L'étendue des pouvoirs de police du maire : le cas particulier de la crise sanitaire (fr)

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Auteurs: Dr. Mohammed KHAMLICHI, Titulaire du Certificat d'Aptitude à la Profession d'Avocat (CAPA) Docteur en droit public, Secrétaire Général de l'Association Nationale des Avocats et élèves-Avocats Docteurs en Droit et Mme. B. Viviane POUNOUKO, Doctorante en droit public Attachée temporaire d'enseignement et de recherche Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Article extrait de « LA REVUE JURIDIQUE DE L'ANAD, Revue trimestrielle. Edition numéro 1. Novembre, Décembre 2020 et Janvier 2021 ». [1]
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Date: le 13 Novembre 2020


Dans un contexte de multiplication des arrêtés municipaux visant à lutter contre la propagation du Covid 19, la question des limites des pouvoirs du maire trouve son actualité.Pour rappel, le maire est à la fois titulaire de pouvoirs de police générale et de pouvoirs de police spéciale. Le pouvoir de police se définit essentiellement par son but qui est d'assurer la tranquillité, la sécurité, ou la salubrité publique. En ce sens, le code général des collectivités territoriales précise en son art. L.2212-2 que : « la police municipale a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté et la salubrité publiques ». Lorsque la police vise à assurer le maintien de l'ordre public sur le territoire de la commune, à l'égard de toute activité ou de toute personne, on parle de pouvoir de police générale [1].

En revanche, ce pouvoir de police administrative est spécial lorsqu'il vise spécifiquement un domaine donné et est exercé par une autorité administrative spécialement désignée. Dans cette hypothèse, un texte précisera le champ d'application, le contenu ou les modalités de mise en œuvre de ces pouvoirs.Toutefois, comme a pu le rappeler le Conseil d'Etat dans une ordonnance rendue le 17 avril dernier[2], cette distinction n'est pas toujours aisée à opérer.Dans l'hypothèse d'un conflit entre police générale et police spéciale[3], l'institution d'une police spéciale prime sur la police générale et l'exclut. Cette articulation semble se complexifier en matière sanitaire [4]. Et à cela, il faut ajouter qu'en cas de péril imminent, le principe est celui de la compétence de l'autorité de police la plus à même d'agir efficacement [5].Ainsi, les maires disposent, d'un pouvoir de police générale tiré des articles L.2212-1 etL.2212-2 du code général des collectivités territoriale qui peut toutefois se trouver limité par l'existence d'un pouvoir de police spéciale dévolu généralement à des autorités publiques et dans certains cas à des autorités administratives indépendantes[6]. L'exercice, par ces autorités, de leurs compétences de police spéciale dans un domaine donné exclut ainsi, en principe, toute intervention des maires. Ces derniers peuvent s'immiscer dans l'exercice dudit pouvoir dans des hypothèses strictement définies.

Autrement dit, « l'institution d'une police spéciale confiée au préfet, voire au ministre, peut permettre d'encadrer ou tout simplement de court- circuiter, dans des matières politiquement sensibles, l'intervention du maire [...] autorité décentralisée ».[7] Cet encadrement strict de l'action des maires peut s'expliquer par cette recherche permanente de cohérence du droit qui irrigue aussi bien le droit international que le droit interne[8]. Mais ce besoin prégnant d'unité dans l'exercice des pouvoirs de police n'est pas sans conséquence. En effet, force est de constater que celui-ci affecte l'étendue des pouvoirs de police du maire, notamment dans le contexte de crise sanitaire.

Un encadrement traditionnel

L'exercice des pouvoirs de police du maire (1) est soumis à un contrôle strict du juge administratif (2).

Une difficile appréhension de l'étendue des pouvoirs de police du maire

Le pouvoir de police générale s'exerce, en principe, dans tous les domaines y compris lorsqu'il existe un pouvoir de police spéciale. Toutefois, depuis une décision du 26 octobre 2011, Commune de Saint-Denis[9], le Conseil d'Etat a jugé qu'à partir du moment où il y avait une police spéciale d'Etat et donc d'autorité supérieure au maire, ce dernier ne peut intervenir au titre de son pouvoir de police générale. Cela ne vaut, toutefois, pas pour une police spéciale municipale. Ainsi, à partir du moment où la loi accorde des pouvoirs à une autorité dans un domaine donné, elle ne permet pas à une autre autorité d'intervenir en la matière.Il importe de souligner que, généralement, c'est aux établissements publics que le pouvoir de police spéciale est accordé. Toutefois, il arrive que ce pouvoir soit accordé à une autorité administrative indépendante. A titre d'illustration, en matière de déploiement des compteurs électriques communicants Linky, la Commission Nationale de l'lnformatique et des Libertés (CNlL), bien qu'il s'agisse d'une autorité administrative indépendante[10], dispose d'un pouvoir de police spéciale.

