L’ouverture d'une faculté dans le règlement du droit de suite (fr)

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.
 France >  Droit privé >  Propriété intellectuelle  >  Droit d'auteur


Fr flag.png


Béatrice Cohen, avocat au barreau de Paris
Mars 2019





Le droit de suite, bientôt centenaire, voit pour la première fois s’ouvrir la possibilité d’un aménagement conventionnel de la charge de son paiement à la suite d’un arrêt rendu le 9 novembre 2018 par l’assemblée plénière de la Cour de cassation.


La procédure qui a opposé le Syndicat national des antiquaires, le Comité professionnel des galeries d’art et Christie’s France et qui portait sur la validité d’une clause insérée dans les conditions générales de la vente Yves Saint-LaurentPierre Bergé et relative à la charge du paiement de ce droit de suite, aura duré près de dix ans. La Cour de cassation vient de trancher.


Il est désormais possible d’aménager conventionnellement les conditions générales de vente et de mettre à la charge de l’acquéreur le paiement du droit de suite.


Cette faculté offerte dans le règlement du droit de suite vient bouleverser la répartition des frais lors de l’achat d’une œuvre d’art auprès d’un professionnel alors que jusqu’alors, ainsi que le prévoyait l’article L.122-8 du code de la propriété intellectuelle en son alinéa 3, ce paiement revenait aux vendeurs.


Les sommes en jeu en ce qui concerne les perceptions par l’ADAGP, l’un des deux organes agréés, représentaient 13.304.737 euros pour l’année 2017.


Ce montant pourrait bien demain être réglé par les acheteurs et non plus provenir des caisses des vendeurs ou intermédiaires professionnels.


Après un bref rappel du régime du droit de suite, il conviendra de s’intéresser à l’interprétation qui a été faite de la charge de son paiement et aux enjeux de cette possibilité nouvelle d’aménagement.


Le régime du droit de suite, en bref.

Règles relatives au droit de suite.

L’article L.122-8 du code de la propriété intellectuelle dispose en son alinéa 1 que « Les auteurs d’œuvres originales graphiques et plastiques ressortissants d’un État membre de la Communauté européenne ou d’un État partie à l’accord sur l’Espace économique européen bénéficient d’un droit de suite, qui est un droit inaliénable de participation au produit de toute vente d’une œuvre après la première cession opérée par l’auteur ou par ses ayants droit, lorsque intervient en tant que vendeur, acheteur ou intermédiaire un professionnel du marché de l’art.


Par dérogation, ce droit ne s’applique pas lorsque le vendeur a acquis l’œuvre directement de l’auteur moins de trois ans avant cette vente et que le prix de vente ne dépasse pas 10.000 euros ».


L’objet du droit de suite est de permettre à l’auteur d’une œuvre originale graphique ou plastique, depuis la loi du 20 mai 1920, d’être intéressé aux fruits de son œuvre, au succès futur de sa création.


L’artiste percevra donc un pourcentage du prix à chaque nouvelle vente de l’œuvre.


La loi poursuit un but social et humanitaire, dont l’essence était de compenser une inégalité découlant des caractéristiques de l’œuvre mais aussi de l’écoulement du temps puisque la cote d’un artiste augmente généralement avec le temps.


Le droit de suite porte sur des œuvres originales entendues comme étant, selon l’alinéa 2 de l’article précité, « les œuvres crées par l’artiste lui-même et les exemplaires exécutés en quantité limitée par l’artiste ou sous sa responsabilité ».


Sont donc exclus du champ d’application de ce droit les exemplaires de l’œuvre exécutés après la mort de l’auteur. L’œuvre doit en outre faire partie de la catégorie des œuvres graphiques et plastiques comprenant les tableaux, dessins, photos, sculptures, tapisserie, meuble, objet décoratif, ou une création plastique sur support audiovisuel ou numérique.


Les ventes concernées pour la perception de ce droit sont celles lors desquelles interviennent en tant que vendeur, acheteur ou intermédiaire, un professionnel du marché de l’art, i.e. ventes publiques ou ventes de gré à gré (à l’exception des ventes entre particuliers).


Dans une recherche d’harmonisation, l’Union européenne a adopté la directive 2001/84/CE du 27 septembre 2001 relative au droit de suite au profit de l’auteur d’une œuvre d’art originale.


Sa transposition en France a conduit à appliquer le droit de suite, jusqu’alors réservé aux salles des ventes, aux autres professionnels du marché de l’art, galeristes et antiquaires.


