Concentration des chaînes de télévision et TNT (fr)

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Le principe de pluralisme des médias est « la manifestation de l’idée que la seule consécration du principe de liberté d'expression et de limites à ses abus ne peut aujourd’hui suffire »[1]. Il découle directement de la liberté de communication audiovisuelle promue en tant que principe constitutionnel par le Conseil constitutionnel. Dans sa décision du 27 juillet 1982[2], le Conseil a affirmé qu’« il appartient au législateur de concilier, en l'état actuel des techniques et de leur maîtrise, l'exercice de la liberté de communication telle qu'elle résulte de l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen[3], avec, d'une part, les contraintes techniques inhérentes aux moyens de la communication audiovisuelle et, d'autre part, les objectifs de valeur constitutionnelle que sont la sauvegarde de l'ordre public, le respect de la liberté d'autrui et la préservation du caractère pluraliste des courants d'expression socioculturels auquel ces modes de communication, par leur influence considérable, sont susceptibles de porter atteinte ». Le pluralisme est ainsi un des objectifs permettant de rendre effective la liberté de communication audiovisuelle. Afin d’y parvenir, le Conseil a considéré dans sa décision n° 86-217 DC du 18 septembre 1986[4] que le public devait être « à même de disposer, aussi bien dans le cadre du secteur public que dans celui du secteur privé, de programmes qui garantissent l'expression de tendances de caractères différents », le but étant que « les auditeurs et les téléspectateurs qui sont au nombre des destinataires essentiels de la liberté proclamée par l'article 11 de la Déclaration de 1789 soient à même d'exercer leur libre choix sans que ni les intérêts privés ni les pouvoirs publics puissent y substituer leurs propres décisions, ni qu'on puisse en faire les objets d'un marché ».

Le législateur a ainsi pu mettre en place, par la loi du 30 septembre 1986[5], un mécanisme complexe destiné à lutter contre les concentrations susceptibles de porter atteinte au principe constitutionnel de pluralisme. Le dispositif dit « anti-concentration » a du s’adapter aux évolutions technologiques. Ainsi, l’arrivée de la télévision numérique terrestre (TNT) a été l’occasion de réviser une nouvelle fois la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, déjà de nombreuses fois modifiée.

Concentrations mono-média et TNT

S’agissant des concentrations mono-média, le dispositif anti concentration vise à empêcher qu’une même personne, jouant de sa puissance financière, n’exerce une trop forte pression sur les autres acteurs dans le secteur des médias. Les règles anti concentration visent notamment les seuils de détention du capital et des droits de vote ainsi que les cumuls d’autorisations d’exploitation des sociétés.

Limitation de la détention du capital des chaînes hertziennes terrestres

Le régime applicable aux chaînes hertziennes terrestres nationales et locales a été bouleversé par l’arrivée de la TNT.

Les chaînes hertziennes terrestres nationales diffusées en mode analogique

La loi du 30 septembre 1986[6] a d’abord institué, dans son article 39[7], qu’ « une même personne physique ou morale ne peut détenir, directement ou indirectement, plus de 25 % du capital ou des droits de vote d'une société titulaire d'une autorisation relative à un service national de télévision par voie hertzienne terrestre ».

Sur le même principe, « lorsqu'une personne physique ou morale détient, directement ou indirectement, plus de 15% [ou plus de 5%] du capital ou des droits de vote d'une société titulaire d'une autorisation relative à un service national de télévision par voie hertzienne terrestre, elle ne peut détenir, directement ou indirectement, plus de 15% [ou réciproquement plus de 5%] du capital ou des droits de vote d'une autre société titulaire d'une telle autorisation ». La loi du 1er février 1994[8] a ensuite modifié la part maximale du capital pouvant être détenu par une même personne, cette participation étant portée à 49%. Le législateur avait ainsi souhaité favoriser le développement de grands groupes de communication en vue d'affronter la concurrence internationale.

Cette loi a également défini la notion d' « action de concert » entre plusieurs actionnaires. Désormais, l'article L 233-10 du Code de commerce dispose que doivent être « considérées comme agissant de concert les personnes qui ont conclu un accord en vue d'acquérir ou de céder des droits de vote ou en vue d'exercer les droits de vote, pour mettre en œuvre une politique vis-à-vis de la société ». Aucun formalisme particulier n’est imposé entre les actionnaires agissant « de concert ».

