Immigration professionnelle : le point sur le titre de séjour « Passeport talent-salarié d'une entreprise innovante » (fr)

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Sabine Sultan Danino, Docteur en droit privé, avocat au barreau de Paris, Cabinet Danino
Mars 2021



La carte de séjour pluriannuelle « passeport talent » a été créée par la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France et modifié par la loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie, dite loi Collomb (Article L. 313-20 1° du CESEDA, R. 313-45 et s.)


L’objectif : simplifier l’installation des étrangers salariés ou non-salariés, talents internationaux, qui veulent contribuer à l’attractivité économique de la France. Elle constitue une adaptation française de la « Carte bleue européenne ». (Directive européenne 2009/50/CE du 25 mai 2009) et permet à un étranger de s’installer en France pour une durée déterminée et est caractérisée par une délivrance rapide et facilitée.


Ce titre offre des opportunités d’ouverture aux talents internationaux qui n’ont plus besoin d’attaches familiales ou d’autorisation de travail vise par la Direccte pour séjourner sur le territoire ; En outre, les membres de la famille du titulaire de ce titre de séjour pourront bénéficier d’une carte de séjour spécifique d’une durée égale à celle de leur conjoint (ou parents) avec un droit au travail.


Cette démarche s’inscrit dans une volonté dite « d’immigration choisie » telle qu’existant en Amérique du Nord notamment.


Ainsi, un étranger souhaitant travailler en France plus de 3 mois, pourra bénéficier d'une carte de séjour pluriannuelle passeport talent s’il est « hautement qualifié », s’il travaille dans une entreprise innovante, souhaite créer une entreprise ou investir en France, ou s’il est artiste ou même sportif de haut niveau.


En application des diverses conventions bilatérales qui lient la France, certains étrangers seront exclus du passeport talent. C’est le cas des algériens qui ne peuvent pas en bénéficier.

Par contre les autres pays (Maroc, Tunisie, Sénégal etc) peuvent bénéficier des dispositions de l’article L313-20 du CESEDA.


Parmi les dix possibles types de passeports talent, un titre de séjour dit aussi “passeport talentsalarié d’une entreprise innovante” pourra être délivré à des salariés d’une entreprise ayant le statut de “jeune entreprise innovante“.


Pour être éligible, le salarié d’une Jeune Entreprise Innovante (JEI) doit justifier :


• D’une rémunération brute annuelle au moins égale à 2 fois le montant du SMIC annuel brut, soit 37 309,92 € au 1er janvier 2021 ;


• D’un contrat de travail à durée indéterminée ou à durée déterminée d’au moins 3 mois ave un employeur établi en France ;


• De sa participation au projet de recherche et de développement de l’entreprise ;


• Du statut de jeune entreprise innovante (JEI) de leur employeur .


La réelle question qui va se poser est la qualification juridique d’une entreprise innovante.


Un décret du 20 mars 2020 modifiant les critères permettant de qualifier une entreprise innovante au sens de l’article L. 313-20, 1°, du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.


Il est donc prévu que ce titre peut être délivré aux étrangers recrutés par :


  • Des entreprises visées à l’article 44 sexies-0 A du code général des impôts au statut de jeune

entreprise innovante (JEI)


Ou encore, depuis le 1er mars 2019


  • Des entreprises innovantes reconnues « par un organisme public suivant des critères définis par décret et dont la liste est publiée par le gouvernement » (En application de loi du 10 septembre

2018 (art. 40 ; CESEDA, art. L. 313-20, 1°, mod.)


Etant précisé que, dans un cas comme dans l’autre, le ressortissant étranger doit être recruté « pour exercer des fonctions en lien avec le projet de recherche et de développement de cette entreprise ».


Des entreprises visées à l’article 44 sexies-0 A du code général des impôts au statut de jeune entreprise innovante (JEI)

Tout d’abord l’entreprise doit avoir été créée avant le 31 décembre 2019 dernier délai pour bénéficier de ce statut de Jeune Entreprise Innovante (JEI).


Selon l’article 44 sexies-0 A du Code Général des Impôts (CGI) : « Une entreprise est qualifiée de Jeune Entreprise Innovante réalisant des projets de recherche et de développement lorsque, à la clôture de l’exercice, elle remplit simultanément » les 5 conditions (donc cumulatives) suivantes.


