Chronique juridique : On ne plaisante pas avec les dialogues (fr)

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.
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Auteur: Me Emmanuel PIERRAT, avocat au barreau de Paris
Date: 3 février 2016



Les Dialogue des carmélites, qui a suscité l’un des plus célèbres procès de l’histoire du droit d’auteur, occupe à nouveau la scène judiciaire.

Rappelons en effet que, en 1966, la Cour de cassation, avait souligné, à propos du film tiré des Dialogues des carmélites, la liberté de l’adaptateur cinématographique d’une oeuvre littéraire, tout en rappelant la nécessité de ne pas dénaturer le livre…

Et la Cour d’appel de Paris s’est, le 13 octobre 2015, penchée à son tour sur une mise en scène litigieuse de l’opéra Dialogues des carmélites, poursuivie par les héritiers de Francis Poulenc et ceux de Georges Bernanos.

Pour mémoire, Dialogues des carmélites est une oeuvre posthume de Georges Bernanos, conçue à l’origine pour un scénario cinématographique, écrite en 1948. Son sujet est inspiré d’une nouvelle de la romancière allemande Gertud von Le Fort, La Dernière à l'échafaud, retraçant l'histoire des seize Carmélites de Compiègne condamnées à mort par le Tribunal Révolutionnaire et guillotinées, y ajoutant celle du personnage imaginaire de Blanche de la Force. La jeune aristocrate habitée par la peur ne se sent pas capable d’affronter le monde et décide, à l’aube de la Révolution française, d’entrer au Carmel. Elle se retrouve malgré elle confrontée au drame et, doutant de sa foi, hésitante, rejoint au dernier moment les autres religieuses.

Francis Poulenc en a fait une adaptation musicale pour opéra, très fidèle au texte de Georges Bernanos, dont les représentations ont commencé en 1957. Et cet opéra a été représenté à l’opéra de Munich dans une mise en scène de Dmitri Tcherniakov, en mars 2010, puis en avril 2011.

Or, les magistrats ont considéré que la fin de l’histoire telle que mise en scène modifie profondément la fin voulue par les auteurs. Toutes les captations audiovisuelles de cette mise en scène ont donc été interdites.

C’est L’article L. 121-1 du Code de la propriété intellectuelle qui prévoit le droit au respect de l’œuvre.

Les atteintes au respect de l’œuvre surgissent souvent à l’occasion d’adaptations d’une œuvre, par exemple d’un roman pour le cinéma. L’esprit de l’œuvre d’origine doit être respecté par l’adaptateur. Il faut par conséquent trouver un juste milieu entre la nécessaire déformation de l’œuvre due à son adaptation et son respect prévu par la loi. En l’absence de dispositions contractuelles précises (sujettes elles-mêmes à de nombreuses limitations), c’est au juge que reviendra, en cas de conflit, le pouvoir d’estimer si le respect de l’œuvre a été ou non atteint.

Pour pallier toute atteinte au respect de leur œuvre, certains écrivains n’hésitent pas à exiger une clause de respect parfois très détaillée dans le contrat d’adaptation.

Le conflit peut germer sur les coupes faites dans l’intrigue, sur la transposition dans un autre décor que celui conçu par le romancier, etc.

Le droit moral est perpétuel et ne connaît pas de domaine public. En 1966, la Cour de cassation a aussi statué, à la demande de la Société des gens de lettres, sur l’adaptation au cinéma par Roger Vadim des Liaisons dangereuses.

Les enjeux financiers de l’audiovisuel, et les conséquences financières énormes de tout litige, appellent à la prudence. L’aménagement contractuel préalable des difficultés éventuelles reste la meilleure solution.

Certes, le droit moral « est attaché » à la personne de l’auteur et n’est donc en théorie pas cessible par contrat. Il reste cependant aménageable, ainsi que la cour d’appel de Paris l’a souligné, en 1970, à l’occasion de l’adaptation de Fantômas avec Louis de Funès.

Il est donc fréquent de stipuler que « le producteur aura le droit d’apporter au roman toutes les modifications qu’il jugera utiles pour les besoins de l’adaptation cinématographique ». Mais, il est alors précisé que « dans le cas où ces modifications, additions ou suppressions ne recevraient pas l’accord de l’auteur, ce dernier aurait la faculté d’interdire au producteur ou ses ayants droit de mentionner le nom de l’auteur et de l’éditeur dans la publicité et sur le générique, mais il ne pourra en aucun cas entraver la sortie et l’exploitation du film ».

Il est parfois prévu la faculté pour l’auteur ou ses ayants droit de se voir soumettre le scénario, voire le nom du réalisateur ou même l’entier casting. Une telle prérogative ne s’arrache qu’à l’occasion d’un rapport de force, au cours duquel, pour une fois, l’éditeur, en raison du succès de son auteur, pèsera lourd dans la négociation.

De même, certains ergoteront sur la mention au générique et ne souhaiteront pas profiter de la – bonne ou mauvaise – publicité qui entoure certains films. C’est ainsi que le spectateur candide, et parfois lecteur, s’interrogera sur le sens des nuances, dont la palette s’étend de « tiré de » à « sur une idée de », en passant par « librement adapté ».

Les producteurs demandent fréquemment aux écrivains de participer à l’écriture du film adapté de leur propre roman. Il s’agit là soit d’un appel au talent, soit d’un appel au calme…

Le cinéma est une formidable machine, qui a réussi, en raison tant des investissements substantiels que de la multiplicité des intervenants, à annihiler le traditionnel droit moral de ceux qui ont succombé à ses charmes ou à ses chèques.