La loi du 1er août 2000[9] a légèrement restreint le champ de l’article 39 de la loi de 1986 en précisant qu’il n’était applicable qu’aux « services nationaux de télévision diffusés par voie hertzienne terrestre…tant en mode analogique qu’en mode numérique, dont l’audience dépasse les 2.5% de l’audience totale des services de télévision ».

Cette disposition a rapidement été considérée comme inefficace puisqu’elle permettait l’existence de filiales à 100% de services nationaux de télévision sur la TNT. En effet, face au succès de la TNT, le seuil d’audience de 2.5% était devenu obsolète et cela conduisait les grands groupes à céder une partie du capital de leurs filiales. Ainsi, par la loi du 4 août 2008 sur la modernisation de l’économie, ce seuil a été rehaussé à 8%.

Les chaînes hertziennes terrestres nationales diffusées en numérique

La loi du 1er août 2000[10] va également appliquer pour la première fois l’article 39 pour la diffusion de services de télévision en mode numérique par voie hertzienne terrestre. A cette occasion, le Conseil constitutionnel[11] s’est prononcé sur la nécessité d’appliquer le régime anti concentration aux services de télévision diffusés en mode numérique. Après avoir constaté que, malgré une certaine libération du nombre de fréquences hertziennes le spectre radioélectrique demeure toutefois limité, le Conseil va en déduire que le dispositif anti concentration destinée à garantir l’effectivité du pluralisme peut être allégé de certaines contraintes propres à la diffusion par voie analogique (bien plus couteuse en fréquences) mais qu’il demeure essentiel « de prévenir, par des mécanismes appropriés, le contrôle par un actionnaire dominant d’une part trop importante du paysage audiovisuel »

Par conséquent, si le principe de la limite à 49% pour la détention du capital par une même personne dans des sociétés diffusant des services de TNT est maintenu, les seuils de 15% et de 5% ne sont en revanche pas applicables pour ces mêmes services. Selon le Conseil constitutionnel, cette disposition ne porte pas atteinte au principe de pluralisme « compte tenu de la disponibilité plus grande de la ressource radioélectrique pour la diffusion numérique ». La limitation de 49% dans la détention du capital n’est pas applicable aux sociétés filiales de France Télévision. Le groupe public peut ainsi détenir la totalité des filiales crées en vue de l’édition de services de la TNT gratuite et répondant à des missions de service public. Le Conseil a considéré qu’il n’y avait pas d’attente au principe d’égalité, « eu égard aux obligations particulières » incombant au groupe France Télévision.

En outre, le seuil de 49% fixé par la loi du 1er août 2000 s’applique, en ce qui concerne la TNT, aux seuls services dont l’audience est supérieure à 2.5% de l’audience totale des services de télévision. Pour la raison citée auparavant, ce seuil est passé de 2.5% à 8% dans le cadre de la loi du 4 août 2008, tant pour les services diffusés par voie analogique qu’en numérique.

Désormais, l’article 39 I de la loi du 30 septembre 1986 modifiée stipule qu’ « une même personne physique ou morale agissant seule ou de concert ne peut détenir, directement ou indirectement, plus de 49 % du capital ou des droits de vote d'une société titulaire d'une autorisation relative à un service national de télévision diffusé par voie hertzienne terrestre dont l'audience moyenne annuelle par un réseau de communications électroniques, ... tant en mode analogique qu'en mode numérique, dépasse 8 % de l'audience totale des services de télévision ».

Les chaînes hertziennes terrestres locales

Par ailleurs, depuis l’entrée en vigueur de la loi du 9 juillet 2004, l'article 39 III de la loi du 30 septembre 1986 modifiée interdit à une même personne physique ou morale titulaire d'une autorisation relative à un service national de télévision diffusé par voie hertzienne terrestre, dont l'audience dépasse le seuil de 8% (seuil relevé par la loi du 4 août 2008), de détenir plus de 33% du capital ou des droits de vote d'une société de télévision locale.

Limitation des autorisations d’exploitation des chaînes hertziennes terrestres

Le nombre maximal d’autorisations toléré a été considérablement relevé au fur et à mesure des années. Selon le CSA, cela s’explique par la forte concentration qui caractérise le secteur des chaînes thématiques et ne remet pas en cause la sauvegarde du pluralisme.

Les chaînes hertziennes terrestres nationales diffusées en mode analogique

Lorsque la loi du 30 septembre 1986 a été adoptée, elle interdisait à une personne titulaire d’une autorisation d’exploitation d’un service national de télévision hertzienne terrestre de détenir toute autre autorisation relative à un tel service.