1- Être une PME


C’est à dire une entreprise de moins de 250 personnes, et qui a soit réalisé un chiffre d’affaires inférieur à 50 millions d’euros au cours de l’exercice, soit un total du bilan inférieur à 43 millions d’euros


2- Avoir été créé il y a moins de 8 ans


Une entreprise est éligible au statut de Jeune Entreprise Innovante (JEI) jusqu’au terme de la 7ème année qui suit celle de sa création. Article 44 sexies-0 A : « 2° elle est créée depuis moins de huit ans. »


3- Avoir un volume minimal de dépenses de recherche ou faire participer des étudiants ou jeunes diplômés à hauteur minimum de 10% des parts de l’entreprise


L’entreprise doit avoir réalisé, à la clôture de chaque exercice, des dépenses de recherche représentant au moins 15% des charges fiscalement déductibles au titre de ce même exercice.


Elle peut également remplir cette condition si elle est dirigée ou détenue par des étudiants ou des jeunes diplômés. Le seuil minimum de 10% de prise de participation est alors exigé


4- Être indépendante


L’indépendance de l’entreprise implique que son capital doit être détenu à 50% au minimum par des personnes physiques et ce pendant toute la durée de l’exercice au titre duquel l’entreprise décide d’opter pour ce statut (Article 44 sexies-0 A 4ème Code Général des Impôts).


5- Être réellement nouvelle


L’entreprise ne doit pas avoir été créée dans le cadre d’une ancienne activité telle que concentration, restructuration, extension ou reprise d’une telle activité.


Afin de justifier du statut de jeune entreprise innovante (JEI) au sens fiscal, les entreprises peuvent effectuer une demande de bénéfice du statut à la direction des finances publiques sous forme d’un rescrit prouvant qu’elles remplissent les conditions légales pour bénéficier du statut, avant l’embauche d’un salarié de nationalité étrangère.


La demande doit être adressée par voie postale à la Direction départementale ou régionale des Finances publiques (ou à la Direction des grandes entreprises) dont dépend l’entreprise.


L’administration fiscale dispose alors d’un délai de 3 mois pour prendre position sous la forme d’un rescrit. Son silence vaut acceptation et reconnaissance du statut de JEI.

Des entreprises innovantes reconnues par un organisme public suivant des critères définis par décret et dont la liste est publiée par le gouvernement » (depuis le 1er mars 2019 et en application de loi du 10 septembre 2018 (art. 40 ; CESEDA, art. L. 313-20, 1°, mod.)

Le décret d’application n° 2019-152 du 28 février 2019 de la loi de 2018 avait précisé, au nouvel article D. 313-45-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, les critères permettant de qualifier une entreprise innovante au sens du 1° de l’article L. 313-20 du code précité.


Ce décret avait fixé trois critères alternatifs :


  1. L’entreprise est ou a été bénéficiaire au cours des cinq dernières années d’un soutien public à l’innovation figurant sur une liste fixée par arrêté du ministre chargé de l’économie ;
  2. Le capital de l’entreprise est pour partie détenu par une personne morale ou un fonds d’investissement alternatif ayant pour objet principal de financer ou d’investir dans des entreprises innovantes et dont les titres ne sont pas cotés. La liste de ces personnes morales et fonds d’investissement est fixée par arrêté du ministre chargé de l’économie ;
  3. L’entreprise est ou a été accompagnée au cours des cinq dernières années par une structure d’accompagnement dédiée aux entreprises innovantes.


Un décret du 20 mars 2020, d’application immédiate, simplifie et élargit le deuxième critère visé à l’article D. 313-45-1, procédant ainsi à la réécriture du 2° de cet article.


Il supprime la fixation par arrêté de la liste des structures d’investissement. Il élargit le champ des financements pris en compte en y incluant les fonds étrangers, en remplaçant les notions de personne morale ou fonds d’investissement par celle d’entité d’investissement et en supprimant le critère relatif aux titres non cotés.

Ce critère est désormais défini comme suit : « Le capital de l’entreprise est ou a été au cours des cinq dernières années en totalité ou pour partie détenu par une entité d’investissement ayant pour objet principal de financer ou d’investir dans des entreprises innovantes ».


Une Procédure souple


➢ Si le demandeur habite à l’étranger, il doit déposer son dossier auprès du Consulat de France de son pays de résidence afin d’obtenir un visa long séjour. La carte de séjour passeport talent lui sera remise une fois arrivé en France ;


➢ Si le demandeur est déjà en France, le dépôt de la demande doit se faire auprès de la préfecture ou de la sous-préfecture de son domicile, dans un délai de 2 mois avant l’échéance de sa carte de séjour.


Etant précisée que la procédure a encore été simplifiée par une information du ministre de l’intérieur en date du 17 décembre 2019.


Déjà, dès la circulaire du 2 novembre 2016 il était clairement affirmé que ce nouveau titre visait à faciliter l’accès au séjour des étrangers « dont l’expérience et la qualification doivent être reconnues ».


