L'apologie du terrorisme sur les réseaux sociaux conduit au tribunal: le point sur le délit de l'article 421-2-5 du code pénal (fr)

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 Auteur: Cabinet de Me Thierry Vallat, Avocat au Barreau de Paris [1]

Date : le 3 Novembre 2020


Une étudiante en biologie de 19 ans, qui avait écrit sur son compte Facebook que Samuel Paty « méritait » de mourir, a été condamnée, le 23 octobre 2020 par le tribunal correctionnel de Besançon à quatre mois de prison avec sursis pour « apologie du terrorisme ».

Commentant un article de L’Est républicain qui annonçait un rassemblement en mémoire de l’enseignant, publié sur la page Facebook du quotidien régional, l’étudiante avait écrit : « Il mérite pas d’être décapité, mais de mourir, oui. » Ce commentaire a été signalé par un internaute sur la plate-forme Pharos de signalement des contenus illicites en ligne et a conduit à son interpellation à l’université de Besançon et à son placement en garde à vue (https://www.msn.com/fr-fr/actualite/france/samuel-paty-m%C3%A9ritait-de-mourir-quatre-mois-de-prison-avec-sursis-pour-une-%C3%A9tudiante/ar-BB1akRKy?ocid=msedgntp)

La jeune femme qui était jugée en comparution immédiate, devra également effectuer un stage de citoyenneté dans les six mois à venir.

Plus lourdement condamné encore pour apologie du terrorisme, un toulousain de 20 ans a été condamné à douze mois de prison, dont deux ferme, également hier vendredi 23 octobre 2020 par le tribunal correctionnel de Toulouse. Selon La Dépêche du Midi, il avait créé un faux profil de musulman radical peu après l'attentat de Conflans-Ste-Honorine du 16 octobre. Il avait ensuite partagé le tweet de l’assassin de Samuel Paty, avec la tête décapitée de l’enseignant, accompagné du texte suivant : « Prof décapité : les gwers [terme péjoratif pour désigner un Européen blanc], c’est quoi ça ».

Ce délit d’apologie d’actes de terrorisme, prévu et réprimé par l’article susvisé, consiste donc dans le fait d’inciter publiquement à porter sur ces infractions ou leurs auteurs un jugement favorable.

L'article 421-2-5 dispose que:

"Le fait de provoquer directement à des actes de terrorisme ou de faire publiquement l'apologie de ces actes est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 € d'amende.

Les peines sont portées à sept ans d'emprisonnement et à 100 000 € d'amende lorsque les faits ont été commis en utilisant un service de communication au public en ligne.

Lorsque les faits sont commis par la voie de la presse écrite ou audiovisuelle ou de la communication au public en ligne, les dispositions particulières des lois qui régissent ces matières sont applicables en ce qui concerne la détermination des personnes responsables"

Par un arrêt n°928 du 04 juin 2019 (n°18-85.042), la Cour de cassation a précisé la caractérisation du délit d'apologie du terrorisme prévu par l’Article 421-2-5 du code pénal.

Dans cette affaire, un homme était poursuivi devant le tribunal correctionnel pour avoir tenu, au sein du centre hospitalier où son père était accueilli et est décédé, à l’adresse du personnel soignant et en présence du public, du 5 au 8 février 2017, les propos suivants : "Je crois que vous n’avez pas compris, je travaille pour Daesh moi", "je repars en Syrie, je fais partie de Daesh si vous n’avez pas compris", "je vais reprendre du service et reprendre contact avec Daesh", et pour avoir ajouté qu’il reviendrait avec une ceinture d’explosifs ;

Les juges du premier degré, après avoir jugé qu’il n’était pas établi qu’il avait tenu les propos poursuivis du 5 au 7 février, l’ont déclaré coupable pour les faits du 8 février 2017. Le prévenu et le ministère public ont relevé appel de cette décision ;