Les chaînes hertziennes terrestres nationales diffusées en numérique

En vue de favoriser le développement de la TNT, le législateur a considéré, à travers la loi du 1er août 2000, qu’une même personne pouvait détenir jusqu’à cinq autorisations pour l’exploitation de services de la TNT. La loi du 9 juillet 2004 a de nouveau rehaussé ce seuil en stipulant que le bénéficiaire d’une autorisation portant sur un service national de télévision analogique terrestre pouvait obtenir simultanément jusqu’à sept autorisations supplémentaires pour la diffusion de services de la TNT à vocation nationale à condition que « ces services ou programmes soient édités par des sociétés distinctes »

Les chaînes hertziennes terrestres locales

En ce qui concerne les télévisions locales, le critère principal permettant la limitation des autorisations d’exploitation est celui de la couverture démographique des services concernés. Ainsi, depuis l’adoption de la loi du 9 juillet 2004, le cumul des autorisations relatives à l’exploitation de services de télévision terrestres locaux et détenues par une même personne, ne doit pas « avoir pour effet de porter à plus de 12 millions d’habitants la population recensée des zones desservies par l’ensemble des services de même nature pour lesquels elle est titulaire d’autorisations ».

Il convient également de rappeler que, depuis cette même loi, la disposition selon laquelle une personne titulaire d’une autorisation d’exploitation d’un service de télévision hertzien terrestre local diffusé par voie analogique ne peut être titulaire d’une nouvelle autorisation relative à un service de même nature diffusé en mode analogique ou numérique dans la même zone, a été supprimée. Cette modification traduit la volonté du législateur d’encourager le développement des télévisions locales.

Par ailleurs, il est souvent reproché au dispositif fondé sur la limitation du nombre d’autorisations d’empêcher la constitution de « pôles éditoriaux » et « d’interdire aux éditeurs d’acquérir des petites chaînes thématiques qui pourraient profiter de cet adossement ». Le rapport Lancelot[12] a ainsi préconisé de remplacer le plafonnement du nombre d’autorisations par un plafond de part d’audience réelle.

Concentrations pluri-médias et TNT

Les concentrations diagonales dites pluri-médias peuvent également conduire à la constitution de grands groupes éditoriaux. Elles permettent à un même groupe de contrôler plusieurs types de médias différents.

Les chaînes hertziennes terrestres nationales diffusées en mode analogique

L’article 41-1 de la loi du 30 septembre 1986 modifiée considère qu’ « aucune autorisation relative à un service de… télévision par voie hertzienne terrestre en mode analogique… ne peut être délivrée à une personne qui se trouverait… dans plus de deux situations suivantes :

  • Être titulaire d'une ou de plusieurs autorisations relatives à des services de télévision diffusés par voie hertzienne terrestre permettant la desserte de zones dont la population recensée atteint quatre millions d'habitants; * Être titulaire d'une ou de plusieurs autorisations relatives à des services de radiodiffusion sonore permettant la desserte de zones dont la population recensée atteint trente millions d'habitants ;
  • Être titulaire d'une ou de plusieurs autorisations relatives à l'exploitation de réseaux distribuant par câble des services de radiodiffusion sonore et de télévision permettant la desserte de zones dont la population recensée atteint six millions d'habitants ;
  • Éditer ou contrôler une ou plusieurs publications quotidiennes imprimées d'information politique et générale représentant plus de 20% de la diffusion totale, sur le territoire national, des publications quotidiennes imprimées de même nature, appréciée sur les douze derniers mois connus précédant la date à laquelle la demande d'autorisation a été présentée. »

Les chaînes hertziennes terrestres nationales diffusées en numérique

Cet article a exactement été transposé à la diffusion par la voie hertzienne terrestre numérique.

