Henri Leclerc et la liberté d'expression (fr)

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.
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Auteur : Emmanuel Pierrat, Avocat au barreau de Paris
Décembre 2017


Le grand avocat pénaliste Henri Leclerc vient de publier ses mémoires, intitulés La Parole et l’action (Fayard).


Revenant sur ses soixante ans de carrière, il y évoque, bien entendu, la guerre d’Algérie, Mai 1968, l’abolition de la peine de mort, la défense des mineurs et des paysans, son engagement aux côtés de Michel Rocard ou encore la Ligue des Droits de l’Homme, tout comme une série de clients célèbres, de Richard Roman à Dominique Strauss-Kahn, en passant par Véronique Courjault.


Ses combats judiciaires, politiques, éthiques, l’ont aussi amené à traiter d’affaires de presse et d’édition, auxquelles il consacre un chapitre entier.

L’éminent plaideur revient à cette occasion sur l’histoire de la liberté d’expression, née de la Révolution, et cite volontiers Marat : « La liberté n’a d’ennemis que ceux qui veulent se réserver le droit de tout faire. Quand il est permis de tout dire, la vérité parle d’elle-même et sin triomphe est assuré ».


Henri Leclerc raconte son intérêt de toujours pour la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse - si connue de nos concitoyens car elle orne les murs de nos villes pour interdire d’y afficher - et comment il est en devenu un praticien, en codéfendant Libération avec notre excellent confrère Jean-Paul Lévy, de 1973 à 2006, année du départ de Serge July. Le quotidien était la cible du procureur général de Paris, Paul-André Sadon qui avait choisi de poursuivre inlassablement petites annonces et articles pour outrage aux bonnes moeurs…


Henri Leclerc relate également par le menu les procès intentés par Jean-Marie Le Pen dans les années quatre-vingt contre Libération, le Canard enchaîné, puis Michel Rocard, procès depuis lesquels il est possible de qualifier l’homme politique d’extrême-droite de tortionnaire. Les attendus d’une de ces importantes décisions sont éloquents : « le lieutenant Le Pen ne peut se prévaloir d’une atteinte à son honneur, car il ne saurait à la fois approuver la conduite de ceux qui ont commis les actes qui lui sont imputés et affirmer que cette imputation le déshonore. Il ne peut pas non plus se plaindre d’une atteinte à sa considération. Il suffit à cet égard de constater que le commandement de l’armée partageait les opinions du lieutenant Le Pen ».


Cette passion de la liberté, se traduit encore, à partir de 1990, par la défense de Fayard (en tandem avec la brillante Muriel Brouquet-Canale), à commencer par les écrits de Pierre Péan sur Jacques Foccart. Mais Henri Leclerc précise : « quand on est l’avocat d’un éditeur, il y a aussi les à-côtés, notamment la défense des droits de l’auteur plagié par d’autres ou accusé d’avoir plagié lui-même ». Et de narrer, avec saveur, comment il a fait condamner Henri Troyat en 1993 pour avoir contrefait deux historiens qui avaient signé une remarquable biographie de Juliette Drouet.

L’homme de robe revient enfin sur les lois Gayssot réprimant le négationnisme : « si je suis convaincu qu’il n’existe pas de vérités interdites, sauf en matière de vie privée et, tout fait exceptionnellement, de défense nationale, je ne crois pas pour autant qu’il y ait des vérités obligatoires ».


Et le ténor de conclure : « Dieudonné, dans ses spectacles, qualifie de « pornographie mémorielle » l’évocation de la destruction des Juifs d’Europe par les nazis et se fait acclamer en chantant « Shoahs-nanas ». Certes, il est condamné, ses spectacles sont parfois interdits, mais je voudrais tant que, avant tout, la République sache transformer ces applaudissements en huées ».


Autant de leçons de droit, de liberté et de raison qui méritent de se plonger dans l’ensemble de ce magnifique plaidoyer.