la teneur même des propos et de leur contexte ;

Considérant que l'association appelante soutient que les propos poursuivis visent, tant par leur sens que par leur portée, à susciter des réactions de haine, de rejet, de discrimination, d'exclusion, envers un groupe de personnes en raison de leur appartenance à la religion catholique, désignées à la vindicte sous le nom de « réactionnaires », dénoncées comme manifestant encore contre une avancée censée être acquise depuis 1975 et comme constituant, avec le soutien de leur hiérarchie les ayant appelés à manifester, un danger pour le droit à l'avortement, nécessitant qu'il ne leur soit plus possible de s'exprimer dans la rue et donc qu'on les réduise au moins socialement au silence ; que contrairement à ce qu'ont affirmé les premiers juges c'est bien l'ensemble des catholiques qui sont visés puisque c'est en tant que catholiques que certains d'entre eux sont descendus dans la rue, au nom d'une position immuable depuis près de 2.000 ans de l'Eglise catholique qui condamne sans aucune ambiguïté l'acte de l'avortement comme mettant fin à une vie humaine ; que les manifestants du 19 janvier 2014 constituaient bien un groupe de personnes manifestant à l'appel de l'église catholique et d'organisations catholiques, visées en raison de leur appartenance réelle ou supposée à la religion catholique ;

Considérant que c'est à juste titre que l'intimée souligne que les propos en cause ne contiennent aucun appel, aucune exhortation ni aucun acte positif d' incitation manifeste à la discrimination à la haine ou à la violence ; qu'en effet l'expression "s 'agitent encore et cela ne cessera que lorsqu'ils seront morts", signifie qu'ils ne changeront pas d'idées jusqu'à la fin de leur vie mais ne constitue en aucune façon une incitation à les éliminer ni au sens propre ni au sens figuré ; qu'en outre le terme "réactionnaire" ne vise pas la communauté catholique, quand bien même l'appel à manifester aurait été lancé par les organisations catholiques ; que c'est à juste titre que les premiers juges ont souligné que l'article de Libération mis en lien hypertexte dans le tweet de Mme Y. ne fait référence qu' aux opposants au droit à l'avortement ayant manifesté le 19 janvier 2014 ; que seuls sont donc visés les participants à cette manifestation, dont certains ont pu être catholiques, sans pour autant stigmatiser la communauté catholique ni l'appartenance de certains d'entre eux à cette communauté ; que c'est donc par des motifs pertinents que le jugement déféré n'a pas retenu le caractère fautif des propos tenus par Mme Y.;

Considérant que le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a reçu l'association AGRIF en sa constitution de partie civile mais l'a déboutée de ses demandes en absence de faute civile retenue à l'encontre de Mme Y.; Considérant qu'il y a également lieu de confirmer les premiers juges en ce qu'ils ont constaté que les conditions ne sont pas réunies pour faire droit à la demande de l'intimée sur le fondement des dispositions de l'article 800-2 du code de procédure pénale, la demande de l'intimé à ce titre n'ayant pas respecté les conditions de fond et de forme dont disposent les articles R249-3 et suivants du code de procédure pénale ; que pour les même raisons elle sera déboutée de sa demande au même titre en cause d'appel ;

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Statuant publiquement, par arrêt contradictoire et après en avoir délibéré,

Reçoit l'appel interjeté par la partie civile,

Statuant dans les limites de l'appel,

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions civiles ainsi qu'en ce qui concerne les demandes faites au titre de l'article 800 — 2 du code de procédure pénale,

Y ajoutant,

Rejette les demandes formées devant la cour au titre de l'article 800 — 2 du code de procédure pénale.