Droit à l'information et respect des victimes: l'ordonnance Paris Match du 13 juillet 2017 (fr)

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.

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Auteur : Thierry Vallat, avocat au Barreau de Paris
14 juillet 2017


Un an après le drame survenu à Nice le 14 juillet 2016 lors duquel un camion kamikaze a foncé délibérément dans la foule des vacanciers amassés sur le promenade des anglais causant la mort de 86 personnes et fait 458 blessés, le magazine Paris Match a décidé de publier des photos de victimes de l'attentat.

Poids des mots, choc des photos: le Parquet de Paris s'est immédiatement saisi de cette affaire, d'autant que les images publiées dans l'hebdomadaire, au delà de leur aspect choquant, provenaient manifestement de scellés de l'instruction en cours et d'extraits des bandes de vidéo-surveillance municipale prises du dossier pénal !

Ces captures d'écran publiées sans précaution, ni autorisation, et portant atteinte à la dignité des victimes ont fait bondir les associations de défense des droits des victimes d'attentat qui ont interpellé le Parquet.

Le procureur de Paris François Molins a dès lors ouvert une enquête pour "violation du secret de l'instruction et recel" de ce délit et enclenché une procédure de référé d’heure à heure, pour tenter d’interdire la diffusion et la vente du numéro de Paris Match du jeudi 13 juillet.

Le ministère public assignait donc Hachette Filipacchi Médias et la directrice de publication de Paris Match, et "demande au tribunal d'ordonner le retrait de la vente" du magazine et "l'interdiction de diffusion sous tous formats, notamment numérique".

L'hebdomadaire se défendait de tout sensationnalisme et se réfugiait bien entendu derrière le sacro-saint droit à l'information.

Il s'agit d'une procédure exceptionnellement diligentée, car mettant à mal ce droit à l'information et la loi de 1881 sur le liberté de la presse.

Il existe donc peu de précédents récents à l'initiative du Parquet. Ce dernier avait assigné en mars 2012 la chaîne d’information Al-Jazira qui avait annoncé la diffusion de vidéos filmées par Mohamed Merah pendant ses attentats. La chaîne quatarie avait alors renoncé à les diffuser évitant le procès.

On se souvient également de celle ayant conduit en 2009 à interdire au magazine Choc la publication de photos du malheureux Ilan Halimi, sur demande de la famille.

La cour d'appel de Paris avait en effet ordonné que cinq reproductions d'Ilan Halimi soient enlevées dans tous les exemplaires du mensuel, mais n'avait pas ordonné le retrait des kiosques, ce qu'avait confirmé la Cour de cassation dans un arrêt du 1er juillet 2010 Cour de cassation Chambre civile 1, 1 juillet 2010, 09-15.479.

La Cour de cassation avait alors précisé que les proches d'une personne peuvent s'opposer à la reproduction de son image après son décès, dès lors qu'ils en éprouvent un préjudice personnel en raison d'une atteinte à la mémoire ou au respect dû au mort et que la publication de la photographie litigieuse, qui dénotait une recherche de sensationnel, n'était nullement justifiée par les nécessités de l'information, elle en a justement déduit que, contraire à la dignité humaine, elle constituait une atteinte à la mémoire ou au respect dû au mort et dès lors à la vie privée des proches, justifiant ainsi que soit apportée une telle restriction à la liberté d'expression et d'information

Dans un arrêt du 25 février 2016 Société de Conception de Presse et d'Edition c. France, la Cour européenne des droits de l'homme avait considéré que les juges français n'avaient pas porté atteinte à la liberté de l'information en ordonnant l'interdiction, par le magazine des photographies de la victime du gang des Barbares prise durant sa séquestration en janvier 2006.

La protection de l'image d'une personne décédée repose sur plusieurs piliers. L'article 226-6 du code pénal autorise tout d'abord les ayants-droit ou les héritiers à porter plainte pour l'atteinte portée à leur vie privée. Par ailleurs, une action peut également être engagée au civil sur le fondement de l'article 16 du code civil qui énonce que "la loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci"

Rappelons en outre les dispositions de l’article 35 quarter sur la liberté de la presse (qui s’applique aussi aux particuliers qui publient sur des blogs ou sur les réseaux sociaux) : « La diffusion, par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support, de la reproduction des circonstances d’un crime ou d’un délit, lorsque cette reproduction porte gravement atteinte à la dignité d’une victime et qu’elle est réalisée sans l’accord de cette dernière, est punie de 15 000 euros d’amende. »

Cet article concerne cependant uniquement des victimes encore vivantes.

Photographier un cadavre sur une scène de crime – comme ce fut le cas à Nice – peut être également sanctionné par plusieurs autres articles du code pénal (notamment le 227-24 et 222-33-3, qui considèrent comme répréhensibles « le fait d’enregistrer » et le « fait de diffuser l’enregistrement »). Cela pourrait mener jusqu’à 5 ans d’emprisonnement et une sanction de 150 000 euros. Cet article n'est cependant pas applicable lorsque l'enregistrement ou la diffusion résulte de l'exercice normal d'une profession ayant pour objet d'informer le public ou est réalisé afin de servir de preuve en justice.

La décision de référé rendue le 13 juillet au soir n'a finalement pas ordonné le retrait, mais a interdit la publication de toute nouvelle publication papier ou numérique de deux photos de l'attentat publiées jeudi par Paris Match, y compris donc en ligne. En cas d’entorse à cette interdiction, l’hebdomadaire risque une amende de 50 000 euros par infraction

Selon l'ordonnance, ces deux photos portent atteinte à la dignité humaine. En revanche, « le retrait des kiosques du numéro litigieux ne saurait constituer une mesure efficiente, dès lors que le numéro litigieux est déjà en vente ». Attentat de Nice: Paris Match interdit de toute nouvelle publication

La décision a également relevé le côté racoleur de cette publication indécente qui témoigne d'une recherche évidente de sensationnel et n'apporte rien de nouveau au droit à l'information

Une décision très pragmatique en somme respectant à la fois le droit à l'information, mais stigmatisant une publication inappropriée pour le moins. Bien que rendue en référé, cette ordonnance devrait faire jurisprudence et inciter les directeurs de publication à la prudence.

Si l'on peut tout dire, ou presque, on ne peut pas tout montrer.