Dans ce contentieux, on peut noter un empiètement de la part des maires sur le pouvoir de police spéciale accordé à la CNIL quand il s'agit de vérifier si la vie privée des usagers n'est pas méconnue par le traitement des données personnelles réalisé par les opérateurs. En d'autres termes, l'existence de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés fait obstacle à ce que les maires fassent usage de leur pouvoir de police générale pour adopter sur le territoire de la commune des décisions portant sur l'installation de compteurs électriques communicants qui seraient destinées à protéger les habitants d'une ingérence dans leur vie privée du fait de la collecte et du traitement de données personnelles grâce à ces compteurs. Cette loi définit les règles applicables à la collecte et au traitement des données à caractère personnel dans le but de protéger notamment la vie privée des personnes concernées (article 1), et fixe les modalités de déclaration ou d'autorisation des traitements de ces données. Elle donne notamment pour mission à la CNIL de veiller « à ce que les traitements de données à caractère personnel soient mis en œuvre conformément aux dispositions de la présente loi et aux autres dispositions relatives à la protection des données personnelles prévues par les textes législatifs et réglementaires, le droit de l'Union européenne et les engagements internationaux de la France » (article 11).

Elle attribue , en outre, à la CNIL des pouvoirs d'investigation (article 44) et un pouvoir de sanction (articles45 et suivants).Plus encore, les maires ont entendu protéger les usagers des effets sur la santé humaine des ondes électromagnétiques émises par les compteurs alors qu'il existe un pouvoir de police spéciale en la matière[11].Dans sa décision « Commune de Cast », le Conseil d'Etat a considéré qu'« Il appartient ainsi aux autorités de l'Etat de veiller, pour l'ensemble du territoire national, non seulement au fonctionnement optimal du dispositif de comptage au vu notamment des exigences d'interopérabilité mais aussi à la protection de la santé publique par la limitation de l'exposition du public aux champs électromagnétiques, en mettant en œuvre des capacités d'expertise et des garanties techniques indisponibles au plan local. Dans ces conditions, si les articles L. 2212-1 et L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales habilitent le maire à prendre, pour la commune, les mesures de police générale nécessaires au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques, il ne saurait adopter sur le territoire de la commune des décisions portant sur l'installation de compteurs électriques communicants qui seraient destinées à protéger les habitants contre les effets des ondes émises » (point 9).Au-delà même de la question de pouvoir de police, il faut relever que le législateur a délégué à la CNIL des pouvoirs et des compétences particulières, (qu'on les qualifie ou pas depouvoirs de police), empêchant les maires d'y empiéter.La question des pouvoirs de police générale se pose aussi à propos des arrêtés pris par des maires qui utilisent leurs pouvoirs de police générale à des fins politiques.

Les arrêtés anti-glyphosate en constituent une parfaite illustration. Il convient de souligner qu'en matière de glyphosate, un pouvoir de police spéciale est, en partie, dévolu à un établissement public en l'occurrence, ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail). Cette instance dispose des compétences enmatière d'autorisation de produits phytopharmaceutiques et ensuite d'utilisation de ces produits par les agriculteurs.Sur ce contentieux, les juges des référés du tribunal administratif de Melun ont, par deux ordonnances en date de 8 nombre 2019[12], jugé que, afin de parer aux risques que représentel'utilisation des produits phytopharmaceutiques mentionnés à l'article L. 253-1 du code rural et de la pêche maritime, et notamment le glyphosate, un pouvoir de police spécial est en partie dévolu à l'État, représenté notamment par les ministres chargés de l'agriculture, de la santé, de l'environnement et de la consommation. Ils ont également jugé qu'en cas de risque exceptionnel et justifié, l'utilisation desdits produits pouvait être restreinte ou interdite par arrêté du préfet, qui doit alors prendre les mesures réglementaires nécessaires portant sur leur utilisation.En conséquence, le maire « ne pourrait, à titre exceptionnel, faire usage des pouvoirs qu'il tient de l'article L.2212-4 du code général des collectivités territoriales que pour adopter des mesures ponctuelles destinées à prévenir un danger ou à y mettre fin, et à la double condition de l'existence d'un péril imminent et d'une carence de la police spéciale[13] ».

