Enlèvement international d'enfant et règlement européen Bruxelles II bis

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Larence Mayer, avocat au barreau de Paris [1]

Septembre 2001



La Cour de Justice européenne a considéré que le Règlement Européen Bruxelles IIbis, n’est pas destiné à régler les conflits de compétence entre des États membres et des États tiers, mais à régler des conflits de compétence, seulement entre Etats membres.


Arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 24 mars 2021 (affaire C-603/20 PPU)


Est en cause l’application de règles de conflit de compétences établis par le Règlement Bruxelles II Bis relatif à la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale.


L’article 8 de ce Règlement énonce que « les juridictions d’un État membre sont compétentes en matière de responsabilité parentale à l’égard d’un enfant qui réside habituellement dans cet État membre au moment où la juridiction est saisie ».

Cet article de « compétence générale » réserve 3 cas de compétence spéciale aux articles 9, 10 et 12.


Selon l’article 10, « en cas de déplacement ou de non-retour illicites d'un enfant, les juridictions de l'État membre dans lequel l'enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour illicites conservent leur compétence jusqu'au moment où l'enfant a acquis une résidence habituelle dans un autre État membre et que [une ou plusieurs autres conditions sont réunies] »


En l’espèce, un homme et une femme d’origine indienne résidant en situation régulière au Royaume-Uni ont eu un enfant en 2017. Cet enfant était dès sa naissance ressortissant britannique. Ses deux parents étaient titulaires de l’autorité parentale, l’homme l’ayant reconnu à la naissance.


La femme a décidé au mois d’octobre 2018 de se rendre en Inde avec l’enfant. Depuis, mis à part un bref séjour au Royaume-Uni de cet enfant en avril 2019, cet enfant n’est plus retourné au Royaume-Uni et vit avec sa grand-mère maternelle en Inde.


Le Règlement Bruxelles II bis définit le déplacement ou le non-retour illicites. L’article 2 de ce Règlement dispose en effet que : « [il y a] déplacement ou non-retour [illicites] d'un enfant lorsque [le déplacement ou le non-retour] :


a) a eu lieu en violation d'un droit de garde résultant d'une décision judiciaire, d'une attribution de plein droit ou d'un accord en vigueur en vertu du droit de l'État membre dans lequel l'enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour

et

b) sous réserve que le droit de garde était exercé effectivement, seul ou conjointement, au moment du déplacement ou du non-retour, ou l'eût été si de tels événements n'étaient survenus. La garde est considérée comme étant exercée conjointement lorsque l'un des titulaires de la responsabilité parentale ne peut, conformément à une décision ou par attribution de plein droit, décider du lieu de résidence de l'enfant sans le consentement d'un autre titulaire de la responsabilité parentale. »


En l’espèce, il y avait déplacement et/ou retenue illicites de l’enfant en Inde par sa mère.


La question qui se posait consistait en l’application ou non de l’article 10 du Règlement Bruxelles II bis à la situation de faits exposée.


La juridiction anglaise qui avait été saisie nourrissait des doutes quant à l’application de cet article 10 à un conflit de compétences entre les juridictions d’un État membre et celles d’un État tiers.


Ainsi, la juridiction anglaise saisie avait décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour de justice de l’Union européenne la question préjudicielle suivante : « un État membre conserve-t-il sa compétence, sans limite dans le temps, au titre de l’article 10 du [Règlement Bruxelles 2 bis] si un enfant qui avait sa résidence habituelle dans cet État membre est illicitement déplacé vers (ou retenu dans) un État tiers où, à la suite d’un tel déplacement (ou non-retour), il a ultérieurement acquis sa résidence habituelle ?  »


La CJUE répond par la négative à cette question mais va plus loin ; elle va jusqu’à considérer que l’article 10 du Règlement, et plus généralement le Règlement, n’est pas destiné à régler les conflits de compétences entre des États membres et des États tiers.


La CJUE développe 4 grands axes de réponse à cette question. Il convient de les reprendre.



L’article 10 du Règlement Bruxelles II Bis : une règle de conflit de compétences destinée uniquement aux conflits entre deux États membres

La CJUE est on ne peut plus claire sur la destination de la règle de conflit de compétences de l’article 10 de ce Règlement : « il ressort des termes de l’article 10 [du Règlement Bruxelles II Bis] que les critères retenus par cette disposition aux fins de l’attribution de la compétence en cas d’enlèvement d’enfant visent une situation qui se cantonne au territoire des États membres ».


Ainsi, la CJUE est très explicite quant à sa position : il ne faut envisager l’application de cet article 10, destiné à régler les conflits de compétences en cas de déplacement ou de non-retour illicites d’enfants, que dans un cadre intra-européen, que si de tels déplacements ou non-retours impliquent deux États membres de l’UE. Dès l’instant ou un État tiers est impliqué, il n’a plus vocation à s’appliquer.


A l’appui de cette interprétation, la CJUE indique que l’article 10 ne mentionne lui-même que des « États membres » et non pas des « États » ou des « États tiers », et que la CJUE a déjà eu l’occasion de se prononcer en ce sens dans le cadre d’une procédure relative à l’article 8 du même Règlement (CJUE, affaire UD, 17 oct. 2018, point 33).


Le second argument jurisprudentiel est un argument factuel incontestable. Le premier, plus sémantique, pourrait l’être un peu plus en ce que de tels arguments sont toujours sujets à débat. Toutefois, il est vrai que cet article 10 précise, d’une part, que l’État d’où l’enfant a été déplacé doit être un État « membre », et d’autre part que l’État où l’enfant a été déplacé doit être un État « membre ». Ainsi, la solution de la CJUE se comprend également parfaitement du simple point de vue textuel.


