Impact du Brexit sur la compliance (eu)

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.
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cabinet Bruzzo Dubucq
Avril 2019




Qu'est-ce la compliance ?

La Compliance se définit comme « l’ensemble des processus qui permettent d’assurer le respect des normes applicables à l’entreprise par l’ensemble de ses salariés et dirigeants, mais aussi des valeurs et d’un esprit éthique insufflé par les dirigeants ».


La compliance est un mouvement de fond qui contraint la gouvernance des groupes de société.


Elle trouve son origine aux États-Unis avec le Foreign Corrupt Practices Acte [1] qui incrimine la corruption de fonctionnaires ou d’agents publics à l’étranger.


Aujourd’hui elle s’est imposée comme une exigence générale dont le domaine dépasse largement la seule lutte contre la corruption.


Citons par exemple la sécurité des produits, la fraude, les conflits d’intérêt, le droit de la concurrence, les délits d’initiés, le respect de l’environnement, etc...


Le 23 juin 2016, par référendum, le Royaume-Uni a décidé de quitter l’Union Européenne.


Cette décision a déjà un impact significatif sur les marchés financiers et crée une période d’incertitude significative jusqu’à ce que les conditions finales de sortie aient été convenues.


Concernant la compliance, même en l’absence de deal, comme le soulignait la Financial Conduct Authority [2]du Royaume-Uni, beaucoup de règles britanniques dérivent du droit européen, de sorte que celui-ci restera majoritairement applicable dans certains domaines.


Toutefois, il nous faudra attendre la fin des négociations pour connaître les conséquences précises pour la communauté de la Compliance à moyen terme, notamment concernant un accord permettant au Royaume-Uni de conserver une partie de son accès au marché commun en Europe.


Selon les domaines juridiques spécifiques, l’impact pourrait varier considérablement.


Les domaines juridiques impactés

Tout d’abord, en ce qui concerne la lutte contre la corruption, la législation et les poursuites connexes trouvent leur origine en dehors de l’UE (par exemple la loi américaine ou d’autres règles de l’OCDE).


Le retrait du Royaume-Uni ne modifiera alors ni les lois applicables ni les autorités de poursuite.


En outre, le partage d'informations entre pays ne devrait pas être affecté, car celui-ci est globalement présent dans le monde depuis de nombreuses années et n'est pas lié à l'adhésion à l'UE.


En revanche, le Royaume-Uni ne faisant plus partie du système européen de mandat d'arrêt, le Brexit pourrait avoir une incidence sur la capacité des Etats européens à sanctionner des personnes qui se réfugieraient au Royaume-Uni pour échapper aux poursuites.


Le Droit de la Concurrence

Le Droit de la Concurrence est un domaine dans lequel nous pourrions assister à de nombreux changements : tant dans la procédure que dans les autorités de poursuite.


En effet depuis de nombreuses années, la Commission européenne est à l’origine des poursuite et amendes sanctionnant les comportements anti-concurrentiels et les ententes en Europe.


Les entreprises opérant au Royaume-Uni ne seront plus soumises au même niveau de contrôle de la part de la Commission, bien que cela puisse faire l’objet de négociation.


L’évaluation des monopoles et aides d'Etat

Un domaine susceptible de changer sur ce sujet est celui de l’évaluation des monopoles, il y aura en effet deux marchés distincts et un produit pourrait être en situation de monopole au Royaume-Uni alors qu’il ne l’était pas dans l’ensemble de l’UE.


De plus les interdictions concernant les aides d’Etat en faveur de sociétés privées ne s’appliqueront, en l’absence de deal, plus au Royaume-Uni.


Cela permettra au gouvernement de soutenir librement des projets, sans s’inquiéter d’un contrôle de la Cour de Justice de l’Union Européenne.


Le blanchiment de capitaux

Dans le domaine de la lutte contre le blanchiment de capitaux, la 4ème directive de l’UE sur ce sujet a été appliqué par le Royaume-Uni depuis mi-2017.


Ainsi, en raison de la nécessité d’approches communes des banques en matière de lutte contre le blanchiment d’argent, il est probable que la future législation du Royaume-Uni reflète de près la directive de l’UE.


Sur ce point, le Royaume-Uni a déjà introduit dans sa législation, en mai 2018, qui entre en vigueur cette année et dont l’approche diffère de la législation européenne actuelle, notamment sur le plan des sanctions.


« Product-Compliance »

En matière de « product-compliance », dans l’éventualité d’un « no-deal » Brexit, les entreprises britanniques pourront produire des biens non-harmonisés selon les règles européennes, mais en pratique il est probable que beaucoup d’entreprises internationales continuent de s’y conformer puisque ces produits devront être conformes à la législation européenne pour pénétrer le territoire européen.


Si la réglementation britannique évolue en matière de conformité des produits, les entreprises qui souhaitent exporter leurs produits seront donc probablement amenées à devoir respecter à la fois la législation britannique et, lorsqu’elle est plus stricte, la législation européenne.


Inversement, les exportateurs européens souhaitant vendre leurs produits au Royaume-Uni devront, en plus des normes européennes, s’assurer que leurs biens sont conformes à la réglementation britannique qui, dans certains domaines, pourrait devenir plus stricte que le droit européen.


Confidentialité des données

Un domaine d’incertitude importante est celui de la confidentialité des données.


Le RGPD [3] (Règlement Général de Protection des Données) est entré en vigueur en mai 2018.


Ce règlement ne s’appliquera plus au Royaume Uni.


Pourtant en raison de la portée extraterritoriale de ce règlement, des dispositions devraient continuer à s’appliquer aux entreprises britanniques offrant des biens et services aux citoyens de l’UE.


Les impacts sur la protection des données peuvent nécessiter des modifications des règles d’accès aux données et des contrôles pour les ressources basées au Royaume-Uni.


Les règles d’équivalence en matière de protection des données pour les pays non-membres de l’UE devront être révisées étant donné que les règles spécifiques à l’UE ne seront plus applicables.


Ces considérations montrent que la liste des domaines qui vont devoir être maîtrisés par les équipes de compliance des entreprises britanniques et internationales est très longue, la mise en conformité de ces entreprises exerçant ou traitant avec le Royaume-Uni engendrant donc de lourds investissements en temps, en personnel juridique et en argent.


Dans un contexte ou la mobilité des professionnels du droit et de la compliance risque d’être rendue plus difficile en raison des réductions des libertés de circulation entre l’Union Européenne et le Royaume-Uni, les compliance officers expérimentés acceptant de venir travailler dans ces entreprises risquent de devenir de véritables perles rares pour celles-ci.


Dans l’ensemble, le vote en faveur de la sortie de l’UE entrainera un certain nombre d’années d’incertitude, car il faudra concilier des obligations contradictoires.