Comment anticiper juridiquement le brexit ? (eu)

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Cabinet Bruzzo Dubucq
Janvier 2019





Le Brexit emporte avec lui des conséquences économiques, et donc des implications juridiques redoutables. Les entreprises doivent être préparées en conséquence, et ne pas sous-estimer la modification inévitable de la réglementation, quitte à renégocier le cas échéant certains contrats pour imprévision lorsque l'économie du contrat s'en trouve bouleversée.


Les solutions probables

En Juin 2016, un référendum au Royaume-Uni marque un tournant dans l’histoire de l’Union Européenne : 51,9% des voix s’élèvent et votent pour le « leave », impliquant le retrait définitif du Royaume-Uni de l’Union, en vertu de l’article 50 du TUE, et au terme d’un délai de deux ans.


C’est pourquoi le 29 mars 2017, le Parlement Britannique déclenche la procédure de l’article 50, par sa notification aux institutions Européennes.


Aujourd’hui, à deux mois et 7 jours de la sortie officielle du Royaume Uni de l’Union Européenne, aucun accord n’a été trouvé, la chambre des communes ayant rejeté l’accord de retrait négocié entre Theresa May et l’Union Européenne.


Dès lors, 3 solutions semblent se dégager.


La renégociation

Une première solution consiste en la renégociation d’un deal, conclusion presque idyllique, tant l’Union Européenne campe sur ses positions.


En effet, L’Union ne semble pas vouloir abandonner le « backstop », clause stipulant qu’en cas d’échec de l’Union et du Royaume Uni à trouver une solution amiable pour la question Irlandaise, une frontière physique ne verrait pas le jour entre les deux Irlande.


Ladite clause étant jugée inacceptable par les députés de la chambre des communes, une renégociation semble impossible.


Une procédure étendue

Une autre solution envisageable est consacrée en l’alinéa 3 de l’article 50 du TUE. Cet article dispose qu’en cas de vote à l’unanimité du Conseil Européen et en accord avec le Royaume-Uni, la procédure de retrait pourrait être étendue.


Le cas présent, du fait du refus constant d’un accord par les députés britanniques, il ne semble pas opportun d’opter pour cette solution. De facto, un « hard Brexit » semble être la seule solution.


Dès lors, le 29 Mars 2019 à 0h00, heure Française, le divorce définitif entre l’UE et le Royaume-Uni devrait être prononcé. Quelles en seraient les conséquences économico-juridiques ?


En l’absence de deal, aucune période de transition ne serait assurée.


Par conséquent, le 30 mars accoucherait d’une rupture totale des relations Anglo-européennes, ayant des conséquences possiblement désastreuses sur les marchés financiers et les entreprises.


Sur les entreprises

En théorie, celles-ci sont régies, en vertu de l’article 49 du TFUE, par un principe de liberté d’établissement des sociétés constituées conformément à la législation d’un état membre. Il est alors nécessaire de distinguer deux positions :


  1. Celle des pays partisans de la théorie du siège social statutaire, impliquant qu’une société répondra de la loi du lieu où elle a été créée.
  2. Puis, la théorie du siège réel, qui soumet une société à la loi du pays dans lequel elle est effectivement gérée.


D’ailleurs, un arrêt Uberseering rendu en 2002 par la CJCE [1] reconnait aux sociétés délocalisées au sein d’un autre état membre la personnalité morale au sein de l’état dans lequel elle est délocalisée.


Le Royaume-Uni, adepte de la théorie du siège statutaire, ne pourra cependant plus se prévaloir de cette jurisprudence, du fait de son départ de l’Union Européenne.


De ce fait, un état membre partisan de la théorie du siège réel pourra, sans craindre le juge de l’Union, ne pas reconnaître une société dont le siège social statutaire est basé au Royaume-Uni.


Par opposition, un pays adepte de la théorie du siège statutaire verra la loi du siège statutaire de la société appliquée à cette société, malgré son établissement réel au Royaume-Uni.


Qu'adviendra-t-il des relations contractuelles farnco-britanniques ?