Les professionnels concernés sont donc les opérateurs de ventes volontaires, commissaires priseurs judiciaires, galeristes, antiquaires ou marchands en ligne…


Des conditions tiennent également aux bénéficiaires de ce droit de suite qui sont tout d’abord les auteurs d’œuvres originales, graphiques et plastiques ressortissants d’un État membre de la Communauté européenne ou d’un État partie à l’accord sur l’Espace économique européen.


A défaut, des exceptions sont prévues. En vertu du principe de réciprocité, l’auteur, citoyen d’un État dont la législation accorde le droit de suite aux ressortissants français, pourra également le percevoir en France.


De même, l’auteur qui a participé à la vie artistique française et qui a résidé pendant 5 ans en France pourra en bénéficier, conformément au principe d’assimilation et sur accord nécessaire du ministre en charge de la Culture.


L’article 14 ter de la Convention de Berne offre aux états unionistes la possibilité de prévoir cet intéressement futur pour l’auteur. Pourtant, son principe ne fait pas l’unanimité et d’importantes places du marché de l’art, telles que les États-Unis, le Japon et la Suisse, n’y ont pas recours.


Mise en œuvre du droit de suite.

Le droit de suite peut être perçu par l’auteur mais également par ses ayant causes, 70 ans après le décès de l’auteur.


Passé ce délai, l’œuvre tombe dans le domaine public.


Une particularité mérite d’être soulignée quant à l’appréciation des ayants causes.


Une décision du Conseil constitutionnel du 28 septembre 2012 a validé la discrimination législative voulant que le droit de suite ne puisse être légué.


Cependant la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine est revenu, dans l’article L 123-7 CPI, sur cette interdiction mais sous réserve du respect des droits des descendants et du conjoint survivant.


Cette précision enlève une partie de sa portée à cette nouvelle possibilité.


Le droit de suite représente un taux dégressif allant de 4% à 0,25% en fonction du prix d’adjudication (hors frais) ou du prix de cession de l’œuvre. Certaines limites l’encadrent.


Le droit de suite n’est pas perçu pour un prix de vente inférieur à 750 € et est plafonné à un montant maximal de 12 500 € par œuvre. Les sociétés de gestion collective, l’ADAGP et la société des auteurs des arts visuels et de l’image fixe, SAIF, sont chargées du contrôle et de la collecte de ce droit, au nom des auteurs.


Le droit de suite défini, l’enjeu reste de savoir qui doit s’en acquitter, qui doit supporter le coût du droit de suite.


C’est sur ce point qu’un long débat jurisprudentiel a eu lieu avant d’être tranché par l’assemblée plénière de la Cour de cassation.


L’aménagement contractuel de la charge du droit de suite.

Comme le précise l’article L. 122-8 du Code de la propriété intellectuelle en son alinéa 3, « le droit de suite est à la charge du vendeur. La responsabilité de son paiement incombe au professionnel intervenant dans la vente et, si la cession s’opère entre deux professionnels, au vendeur ».


S’agissant du responsable de son paiement, il s’agit soit de l’opérateur de ventes ou du commissaire priseur judiciaire lors de vente publique aux enchères, soit du vendeur ou de l’intermédiaire professionnel lors des ventes de gré à gré.


La question s’est posée de savoir si le droit de suite pouvait être mis contractuellement à la charge de l’acheteur.


La maison de vente aux enchères Christie’s a voulu s’affranchir de ce principe en prévoyant dans ses conditions générales de vente que le montant du droit de suite serait supporté par l’acheteur.


Christie’s percevait alors de la part de l’acheteur une somme équivalente au montant de la redevance due au titre du droit de suite.


Le Syndicat national des antiquaires l’a alors assignée aux fins de voir constater la nullité de la clause des conditions générales de vente comme étant contraires aux disposition de l’article L. 122-8 alinéa 3 du Code de la propriété intellectuelle, considérant que cet aménagement contractuel était un acte de concurrence déloyale.


Dans le cadre de ce périple judiciaire une question préjudicielle a été posée à la Cour de justice de l’Union européenne, « la règle édictée par l’article 1er, § 4, de la directive 2001/84/CE du Parlement européen et du Conseil du 27 septembre 2001 relative au droit de suite au profit de l’auteur d’une œuvre d’art originale, qui met à la charge du vendeur le paiement du droit de suite, doit-elle être interprétée en ce sens que celui-ci en supporte définitivement le coût sans dérogation possible ? ».


