L’égalité en droit social : où en est-on ? (fr)

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Auteur : Virginie Morgand, Juriste
Juillet 2017



« Je pense que le mouvement social qui rapproche du même niveau le fils et le père, le serviteur et le maître et, en général, l’inférieur et le supérieur, élève la femme et doit de plus en plus en faire l’égale de l’homme. », Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, Livre II, 3° partie, Chap. IX.


L’égalité, dans la devise française « liberté, égalité, fraternité », est un principe constitutionnel inscrit dans le bloc de constitutionnalité à l’article 1er du Préambule de la Constitution de 1958, ainsi que dans le Préambule de 1946.


Outre la protection sur le plan interne, le principe d’égalité est protégé au niveau international par la Déclaration universelle des droits de l’homme et les Pactes internationaux des Nations unies du 16 décembre 1966, mais également au niveau européen par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. ​

Ce principe est sans cesse affirmé et réaffirmé dans les débats parlementaires, en politique, en pensant à l’égalité salariale, entre les hommes et les femmes, mais que revêt-il exactement ? L’égalité est-elle réelle ? Retour sur la notion d’égalité en droit social.


L’égalité en droit social s’apprécie tant en droit du travail qu’en droit de la protection sociale.


L’égalité en droit du travail

Une évolution jurisprudentielle

Avec la règle « à travail égal, salaire égal », la jurisprudence a posé un principe général d’égalité de traitement avec le célèbre arrêt Ponsolle [Cass. soc., 29 oct. 1996, n° 92-43680]. ​

La jurisprudence a clairement évolué avec la Cour de cassation qui affirme désormais que les différences de traitement entre catégories professionnelles issues d’un accord ou d’une convention collective sont présumées justifiées [Cass. soc. 27 janv. 2015, n°13-22179]. ​

Par un arrêt de principe le 8 juin 2016, la chambre sociale de la Cour de cassation vient étendre cette jurisprudence aux salariés relevant d’une même catégorie professionnelle dans les termes suivants [Cass. soc. 8 juin 2016, n°15-11324 ; n°15-11478 à 15-12021 ; n°15-11478 à 15-12021] :

« les différences de traitement entre catégories professionnelles ou entre des salariés exerçant, au sein d’une même catégorie professionnelle, des fonctions distinctes, opérées par voie de convention ou d’accord collectifs, négociés et signés par les organisations syndicales représentatives, investies de la défense des droits et intérêts des salariés et à l’habilitation desquelles ces derniers participent directement par leur vote, sont présumées justifiées de sorte qu’il appartient à celui qui les conteste de démontrer qu’elles sont étrangères à toute considération de nature professionnelle. »

Les partenaires sociaux seraient donc libres de négocier des avantages à certains salariés à dans les accords collectifs ? ​

De même, par arrêt en date du 14 septembre 2016, la Haute juridiction a admis que la justification par la disparité du coût de la vie entre des salariés d’un établissement situé en Ile-de-France et ceux d’un établissement de Douai est une justification objective et pertinente de la différence de rémunération opérée par l’employeur [Cass. soc. 14 sept. 2016, n°15-11386]. ​

En outre, le 3 novembre 2016, la Cour de cassation vient à nouveau privilégier la source négociée que représente l’accord collectif dans le cadre de la différence de traitement. En effet, « les différences de traitement entre des salariés appartenant à la même entreprise mais à des établissements distincts, opérées par voie d’accords d’établissement négociés et signés par les organisations syndicales représentatives au sein de ces établissements, investies de la défense des droits et intérêts des salariés de l’établissement et à l’habilitation desquelles ces derniers participent directement par leur vote, sont présumées justifiées de sorte qu’il appartient à celui qui les conteste de démontrer qu’elles sont étrangères à toute considération de nature professionnelle ». [Cass. soc. 3 nov. 2016, n°15-18844]


Enfin, les magistrats de la Haute Juridiction judiciaire se sont prononcés sur le principe d’égalité à l’égard des avantages octroyés lors de deux plans de sauvegarde de l’emploi successifs. En effet, la chambre sociale censure les juges du fond qui ont effectué une fausse application du principe de l’égalité de traitement aux motifs suivants :

« alors qu’il résultait de ses constatations que deux procédures de licenciement économique collectif avaient été successivement engagées dans l’entreprise accompagnées de plans de sauvegarde de l’emploi distincts, en sorte que le salarié licencié dans le cadre de la première procédure n’était pas dans une situation identique à celle des salariés licenciés dans le cadre de la seconde procédure au cours de laquelle avait été élaboré, après information et consultation des institutions représentatives du personnel, le plan prévoyant les avantages revendiqués, la cour d’appel a violé par fausse application le principe susvisé. »


En conséquence, dans le cadre de deux procédures de licenciement pour motif économique collectif successives et distinctes, des salariés licenciés dans le cadre d’un premier plan de sauvegarde de l’emploi ne peuvent tirer profit du principe de l’égalité de traitement pour revendiquer le bénéfice d’avantages plus favorables dans un second plan de sauvegarde de l’emploi ultérieur.