Le 10 Février 2016, fut votée une ordonnance simplifiant considérablement le droit des contrats privés Français.


A l’instar du Common-law disposant d’un principe de « frustration », l’ordonnance de 2016 introduit un principe de révision des contrats pour imprévision.


L’article 1195 nouveau du code civil, entré en vigueur le 1er Octobre 2016, dispose qu’en cas d’un changement de circonstances imprévisibles lors de la conclusion d’un contrat, rendant l’exécution excessivement onéreuse pour une partie n’ayant pas assumée d’en accepter le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son co-contractant.


En cas d’échec ou refus de celle-ci, une résolution peut être convenue, ou prononcée par le juge, qui pourra aussi réviser le contrat.


Plusieurs problématiques viennent perturber l’application du droit des contrats Français

Tout d’abord, la condition première est le « changement de circonstances imprévisibles ».


Cependant, l’article 1195 du code Civil ne trouve à s’appliquer que pour les contrats signés postérieurement au 1er Octobre 2016, soit après le Brexit.


De ce fait, les parties à un contrat conclu post-Brexit ne peuvent-elles pas prévoir les conséquences d’un tel évènement, même en cas de hard Brexit ? En effet, ne peut-on pas considérer que les parties ont accepté implicitement de se soumettre à un tel risque, et donc, pouvaient ne pas contracter ? Si les juges interprètent strictement l’article 1195, alors celui-ci ne pourra être invoqué par les parties invoquant les conséquences d’un Brexit déjà connu de tous au moment de la ratification de l’ordonnance de 2016.


Or, considérons que les juges estiment qu’une révision pour imprévision puisse être invoquée par les parties au contrat; la loi française trouve-t-elle nécessairement à s’appliquer dans le cadre d’un conflit de loi franco-britannique ? En effet, les juges saisis d’un conflit international doivent obligatoirement qualifier la loi applicable à un litige, dans le cas où une stipulation contractuelle ne définit pas la loi et la juridiction applicables.


La question du conflit de loi international hors UE est tranchée, pour les contrats de vente par la Convention de la Haye du 15 Juin 1955 [2].


Cette convention est d’ailleurs signée par le Royaume-Uni et la France.


En application de cette convention, à défaut de clause contractuelle, le droit applicable est celui du pays du vendeur.


De facto, seuls les contrats de vente conclus par une société venderesse française ou les contrats de toute nature déterminant la loi Française comme loi des parties, après le 1er Octobre 2016, seront sous l’empire de l’article 1195.


Cependant, certains contrats se voient directement liés à un droit national, notamment ceux mettant en cause un déséquilibre entre les parties, tels que les contrats de travail.


Pour les contrats éligibles à la théorie de la révision pour imprévision, il faudra donc remplir les autres conditions prévues par le code Civil.


Sur le caractère onéreux du contrat, la question se pose alors de savoir si, l’on peut considérer que l'exécution devient excessivement onéreuse lorsque la valeur de la contre-prestation se déprécie fortement, ou seulement si le coût de l'exécution elle-même augmente considérablement ?


Dans le cadre d’un Brexit où les droits de douanes renaîtront, impliquant des coûts pour les sociétés, il est normal de penser qu’un coût très onéreux est plus probable qu’une dévaluation de la contre-prestation.


Cependant, le texte ne prévoit pas ce cas, et une clause de « hardship » permettrait sans doute mieux d’éviter un tel cas.


Du fait d’un commerce mondialisé, les contrats internationaux sont légions.


La théorie de la révision pour imprévision ne couperait-elle pas court à des contrats conclus entre les sociétés britanniques et françaises ? Cette question est à relativiser, tant les parties à un contrat prévoient avec minutie les possibles changements extérieurs à un contrat, si imprévisibles soient-ils.


Dans la pratique, il sera alors rarissime que l’article 1195 soit évoqué par les parties à un contrat international


Donc, il reste difficile d’estimer les conséquences pratiques d’un « no deal » Brexit.


