Discours de Me Nima Haeri pour la Journée internationale des droits des femmes – Le 8 mars 2018 (fr)

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.
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Me Nima Haeri, Avocat à la Cour et Cinquième Secrétaire de la Conférence[1]
le 8 mars 2018 à la Maison du barreau - Paris (photo: Me Valence Borgia @valenceborgia)


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La virilité n’est-elle qu’un massacre de l’âme inspiré par les carences inévitables du sentiment de puissance autoproclamé par les porteurs de pénis ? (Par l’affirmative)


Du velours pourpre,

Un fumet de Cohiba,

Un sourire à tout casser.


Je n’avais jamais vu un homme aussi désespéré,

Si tôt le matin.

Bernard a l’apparence d’un buffle et le rire d’une baleine.

Il ne pleure jamais,

En public.

Il ne séduit pas,

Il conquiert.

Il ne cohabite pas,

Il domine.

Bernard est Viril.


Comme tous les mâles dominants, il est fait d’un cœur dominé,

Par le manque.

Il y a comme une peur insoupçonnée du vide chez l’égérie du masculinisme.

Un désir d’écrasement qui suscite beaucoup de tendresse et beaucoup de mépris.


Les études le prouvent : 100% de ceux qui tiennent la virilité pour une vertu cardinale sont de gros lourds.

Cette bonne vieille virilité, ses siècles de possession et de peur de perdre.


Et dans ce paradigme singulier,

Il se trouve que les femmes sont féminines mais que les hommes sont virils.

Les femmes sont féminines mais les hommes ne sont pas homonymes.

D’abord parce que cela ne veut rien dire.

Ensuite parce que pour définir son idéal,

En miroir du sexe opposé,

L’homme a cru devoir se réinventer jusqu’à s’affranchir de son préfixe.


Jusque dans les mots, il y a eu pour le mâle quelque chose à combler.


Pour trouver sa place,

L’homme a cru devoir dépasser sa condition et revêtir les habits d’un mythe, par essence plus fort que la réalité.

Et il s’est auto-divinisé,

Comme un Napoléon du minuscule s’auto-couronne.


Mais si l’Iliade nous apprend que la ruse est préférable à l’affrontement,

Et si Sisyphe nous enseigne l’absurdité de l’existence,

Que nous enseigne le mythe de la virilité ?


On a rarement vu l’espèce humaine faire des progrès à coup de domination.

Le consensus des hommes autour de la virilité c’est surtout l’expression d’une inquiétude que nous avons en partage.

Avec son cortège de puissance et de records du monde.


Le mythe de la virilité c’est le furoncle du progrès,

Le cancer de l’histoire.


Le godemiché existe depuis la nuit de l’homme.

Avec le XXe siècle, il est devenu nucléaire.

L’heure est aux confidences.

Comme Gary, « quand un homme se met à me parler « femmes », au pluriel, sur un ton de complicité masculine entre connaisseurs de viande sur pied, je ressens à son égard une montée de haine presque raciste » .


Et c’était tout le problème de Bernard, lui, qui a vécu sa vie de conquêtes et de gloires.

Une vie de collectionneur.

Jamais rassasié, jamais vraiment heureux, jamais rassuré.

Le tableau de chasse est toujours orné par des fragments d’inquiétudes.

Et cette vie de braconnier a fini par l’épuiser.

Mais le goût des records ne passe pas avec l’âge.


Récemment, en partant sur les traces de son idole, Silvio B, Bernard fut victime d’un syndrome de Stendhal bien particulier.

En Toscane.

Ce fut comme une apparition.


A 50 ans, ses muscles pouvaient enfin se décrisper.

Un souffle à la mélodie particulière parcourait ses veines.

Sa vie avait désormais un sens.


Seul face à ce monument, il entreprit de réaliser une prouesse bien particulière.

Une prouesse forte de symbole.

Celle qui ferait entrer la virilité au patrimoine mondial de l’Unesco.


Bernard allait redresser la Tour de Pise.

Alors plus jamais rien ne demeurerait penché.

Il l’expliquait à qui voulait l’entendre : « si la science permet désormais de redresser certaines choses, autant le faire ».


Et là, vous vouliez du massacre de l’âme, vous en avez.

Le jour où nous aurons redressé la Tour de Pise,

Ce jour-là, on aura décrété que l’on ne se pardonne plus aucune faiblesse,

Et ce sera la fin de la civilisation.


Evidemment que la virilité n’est qu’un massacre de l’âme inspiré par les carences inévitables du sentiment de puissance autoproclamé par les porteurs de pénis.

Et en tant que membre de cette communauté,

Je dois assumer.


Si d’autres grands hommes face à l’histoire de leur peuple ont pris leur responsabilité,

J’assumerai la nôtre

Et je parle au nom de tous les hommes présents dans cette salle.

Et dans le monde.

Nous sommes désolés pour ce mythe crétin de la virilité.


La vérité c’est que le plus grand effort culturel de notre histoire fut en faveur des prises de conscience : nous avons désappris à nous ignorer.


Depuis quelques jours, en Empire perse, un mouvement s’est dessiné dans la nuit peinte par les hommes. Leurs compagnes, leurs filles, leurs petites filles ont décidé de retirer le foulard en pleine rue.

Ça doit aussi ressembler à ça, faire sa propre révolution : retirer des couches de voile de l’intellectuellement acquis.


Car cette virilité imbécile c’est l’isolationnisme à échelle de sentiments. C’est croire que son propre mythe suffit à vivre.

Mais on le sait depuis le pétrole : les sources d’énergie sont chez les autres. Personne ne s’autoalimente.

Vous avez déjà vu, dans la rue, les très vieux couples qui marchent ensemble, la main dans la main, et se soutiennent l’un et l’autre pour éviter la chute ? Moins il reste de chacun, et plus il reste des deux.

Et à la fin de la journée, quand le soir tombe, la véritable humanité c’est de dire « je t’aime ». Sans même qu’il s’agisse d’amour. Juste de l’impossibilité de respirer autrement.


Peut-être alors.

Alors seulement.

Nous pourrons dire que les hommes sont des femmes comme les autres.

Note

  1. Ce discours est très librement inspiré du récit de "Au-delà de cette limite, votre ticket n’est plus valable", comme il l’est de l’œuvre et de la pensée de Romain Gary.