Une telle solution est cohérente car, d’une procédure de licenciement pour motif économique à une autre, les salariés licenciés ne sont pas placés dans une situation identique leur permettant de demander l’octroi d’avantages issus d’un plan de sauvegarde de l’emploi relatif à une procédure qui ne les a pas concernés. En effet, les deux plans de sauvegarde de l’emploi successifs, établis par l’employeur, ont été effectués en fonction des besoins des salariés concernés par les procédures, mais également les moyens de l’entreprise au moment de leur élaboration avec une consultation des instances représentatives du personnel.


Dès lors, pour autant peut-on dire que le principe d’égalité de traitement en droit du travail perd de sa valeur ? Non, il s’agit d’une évolution jurisprudentielle.


Une notion pour lutter contre les discriminations

La notion d’égalité appelle également à lutter contre les discriminations prévues la loi n°2008-496 du 27 mai 2008, modifié par la récente loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016 relative à la modernisation de la justice de la justice du XXIe siècle concernant l’action de groupe en matière de discrimination dans les relations relevant du Code du travail. ​ Les mesures pour prévenir les discriminations sont renforcées, notamment par la loi n°2016-832 du 24 juin 2016 visant à lutter contre la discrimination à raison de la précarité sociale est venue instaurer un nouveau motif prohibé de discrimination fondée sur la particulière vulnérabilité d’une personne résultant de sa situation économique​ à l’article L. 1132-1 du Code du travail. ​ En matière religieuse, le principe d’égalité appelle la laïcité qui implique la neutralité de l’État, les services publics et des collectivités territoriales. ​ Cependant, depuis la loi du 8 août 2016, dite loi Travail, l’employeur a la possibilité d’insérer dans le règlement intérieur un principe de neutralité, notamment religieuse, prévu à l’article L. 1321-2-1 du Code du travail : « Le règlement intérieur peut contenir des dispositions inscrivant le principe de neutralité et restreignant la manifestation des convictions des salariés si ces restrictions sont justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché. » ​ Puis, la Cour de Justice de l’Union européenne, par deux arrêts en date du 14 mars 2017, a reconnu aux entreprises le droit d’interdire le port du voile sur le lieu de travail lorsque cette mesure se révèle nécessaire et proportionnée au but recherché.


Donc, les entreprises privées ont le droit, sous conditions, d’interdire le port du voile à leurs salariées. Cette jurisprudence offre donc une possibilité aux entreprises d’opposer à leurs salariés un principe de neutralité religieuse en inscrivant dans le règlement intérieur ce principe, sous réserve que la limite ne soit pas discriminatoire en restant nécessaire et proportionnée au but recherché.


L’égalité en droit de la protection sociale

L’égalité devant la santé est-elle réelle ? ​

La protection de la santé dépend du niveau de revenu de chacun pour consulter. Les individus ne sont pas égaux devant la santé. ​

En matière de protection sociale complémentaire santé, beaucoup d’individus ne pouvaient bénéficier d’une mutuelle couvrant les frais de santé non pris en charge par les régimes de base. Ainsi, afin de pallier cette inégalité, la loi n°2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi, transposition de l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013, est intervenue pour généraliser la complémentaire santé à tous les salariés. Dès lors, depuis le 1er janvier 2016, toutes les entreprises (de la plus petite à la plus grande) doivent proposer une complémentaire santé à leurs salariés. ​

Néanmoins, il n’existe pas de principe général d’égalité en matière de protection sociale complémentaire comme en droit du travail. Ainsi, par arrêt en date du 11 janvier 2012, la Haute juridiction a rejeté le pourvoi d’un salarié qui se plaignait d’une différence de traitement résultant des modalités de gestion des régimes de retraite complémentaire. Elle a retenu que cette différence de traitement ne résultait pas d’un manquement de l’employeur au principe de l’égalité de traitement mais « trouvait sa cause dans la diversité et l’autonomie des régimes de retraite complémentaire relevant d’organismes distincts et l’évolution de la norme juridique applicable » [Cass. soc., 11 janvier 2012, n° 10-15806].


Une inégalité est également existante en matière de prestations sociales avec les allocations familiales, qui sont versées en fonction du nombre d’enfants et non, de la situation financière. Or, par principe, seuls les plus aisés ont le plus d’enfants car ils ont les moyens financiers de les élever.