Droit au respect de l'oeuvre : le dialogue des carmélites transformé en feuilleton judiciaire (fr)

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Auteur : Emmanuel Pierrat,
Avocat au barreau de Paris
Juillet 2017


Le dernier conflit judiciaire du Dialogue des carmélites vient d’être jugé par la Cour de cassation, dans un arrêt en date du 22 juin 2017.

Rappelons que cette œuvre a suscité plusieurs litiges qui ont nourri la jurisprudence sur le droit d‘auteur depuis sa divulgation, après la mort de son géniteur, Georges Bernanos. Le texte a été conçu à l’origine pour un scénario cinématographique, écrite en 1948. Et le sujet est inspiré d’une nouvelle de la romancière allemande Gertud von Le Fort, La Dernière à l'échafaud, retraçant l'histoire des seize Carmélites de Compiègne condamnées à mort par le Tribunal Révolutionnaire et guillotinées, y ajoutant celle du personnage imaginaire de Blanche de la Force. La jeune aristocrate habitée par la peur ne se sent pas capable d’affronter le monde et décide, à l’aube de la Révolution française, d’entrer au Carmel. Elle se retrouve malgré elle confrontée au drame et, doutant de sa foi, hésitante, rejoint au dernier moment les autres religieuses.

Au terme d’une longue procédure, la Cour de cassation avait déjà souligné, en 1966, à propos du film tiré des Dialogues des carmélites, la liberté de l’adaptateur cinématographique d’une oeuvre littéraire, tout en rappelant la nécessité de ne pas dénaturer le livre…

Francis Poulenc a par ailleurs imaginé une adaptation musicale pour opéra, très fidèle au texte de Georges Bernanos, dont les représentations ont commencé en 1957. Et cet opéra a été représenté à l’opéra de Munich dans une mise en scène de Dmitri Tcherniakov, en mars 2010, puis en avril 2011.

Un nouveau contentieux est né de cette autre adaptation. La justice a été saisie de cette une mise en scène, poursuivie par les héritiers de Francis Poulenc et ceux de Georges Bernanos. Les titulaires du droit moral avaient assigné en contrefaçon l’opéra de Munich, en la personne du Land de Bavière, ainsi que les sociétés qui avaient coproduit une captation audiovisuelle d’une représentation de l’œuvre, commercialisée sous forme de vidéogramme.

Or, 13 octobre 2015, la Cour d’appel de Paris a considéré que la fin de l’histoire telle que mise en scène modifie profondément la fin voulue par les auteurs. Toutes les captations audiovisuelles de cette mise en scène ont donc été interdites.

La Cour d’appel ainsi infirmé le jugement de première instance, qui avait retenu que cette adaptation portait atteinte aux droits moraux d’auteurs qui y étaient attachés.

La Cour de cassation casse et annule cet arrêt. Les juges relèvent tout d’abord que la mise en scène litigieuse procède à une modification profonde de la scène finale qui confère aux dialogues qui la précédent tout leur sens, « Blanche rejoignant ses sœurs pour accomplir avec elles, dans la même confiance et la même espérance, le vœu de martyr prononcé, malgré elle, et constitue l’apothéose du récit, et que, partant, loin d’être l’expression d’une interprétation des œuvres des auteurs », elle en modifie la signification et en dénature l’esprit.

La Cour de cassation reproche encore à la cour d’appel d’avoir ordonné à la société de production audiovisuelle et à l’opéra de Munich, sous astreinte, de prendre toute mesure pour que cesse immédiatement et en tous pays la publication dans le commerce ou plus généralement l’édition.

Les Hauts magistrats considèrent en effet qu’il aurait mieux fallu « examiner en quoi la recherche d’un juste équilibre entre la liberté de création du metteur en scène et la protection du droit moral du compositeur et de l’auteur du livret » justifie la mesure d’interdiction.

Rappelons que c’est l’article L. 121-1 du Code de la propriété intellectuelle qui articule le droit au respect de l’œuvre.

Les atteintes au respect de l’œuvre surgissent souvent à l’occasion d’adaptations d’une œuvre, par exemple d’un roman pour le cinéma. L’esprit de l’œuvre d’origine doit être respecté par l’adaptateur. Il faut par conséquent trouver un juste milieu entre la nécessaire déformation de l’œuvre due à son adaptation et son respect prévu par la loi. En l’absence de dispositions contractuelles précises (sujettes elles-mêmes à de nombreuses limitations), c’est au juge que reviendra, en cas de conflit, le pouvoir d’estimer si le respect de l’œuvre a été ou non atteint.

Pour pallier toute atteinte au respect de leur œuvre, certains écrivains n’hésitent pas à exiger une clause de respect parfois très détaillée dans le contrat d’adaptation. Le conflit peut germer sur les coupes faites dans l’intrigue, sur la transposition dans un autre décor que celui conçu par le romancier, etc.

Enfin, réaffirmons que, selon la conception française du droit d’auteur, le droit moral est perpétuel et ne connaît pas de domaine public. En 1966, la Cour de cassation a aussi statué, à la demande de la Société des gens de lettres, sur l’adaptation au cinéma par Roger Vadim des Liaisons dangereuses.