Géolocalisation et contrôle du temps de travail par l’employeur: le recours à la géolocalisation n'est licite que lorsque ce contrôle ne peut pas être fait par un autre moyen, fût-il moins efficace (fr)

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Franc Muller, avocat au barreau de Paris
Janvier 2019




La mise en place d’un système de géolocalisation dans une entreprise, à des fins notamment de rationalisation de l’activité des salariés, peut-elle être également utilisée par l’employeur, pour exercer incidemment un contrôle sur la durée de leur travail ?


La tentation offerte par ce dispositif [1] peut en effet être grande pour l’employeur de se muer en « Big Brother » pour surveiller l’activité et les horaires des salariés, et en tirer ultérieurement des conséquences, favorables ou non.


La réponse à cette interrogation, qui n’est pas nouvelle [2], vient d’être réaffirmée avec force par la Cour de cassation : l’utilisation d’un système de géolocalisation pour assurer le contrôle de la durée du travail, n’est licite que lorsque ce contrôle ne peut pas être fait par un autre moyen, fût-il moins efficace que la géolocalisation, n’est pas justifiée lorsque le salarié dispose d’une liberté dans l’organisation de son travail (Cass. soc. 19 déc. 2018 n° 17-14631 [3]).


La géolocalisation est un dispositif intrusif qui mêle plusieurs aspects juridiques : collecte de données personnelles, éventuelle vie privée des salariés et droit du travail, nécessitant un encadrement strict pour éviter les dérives.


C’est dans ce contexte que son utilisation dans l’entreprise était subordonnée jusqu’à une date récente à une déclaration préalable auprès de la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL), dans laquelle l’employeur devait indiquer sa finalité.


La jurisprudence considère à cet égard qu’un système de géolocalisation ne pouvait être utilisé par l’employeur pour d’autres finalités que celles qu’il avait déclarées à la CNIL et portées à la connaissance des salariés.


A défaut, la production d’un relevé de géolocalisation constitue un mode de preuve illicite et ne peut donc valablement être retenue pour justifier un motif de licenciement (Cass. Soc. 3 nov. 2011 n° 10-18036 [4], Cass. Soc. 3 oct. 2018 n° 16-23968 [5]).


Depuis le 25 mai 2018 et l’application du Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD), le système de géolocalisation des véhicules professionnels n’a plus à être déclaré à la CNIL [6], d’autres exigences lui ayant été substituées.


En outre, et ces conditions sont encore d’actualité, l’employeur doit également, préalablement à l’application du dispositif de géolocalisation, consulter les représentants du personnel, lorsqu’il en existe, et informer individuellement chaque salarié concerné.


La jurisprudence avait été appelée à se prononcer dans une première affaire, sur la situation d’un salarié occupant une fonction commerciale, qui était tenu à un horaire de 35 heures hebdomadaire qu’il organisait librement, et dont le contrat de travail stipulait qu’il devait respecter un programme fixé et rédiger un compte-rendu d’activité journalier précis.


L’employeur lui avait notifié la mise en place d’un système de géolocalisation sur son véhicule « afin de permettre l’amélioration du processus de production par une étude a posteriori de ses déplacements et pour permettre à la direction d’analyser les temps nécessaires à ses déplacements pour une meilleure optimisation des visites effectuées ».


Un an plus tard, l’intéressé avait pris acte de la rupture de son contrat de travail en reprochant à son employeur d’avoir calculé sa rémunération sur la base du système de géolocalisation du véhicule.


Dans une décision de principe, la Chambre sociale de la Cour de cassation rappelait d’abord que l’article L 1121-1 du code du travail prévoit que nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché, avant d’énoncer que « l’utilisation d’un système de géolocalisation pour assurer le contrôle de la durée du travail, laquelle n’est licite que lorsque ce contrôle ne peut pas être fait par un autre moyen, n’est pas justifiée lorsque le salarié dispose d’une liberté dans l’organisation de son travail ».


La demande du salarié avait été accueillie après que les Magistrats aient constaté qu’il disposait précisément d’une liberté dans l’organisation de son travail et que l’employeur avait utilisé le dispositif de géolocalisation à d’autres fins que celles qui avaient été portées à sa connaissance (Cass. Soc. 3 nov. 2011 n° 10-18036 [7], voir aussi Cass. Soc. Cass. Soc. 17 déc. 2014 n° 13-23645 [8]).


Cette solution vient d’être reprise, après que la Poste, qui est décidément un bon client en Droit du travail, ait émis la volonté de mettre en place un dispositif de géolocalisation enregistrant la localisation des distributeurs toutes les dix secondes au moyen d’un boîtier mobile que ces distributeurs portent sur eux lors de leur tournée et qu’ils activent eux-mêmes.


Saisie par la Fédération SUD PTT, qui s’opposait à l’instauration de ce dispositif et préconisait soit l’utilisation d’une pointeuse mobile, soit un système auto-déclaratif ou le contrôle par un responsable d’enquêtes, les Hauts magistrats ont rejeté l’utilisation de ce procédé par la Poste.


Après avoir repris leur attendu de principe, ils ajoutent que lorsque existe un autre moyen pour assurer le contrôle de la durée du travail, fût-il moins efficace que la géolocalisation, celui-ci doit être privilégié (Cass. soc. 19 déc. 2018 n° 17-14631 [9]).


En clair, l’utilisation d’un système de géolocalisation pour contrôler la durée de travail des salariés n’est possible qu’en dernier recours, et n’est aucunement justifié lorsque les salariés disposent de la liberté d’organiser leur travail.