Dans la décision « Commune de Saint-Denis » précitée, le Conseil d'Etat a décidé que, du fait de l'existence d'une police spéciale des communications électroniques conférée aux autorités de l'Etat, le maire ne peut adopter sur le territoire de la commune une réglementation relative à l'implantation des antennes relais de téléphonie mobile et destinée à protéger le public contre les effets des ondes émises par ces antennes. De même, l'existence d'une police spéciale de la dissémination volontaire d'OGM conférée aux autorités de l'Etat par la loi fait obstacle à l'utilisation par le maire de son pouvoir de police générale[14].La jurisprudence administrative rappelle donc systématiquement le principe d'incompétence des maires en présence d'un pouvoir de police spéciale dévolue à des établissements publics ou à des autorités administratives indépendantes.

Un contrôle rigoureux du juge administratif : vers une tendance générale au recul des pouvoirs de police du maire ?

Le juge administratif pour assurer un équilibre entre maintien de l'ordre public et garanties des droits et libertés, effectue depuis longtemps un contrôle rigoureux du recours au pouvoir de police. Pour cela, il vérifie que les mesures prises sont adaptées, proportionnées, nécessaires et sanctionne le cas échant les mesures qui ne répondent pas à ces exigences.[15] La procédure du référé-liberté en constitue un exemple significatif dans la mesure où elle participe à un encadrement strict des mesures de polices administratives.

Comme le précise l'article L. 2212-1 du Code général des collectivités territoriales « le maire est chargé, sous le contrôle administratif du représentant de l'Etat dans le département, de la police municipale, de la police rurale et de l'exécution des actes de l'Etat qui y sont relatifs ». A ces dispositions, qui confèrent un pouvoir de police générale au maire, il faut ajouter les articles L.2213-1 et suivants du Code général des collectivités territoriales qui lui attribuent des pouvoirs de police spéciales.

D'autre part, suivant les dispositions de l'article 34 de la loi n°82-213 du 2 mars 1982 modifiée, le Préfet de département a la charge des intérêts nationaux, du respect des lois, de l'ordre public. En principe, dans le cadre de ses pouvoirs de police administrative générale, ce dernier ne peut agir que pour prendre des mesures dont le champ d'application excède le territoire d'une commune ou si des « circonstances particulières » l'exigent. Le Conseil d'Etat a considéré dans un arrêt Syndicat climatique de Briançon, Dominique et autres du 17octobre 1952, qu'« il appartient au maire de prescrire, dans l'intérêt de la santé publique, les mesures hygiènes appropriées, notamment en ce qui concerne les lieux publics (...) ».

Dans un contexte ordinaire, chaque autorité doit veiller à ne pas empiéter, dans l'exercice des pouvoirs de police spéciale confiés à une autre autorité.Or, il est des hypothèses où ce respect du domaine des autres autorités n'est pas aisé à assurer. Ainsi, il appartient au maire, responsable de la sécurité et de la salubrité publiques de ses administrés, de prendre toutes mesures nécessaires en ce domaine en cas de péril imminent, notamment pour la santé de ces derniers. En effet, en situation d'urgence (péril grave ou imminent pour la santé ou la sécurité publique), l'article L. 2212-4 du CGCT confère au maire le droit d'ordonner l'exécution de mesures de sûreté exigées par les circonstances, y compris sur une propriété privée.

De même, en vertu des dispositions de l'article L. 2212-2 du CGCT, font partie des prérogatives de la police municipale « le soin de prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser, par la distribution des secours nécessaires ... les maladies épidémiques ou contagieuses, les épizooties, de pourvoir d'urgence à toutes les mesures d'assistance et de secours ».

Cependant, ces difficultés doivent être nuancées. Les responsabilités des maires, dans le cadre de leur pouvoir de police générale, en matière de bon ordre, sûreté, sécurité et salubrité publiques doivent, s'exercer dans le respect du pouvoir de police spéciale de l'État en cedomaine, le maire n'agissant qu'en cas de carence de ce dernier. Et au regard de la jurisprudence, notamment du Conseil d'Etat, lorsqu'une police spéciale au niveau national est dévolue à des établissements publics ou à des autorités administratives indépendantes[16], les maires ne sont, en principe, pas compétents pour agir. Ils ne peuvent intervenir au titre de leur pouvoir de police générale sur leur territoire que dans des situations très limitées ; soit en raison de la carence de l'Etat[17], d'une urgence particulière[18], ou de circonstances locales particulières. Ce qui a été d'ailleurs confirmé par le Conseil d'Etat dans l'ordonnance rendue le 17 avril 2020[19].

Ainsi, les juridictions administratives ont tendance à suspendre les arrêtés des maires qui prévoyaient des mesures de police nouvelles, sans qu'aucune circonstance particulière ne justifie l'adoption de telles mesures[20]. Cet encadrement prend une nouvelle dimension dans le cadre de la crise sanitaire.