En février 2019, une première information, publiée par le ministre de l’intérieur à destination des préfets, prévoyait que tout demandeur d’un tel titre se verrait systématiquement délivrer une autorisation provisoire de séjour (APS) d’une durée de validité de six mois, en plus du traditionnel récépissé. Cette APS permet aux demandeurs d’effectuer des déplacements à l’internationale durant l’instruction de leur demande.


Par cette mesure, les demandeurs de « passeport-talents » étaient déjà largement privilégiés par rapports aux autres étrangers en quête d’un droit au séjour sur le sol français.


C’est par une nouvelle information publiée le 17 décembre 2019, que le ministre de l’intérieur présente aux préfets des directives claires en matière d’examen des demandes de tels titres, en vue de rendre la procédure encore plus simple et plus rapide (Information, 17 déc. 2019, NOR : INTV1936324J).


Ce texte a été rendu nécessaire par l’entrée en vigueur, le 1er mars 2019, de la loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie.


Par cette nouvelle information, le ministre préconise un accès facilité aux préfectures pour les demandeurs de titres « passeport talent » ainsi qu’une instruction accélérée de la demande, en vue d’améliorer encore davantage l’accueil des salariés qualifiés. De telle sorte que, l’accès aux guichets de la préfecture devra se faire dans un délai maximal de deux semaines.


Cette information s’inscrit dans la lignée d’une décision récente du Tribunal Administratif de Cergy Pontoise qui a procédé à l’annulation du refus du préfet de délivrer la carte pluriannuelle passeport-talent à un demandeur qui en remplissait pourtant les conditions (TA, Cergy Pontoise, 22 janv. 2019, n° 1808224).


De plus, les préfectures ne pourront pas imposer une prise de rendez-vous sur internet, mais devront proposer aux demandeurs de ces titres des alternatives beaucoup plus rapides et accessibles immédiatement.


Les préfets sont donc prévenus, dès lors que le demandeur du titre passeport-talent remplit les conditions posées par l’article L.313-20 du CESEDA, la délivrance du titre se fera quasi automatiquement et dans des délais rapides.


C’est le salarié étranger qui sollicitera l’obtention du passeport talent entreprise. Concrètement, il devra se rendre au consulat ou à la préfecture pour déposer le dossier. Par la suite, la DIRECCTE pourra également demander à l’entreprise des pièces complémentaires et prévues par les textes en vigueur.


Pour que le titre de séjour soit délivré, il faudra nécessaire que cette dernière vise favorablement le contrat de travail du salarié étranger.


Ce contrat doit être visé avant que l’étranger ne commence à exercer son métier pour l’entreprise. S’il commence avant, cela créé un risque majeur de voir la procédure échouer pour non-respect de la législation du travail et de la protection sociale (alinéa 4° de l’article R5221-20 du Code du travail) (sauf s’il agit dans le cadre d’un changement de statut).


Un titre valable en principe, pour une durée en principe de 4 ans


Cette carte de séjour, qui est d’une durée de 4 ans en principe, est délivrée dès la première admission sur le territoire français mais peut également être délivrée à des étrangers déjà présents sur le territoire national. Pour les salariés, la durée du titre de séjour correspond à celle du contrat de travail qui en justifie la délivrance ou de la mission du demandeur.


Si le séjour envisagé est inférieur à 1 an, la demande d’une carte de séjour n’est pas forcément nécessaire. Elle peut être remplacée par un visa de long séjour valant titre de séjour (VLS-TS), avec une mention « passeport talent ».


Mais que se passe-t-il alors en cas de changement d’emploi ou de licenciement ?


Malheureusement, force est de constater que les pratiques des Préfectures ne sont pas harmonisées.


Toutefois, a priori, lorsque le changement d’employeur intervient soit au cours de la première année, soit au cours de la deuxième année de validité du titre de séjour, l’article L.313-10 du CESEDA prévoit qu’en cas de perte involontaire d’emploi (licenciement ou rupture conventionnelle), le salarié étranger pourra obtenir le renouvellement de son titre de séjour « salarié » afin de bénéficier des droits à l'allocation chômage acquis.

Ces principes sont aussi applicables aux titulaires d’un « passeport talent ».


Mais, qu’en est-il en cas de changement d’employeur lié à une démission par exemple ?


Les pratiques des Préfectures restent non harmonisées sur ce sujet et certaines préfectures considèrent que tout changement d’employeur est impossible en dehors des cas de perte involontaire d’emploi (licenciement ou rupture conventionnelle).


Cependant, aucune disposition applicable n’interdit le dépôt d’une nouvelle demande complète d’autorisation de travail.