Tout de même, la perspective d’un tel divorce impliquera certainement pour les entreprises britanniques et les sociétés co-contractantes, des coûts inestimables, tant humainement qu’économiquement.


Notamment sur le plan douanier, le Royaume-Uni étant un acteur majeur du commerce Européen.


Effectivement, le Royaume-Uni sera potentiellement traité comme un état tiers.


Ce statut se traduira donc par le rétablissement des formalités douanières avec le Royaume-Uni obligeant les entreprises européennes à déposer une déclaration à l’importation et exportation de marchandises avec le Royaume-Uni.


Cependant, les Britanniques pourront donc adhérer à la Convention pour le Transit Commun.


Cette convention traite des échanges au sein de l’Union, ainsi que ceux entre l’Union et la Suisse par exemple.


Les Britanniques ont d’ailleurs déjà évoqué leurs intentions d’adhérer à cette Convention.


Qu'en est il des marchés financiers ?

En cas de « hard brexit », les établissements boursiers, banques et sociétés de financement britanniques seraient-ils contraints de mettre un terme aux relations entretenues outre-manche ? Quelles seraient les conséquences d’un « hard Brexit » sur les marchés financiers Européens et Britanniques ?


Londres n’est située qu’à un fuseau horaire de Paris, mais pourrait offrir de grands avantages aux sociétés cotées. Effectivement, le marché anglais sera inévitablement plus accessible car focalisé sur l’économie d’un seul état et régulé par une seule autorité, contrairement au marché Européen, impliquant plusieurs états, donc plusieurs régulateurs.


Inévitablement, le marché boursier anglais ne répondra que des limites qu’il s’est imposé, et offrira donc un marché beaucoup plus attrayant pour les sociétés européennes, qui n’auront plus à répondre des normes strictes édictées par l’Europe des 27.


La question se pose maintenant de savoir si cette potentielle évolution permettra une compétition saine entre la nouvelle place boursière Londonienne et l’Europe, ou si les économies Européennes et Anglaises seront bouleversées.


Cette question concerne aussi les « clearing houses », ou chambres de compensation, chaînon essentiel des marchés financiers.


Ces sociétés ont pour but de sécuriser les transactions financières. Le fait est que ces « clearing houses » sont pour la majeure partie d’entre elles établies à Londres (40% d’entre-elles), et que celles-ci traitent de 80% des opérations de gré à gré (marché non régulé).


Les revenus générés par ces chambres sont colossaux et se chiffrent en plusieurs dizaines de milliers de milliards d’euros.


Ces sociétés sont d’ailleurs naturellement soumises au droit britannique en ce qu’il est plus souple que le droit européen.


Donc, en cas de contentieux post-brexit, les décisions rendues par la justice britannique nécessiteront le cas échéant, un exequatur, à savoir un rallongement considérable de la procédure, dans un marché qui ne peut se suspendre à la lenteur d’une procédure contentieuse.


Alors, en cas de « no deal », il est naturel de penser que ces chambres ne seront plus reconnues par l’UE, entraînant potentiellement un séisme financier pour les banques Européennes, qui devront seulement s’appuyer sur leurs voisines parisiennes et francfortoises.


Mais enfin, le brexit n’encouragerait-il pas les banques à délocaliser leurs activités au Royaume-Uni ?


Effectivement, la réglementation européenne offre un standard de protection plus conséquent aux investisseurs, dont il n’est question au Royaume-Uni.

En effet, il est ici question de la directive MiFID II [3] (Markets in Financial Instruments Directive).


Cette directive régit tous les services d’investissements (placement, bourse, obligations de placement), et impose aux sociétés d’investissements une plus grande protection des investisseurs, ainsi qu’une plus grande transparence des marchés financiers.


Cette directive trouve donc à s’appliquer dans toutes l’Europe, et les banques pourraient se laisser tenter par un exode en terre Britannique, afin de se voir appliquer le droit anglais, beaucoup plus permissif.


Pour plus d'informations, consultez « Qu'est-ce que le transit douanier  ? Transit de l'Union et Transit Commun » [4] ou contactez directement les avocats du cabinet !