La Cour d'appel d'Aix-en-Provence déclare le prévenu coupable de l’intégralité des faits, après avoir rappelé son comportement, qui contestait de façon agressive les conditions dans lesquelles son père était soigné au sein de l’établissement hospitalier, énonce notamment que le fait de menacer de venir avec une ceinture d’explosifs, d’affirmer et de réaffirmer son appartenance au groupe terroriste Daesh, en mettant en avant l’importance et la puissance de cette organisation terroriste, en brandissant son nom comme une glorification et une justification à un passage à l’acte violent plusieurs fois envisagé, caractérise le délit d’apologie d’actes de terrorisme ;

Mais pour la Cour de cassation, en statuant ainsi, alors qu’il résulte que les propos, par lesquels le prévenu se prévalait de son appartenance personnelle à une organisation terroriste, responsable de plusieurs attentats commis dans une période récente sur le sol français, pour intimider et menacer ses interlocuteurs, ne pouvaient, compte tenu des circonstances dans lesquelles ils avaient été tenus, que susciter en eux des sentiments de crainte et de rejet, exclusifs de tout regard favorable sur ladite organisation, la cour d’appel a méconnu le sens et la portée du texte susvisé et du principe ci-dessus rappelé.

Et qu'en est-il du recel d'apologie du terrorisme ?

Le Conseil constitutionnel avait été saisi le 25 mars 2020 par la Cour de cassation (chambre criminelle) d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit « des dispositions combinées » de l'article 321-1 du code pénal et de l'article 421-2-5 du même code.

Par arrêt du 7 janvier 2020 (chambre criminelle, n° 19-80.136) et par l'arrêt de renvoi, la Cour de cassation avait en effet jugé qu'entre dans les prévisions des articles 321-1 et 421-2-5 du code pénal le fait de détenir, en toute connaissance de cause, des fichiers ou des documents caractérisant l'apologie d'actes de terrorisme, lorsque cette détention s'accompagne d'une adhésion à l'idéologie exprimée dans ces fichiers ou documents. Elle a ainsi reconnu l'existence d'un délit de recel d'apologie d'actes de terrorisme.

Dans sa décision n°2020-845 du 19 juin 2020, le Conseil constitutionnel a considéré, d'une part, que, si l'apologie publique d'actes de terrorisme favorise la large diffusion d'idées et de propos dangereux, la détention des fichiers ou documents apologétiques n'y participe qu'à la condition de donner lieu ensuite à une nouvelle diffusion publique. D'autre part, l'incrimination de recel d'apologie d'actes de terrorisme n'exige pas que l'auteur du recel ait la volonté de commettre des actes terroristes ou d'en faire l'apologie. Si, conformément à l'interprétation qu'en a retenue la Cour de cassation, la poursuite de cette infraction suppose d'établir l'adhésion du receleur à l'idéologie exprimée dans les fichiers ou documents apologétiques, ni cette adhésion ni la détention matérielle desdits fichiers ou documents ne sont susceptibles d'établir, à elles seules, l'existence d'une volonté de commettre des actes terroristes ou d'en faire l'apologie.

Le Conseil constitutionnel en a donc déduit que le délit de recel d'apologie d'actes de terrorisme réprime d'une peine qui peut s'élever, selon les cas, à cinq, sept ou dix ans d'emprisonnement le seul fait de détenir des fichiers ou des documents faisant l'apologie d'actes de terrorisme sans que soit retenue l'intention terroriste ou apologétique du receleur comme élément constitutif de l'infraction.

Le Conseil constitutionnel conclut que le délit de recel d'apologie d'actes de terrorisme porte à la liberté d'expression et de communication une atteinte qui n'est pas nécessaire, adaptée et proportionnée. Il formule par conséquent une réserve d'interprétation prohibant que les dispositions dont il a été saisi puissent être interprétées comme susceptibles de réprimer un tel délit.

Avant de réagir à chaud sur les réseaux sociaux que ce soit sous pseudonyme ou votre véritable identité, pour commenter une actualité ou relayer des contenus haineux, ou pouvant être considérés comme faisant l'apologie du terrorisme, réfléchissez à deux fois et rappelez-vous que ce type de messages peut vous conduire au tribunal,


Retrouvez l'arrêt de la chambre criminelle du 4 juin 2019 https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/chambre_criminelle_578/928_04_42649.html

et la décision du Conseil constitutionnel du 19 juin 2020 https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2020/2020845QPC.htm