Dans son arrêt du 26 février 2015 , la Cour de justice de l’Union européenne constatant la souplesse de la directive estime qu’elle ne « s’oppose pas à ce que la personne redevable du droit de suite, désignée comme telle par la législation nationale, puisse conclure avec toute autre personne, y compris l’acheteur, que cette dernière supporte définitivement, en tout ou en partie, le coût du droit de suite, pour autant qu’un tel arrangement contractuel n’affecte nullement les obligations et la responsabilité qui incombent à la personne redevable envers l’auteur ».


C’est à la cour d’appel de renvoi de Versailles qu’il est revenu d’interpréter cette réponse.


Dans son arrêt du 24 mars 2017 la cour a estimé que les dispositions de l’article L.122-8, alinéa 3, du code de la propriété intellectuelle revêtent un caractère impératif fondé sur un ordre public économique de direction, imposant que la charge définitive du droit de suite incombe exclusivement au vendeur.


Ce qui exclut tout aménagement conventionnel de la charge du paiement du droit de suite.


La nullité de la clause insérée par la société Christie’s est prononcée et des dommages intérêts symboliques d’un euro sont attribués au Syndicat.


Ce n’est pas la position suivie par l’assemblée plénière de la Cour de cassation, dans son arrêt rendu le 9 novembre 2018.


Dans un moyen unique, Christie’s soutenait que l’existence d’une obligation légale au paiement du droit de suite à la charge du vendeur, telle qu’elle ressort de l’article L .122-8 du code précité dans sa rédaction issue de la loi du 1er août 2006 et des travaux parlementaires qui ont précédé l’adoption de cette loi, n’exclut nullement la possibilité d’aménager de façon conventionnelle la charge du coût de ce droit, dès lors que cet aménagement, ne valant qu’entre les parties au contrat de vente et étant inopposable aux bénéficiaires du droit de suite, n’affecte nullement les obligations et la responsabilité qui incombent à la personne redevable envers l’auteur.


Il s’agissait notamment de savoir si cette règle qui prévoit que le droit de suite est à la charge du vendeur, relevait ou non d’un ordre public économique de direction lui conférant un caractère impératif.


L’assemblée plénière est revenue sur l’impérativité de la règle énoncée par le code de la propriété intellectuelle.


Suivant l’avis de l’avocat général, la Cour estime que « en l’absence de justification fondée sur une nécessité avérée et un objectif d’intérêt général », il convient de faire prévaloir la liberté d’entreprise et la liberté contractuelle. Une cassation partielle de l’arrêt de la cour d’appel de Versailles est prononcée.


L’attendu de la Cour, citant la réponse donnée par la Cour de justice de l’Union, affirme qu’est seule impérative la disposition de l’article L.122-8relative à la responsabilité du paiement du droit de suite.


La charge du paiement revêt bien un caractère supplétif : « il ne fait pas obstacle à ce que la personne redevable du droit de suite, que ce soit le vendeur ou un professionnel du marché de l’art intervenant dans la transaction, puisse conclure avec toute autre personne, y compris l’acheteur, que celle-ci supporte définitivement, en tout ou partie, le coût du droit de suite, pour autant qu’un tel arrangement contractuel n’affecte pas les obligations et la responsabilité qui incombent à la personne redevable envers l’auteur ».


Quelles sont les incidences de ces aménagements désormais possibles de la charge du paiement du droit de suite ?


Les pratiques vont évoluer en la matière, libérant les vendeurs d’une charge parfois freinante.


Cette solution apparaît judicieuse puisqu’elle rétablit des distorsions de concurrence avec d’autres places de marché importantes qui font peser le paiement du droit de suite sur l’acheteur.


Mais en transférant la charge du droit de suite sur l’acheteur, le budget des collectionneurs d’art sera le premier à être impacté par ce changement.


En toute hypothèse, il est vivement recommandé aux maisons de vente aux enchères qui entendent faire peser ce droit sur l’acheteur d’informer très clairement en amont des ventes, les acheteurs potentiels de ces nouveaux frais mis à leur charge.


Il est possible de s’interroger sur les conséquences du Brexit sur le droit de suite ?


L’Angleterre, qui pèse aujourd’hui 64 % du marché de l’art européen, risque de revenir sur le droit de suite qui lui avait été imposé par l’Union européenne et dès lors d’asseoir davantage son attractivité.