La place de l’article 10 au sein du Règlement : une règle de compétence spéciale

En l’espèce, en résumé, un enfant résidant habituellement en Angleterre a été enlevé par sa mère qui s’est rendue avec lui en Inde et l’a confié à sa propre mère vivant dans ce pays. Ainsi, l’enfant après son déplacement illicite a commencé à résider de manière habituelle en Inde, État tiers de l’UE.


Un des propositions d’application de l’article 10 du Règlement Bruxelles II bis aux faits présentés consistait à faire application de manière partielle de cet article et finalement à faire abstraction d’une partie de cette disposition.


Petit rappel : dans sa première partie, l’article 10 du Règlement Bruxelles II bis prévoit que l’État membre dans lequel l’enfant avait sa résidence habituelle avant le déplacement illicite est compétent pour statuer sur ce déplacement ; dans sa deuxième partie prévoit le cas où cette résidence devient habituelle dans le pays du déplacement illicite, la compétence pour statuer sur ce déplacement étant alors confiée à l’État membre du déplacement (sous certaines conditions).


La proposition d’application de l’article 10 du Règlement était, au cas où l’État du déplacement illicite n’est pas un État membre de l’UE, d’appliquer seulement la première partie de l’article et donc d’octroyer la compétence pour statuer sur ce déplacement à l’État de résidence habituelle antérieure au déplacement de l’enfant, un octroi ainsi insusceptible, du moins du point de vue de cette disposition, de changement ultérieur en ce qu’on délaisse avec cette lecture partielle de l’article 10 l’État de la nouvelle résidence habituelle de l’enfant après son déplacement illicite.


La CJUE a donc précisé qu’en tant que règle de compétence spéciale, l’article 10 est « d’interprétation stricte et ne permet donc pas une interprétation allant au-delà [ici en-deçà en réalité] des hypothèses envisagées de manière explicite par l’article ».


Ainsi, la CJUE refuse l’interprétation restrictive de l’article 10 du Règlement Bruxelles II Bis qui consisterait à appliquer de manière partielle cet article et à ne porter intérêt – et à ne faire application in fine – qu’à la première partie de cette disposition.


De plus, une telle interprétation aurait pour conséquence que l’État membre de la résidence habituelle antérieure à l’enlèvement de l’enfant conserverait sa compétence sans limitation dans le temps en cas d’enlèvement vers un État tiers (v. supra pour ce point), ce qui peut sembler contraire à l’intérêt de l’enfant, qui induit la proximité entre le lieu de compétence du tribunal statuant sur son sort et la résidence actuelle de l’enfant, et contraire à l’exigence d’une bonne administration de la justice.


Assurer la compatibilité entre la Convention de la Haye de 1996 et le Règlement Bruxelles II Bis

L’interprétation de l’article 10 du Règlement Bruxelles 2 bis précédemment évoqué (v. grand II) aurait pour conséquence de créer un conflit entre des règles des conflit de compétence qui serait de nature à complexifier les choses.


En effet, la Convention de la Haye de 1996, à laquelle de nombreux États membres de l’UE sont parties, prévoit elle-même des règles de conflit de compétences en cas de déplacement ou de non-retour illicites d’enfant (v. article 7 paragraphe 1 de la Convention).


Une application partielle de l’article 10 du Règlement Bruxelles 2 bis ayant pour conséquence d’octroyer de manière définitive la compétence pour statuer sur un enlèvement d’enfant à l’État membre de la résidence habituelle de l’enfant avant son déplacement illicite entrerait en contradiction avec les règles de conflit de compétence de la Convention de la Haye qui prévoit également un changement de compétence en faveur du nouvel État de résidence habituelle de l’enfant après le déplacement illicite, sous certaines conditions.


En l’espèce, un tel conflit n’aurait pas été possible en ce que l’Inde n’est pas partie à la Convention de la Haye de 1996. En revanche, si l’État de déplacement illicite était l’Australie ou l’Uruguay ou encore l’Ukraine ou la Serbie (il y a bien d’autres pays signataires de la Convention de la Haye de 1996), une contradiction existerait entre le pays désigné comme compétent par le Règlement Bruxelles 2 bis et celui désigné comme compétent par la Convention de la Haye de 1996 avec une telle interprétation de l’article 10 du Règlement.


Et un tel conflit ne pourrait être résolu par aucune juridiction, chaque juridiction faisant application de ces textes ayant autant raison l’une que l’autre.


L’interprétation conforme à la genèse du Règlement

La CJUE met également en avant l’idée, pour appuyer sa position, qu’il « découle de la genèse du [Règlement Bruxelles II Bis] que le législateur de l’Union a voulu instituer une réglementation stricte en ce qui concerne les enlèvements d’enfant à l’intérieur de l’Union mais qu’il n’a pas entendu soumettre à cette réglementation les enlèvements d’enfant vers un État tiers ».


La CJUE poursuit alors en précisant que pour les situations extra-européennes, ou du moins qui impliquent un État tiers à l’UE, il existe deux conventions internationales notamment destinés à régler les conflits de compétences en cas d’enlèvements internationaux d’enfants : les Conventions de La Haye de 1980 et de 1996.


La preuve de la direction de la genèse de ce Règlement se trouve dans l’exposé des motifs relatif à la proposition de ce Règlement. Il énonçait en effet que « afin de couvrir les situations à caractère international, la Commission a présenté [...] une proposition de décision du Conseil autorisant les États membres à signer la convention de la Haye de 1996 ».