Les chaînes hertziennes terrestres locales

L’article 41-2 de la loi du 30 septembre 1986 modifiée pose le même principe au niveau local mais dans des conditions différentes. En effet, aucune autorisation relative à un service local « de télévision par voie hertzienne terrestre en mode analogique ne peut être délivrée pour une zone géographique déterminée à une personne qui se trouverait de ce fait dans plus de deux des situations suivantes :

  • Être titulaire d'une ou de plusieurs autorisations relatives à des services de télévision, à caractère national ou non, diffusés par voie hertzienne terrestre dans la zone considérée ;
  • Être titulaire d'une ou de plusieurs autorisations relatives à des services de radiodiffusion sonore, à caractère national ou non, dont l'audience potentielle cumulée, dans la zone considérée, dépasse 10% des audiences potentielles cumulées, dans la même zone, de l'ensemble des services, publics ou autorisés, de même nature ;
  • Être titulaire d'une ou plusieurs autorisations relatives à l'exploitation de réseaux distribuant par câble à l'intérieur de cette zone des services de radiodiffusion sonore et de télévision ;
  • Éditer ou contrôler une ou plusieurs publications quotidiennes imprimées, d'information politique et générale, à caractère national ou non, diffusées dans cette zone.

Depuis la loi du 1er août 2000, il existe également un dispositif concernant les services de télévision hertziens terrestres diffusés en numérique. Le nouvel article 41-2-1 de la loi de 1986 modifiée pose en effet le même principe que l’article 41-2 précité mais est relatif aux services de la TNT. En effet, le nouvel article 41-2-1 de la loi de 1986 modifiée considère que aucune autorisation locale « ne peut être délivrée… pour une zone géographique déterminée à une personne qui se trouverait, de ce fait, dans plus de deux des situations suivantes :

  • Être titulaire d'une ou de plusieurs autorisations relatives à des services de télévision en numérique, à caractère national ou non, diffusés par voie hertzienne terrestre dans la zone considérée ;
  • Être titulaire d'une ou de plusieurs autorisations relatives à des services de radio, à caractère national ou non, dont l'audience potentielle cumulée, dans la zone considérée, dépasse 10 % des audiences potentielles cumulées, dans la même zone de l'ensemble des services, publics ou autorisés, de même nature ;
  • Éditer ou contrôler une ou plusieurs publications quotidiennes imprimées, d'information politique et générale, à caractère national ou non, diffusées dans cette zone.


En définitive, ces contraintes ne parviennent plus à concilier liberté d’entreprendre d’un côté et protection du pluralisme de l’autre. Au contraire, elles sont aujourd’hui un obstacle à l’émergence d’un « champion national » susceptible d’affronter la concurrence internationale. Comme le relevait Michel Boyon[13], « la mise en place de passerelles et d’une approche pluri-médias entre la presse et l’audiovisuel pourraient être bénéfiques à des secteurs tous deux confrontés au défi du numérique ». Il appelait ainsi à « la fin des seuils actuels anti concentration, tout en respectant le pluralisme ».

Voir aussi

« Erreur d’expression : opérateur / inattendu. » n’est pas un nombre.

Notes

  1. Limites à la concentration et garanties du pluralisme des médias en France, Emmanuel Derieux, Revue Lamy Droit de l’Immatériel, n°30, 2007
  2. Conseil constitutionnel, Décision n° 82-141 DC du 27 juillet 1982 du Conseil constitutionnel concernant la loi n° 82-652 du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle, JORF du 29 juillet 1982 page 2422
  3. « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté, dans les cas déterminés par la loi »
  4. Conseil constitutionnel, Décision n° 86-217 DC du 18 septembre 1986, Loi relative à la liberté de communication, JORF du 19 septembre 1986 page 11294
  5. Loi n°86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, JORF du 1 octobre 1986 page 11755
  6. Loi n°86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication op. cit.
  7. Cet article avait été déclaré non conforme à la Constitution par décision du Conseil constitutionnel n° 86-217 DC du 18 septembre 1986, Loi relative à la liberté de communication op. cit.
  8. Loi n°94-88 du 1 février 1994 modifiant la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, JORF n°27 du 2 février 1994 page 1800
  9. Loi n° 2000-719 du 1er août 2000 modifiant la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, J.O n° 177 du 2 août 2000, p. 11903.
  10. Loi n° 2000-719 du 1er août 2000 modifiant la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, op. cit, p. 11903.
  11. Décision no 2000-433 DC du 27 juillet 2000, Loi modifiant la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, JORF n°177 du 2 août 2000 page 11922 texte n° 2
  12. Rapport remis le 13 janvier 2006 au Premier Ministre par le professeur Lancelot sur les problèmes de concentration dans le domaine des médias, la documentation francaise, janvier 2006, 115 pages
  13. Quel paysage pour la société des médias ? Nouveaux marchés, nouveaux lecteurs, nouvelles régulations, Intervention de Michel Boyon au 16e Congrès de la Fédération nationale de la presse française, le 20 novembre 2008 à Lyon