Un encadrement particulier en cas de circonstances exceptionnelles : le cas particulier de la crise sanitaire

Dans le contexte de la crise sanitaire, les pouvoir de police du maire, bien que limités,demeurent étendus (1), mais ils ont fait l'objet d'une forme de redéfinition (2).

Des pouvoirs restreints mais étendus

La loi n°2020-290 du 23 mars 2020 portant création de l'état d'urgence sanitaire vient adapter les règles de l'Etat de droit, tel que nous le connaissons, au contexte de la crise sanitaire. Ce texte a institué une police administrative spéciale au profit du Premier ministre, au Ministre de la Santé[21] et aux Préfets [22].

Les nouvelles dispositions du code de la santé publique confient, en effet, d'importants pouvoirs à l'Etat. Pendant la durée de l'état d'urgence sanitaire, les articles L.3131-12 et suivants du code de la santé publique (applicables jusqu'au 1er avril 2021) confient au Premier ministre, au Ministre chargé de la santé et au Préfet le pouvoir de prendre toute mesure de nature à parer « à une catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population».D'autre part, suivant l'article L.3131-16 du Code de la Santé Publique: «Dans les circonscriptions territoriales où l'état d'urgence sanitaire est déclaré, le ministre chargé de la santé peut prescrire, par arrêté motivé, toute mesure réglementaire relative à l'organisation et au fonctionnement du dispositif de santé, à l'exception des mesures prévues à l'article L.3131-15, visant à mettre fin à la catastrophe sanitaire mentionnée à l'articleL.3131-12.Dans les mêmes conditions, le ministre chargé de la santé peut prescrire toute mesure individuelle nécessaire à l'application des mesures prescrites par le Premier ministre en application des 1° à 9° de l'article L. 3131-15 ».

Et l'article L. 3131-17 du code de la santé publique prévoit que : « Lorsque le Premier ministre ou le ministre chargé de la santé prennent des mesures mentionnées aux articles L. 3131-15 et L. 3131-16, ils peuvent habiliter le représentant de l'Etat territoriale mentcompétent à prendre toutes les mesures générales ou individuelles d'application de cesdispositions. ». De plus, par une ordonnance n°2000711 du 31 mars 2020, le juge du référé-liberté du tribunal administratif de Caen a confirmé que les dispositions des articles L. 3131-1 du code de la santé publique[23], de l'article L3131-15 du même code et de l'article 3 du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 « confèrent à l'Etat un pouvoir de police spéciale en cas d'urgence sanitaire. »Et pour rappel, lorsqu'un pouvoir de police spéciale au niveau national est dévolu à des établissements publics ou à des autorités administratives indépendantes[24], les maires ne sont en principe pas compétents pour agir. Ils ne peuvent intervenir au titre de leur pouvoir de police générale sur leur territoire que dans des hypothèses bien précises : en cas de carence de l'Etat[25], d'urgence[26], ou de circonstances locales particulières. Ce qui a été d'ailleurs confirmé par le Conseil d'Etat dans l'ordonnance rendue le 17 avril 2020[27].

Le Conseil d'Etat a, en effet, jugé que « la police spéciale instituée par le législateur fait obstacle, pendant la période où elle trouve à s'appliquer, à ce que le maire prenne au titre de son pouvoir de police générale des mesures destinées à lutter contre la catastrophe sanitaire, à moins que des raisons impérieuses liées à des circonstances locales en rendent l'édiction indispensable et à condition de ne pas compromettre, ce faisant, la cohérence et l'efficacité de celles prises dans ce but par les autorités compétentes de l'Etat ».A ce stade on peut, donc, légitimement s'interroger sur ce qui reste du pouvoir d'initiative dumaire en matière de police dans ce contexte. Mais peut-on conclure à d'une disparition momentanée des pouvoirs de police générale du maire ? Rien n'est moins sûr.


En effet, l'existence de ce pouvoir spécial de police dévolu à l'Etat, ne prive pas les maires de l'usage de leurs pouvoirs de police générale. La jurisprudence récente du Conseil d'Etat statuant en référé a d'ailleurs confirmé cette tendance. En ce sens, suivant une ordonnance du 22 mars 2020 : « (..) , le représentant de l'État dans le département et le maire disposent, dans les conditions et selon les modalités fixées en particulier par le code général des collectivités territoriales, du pouvoir d'adopter, dans le ressort du département ou de la commune, des mesures plus contraignantes permettant d'assurer la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques, notamment en cas d'épidémie et compte tenu du contexte local.(..) ».

Cette ordonnance précise également que: «Dans cette situation, il appartient à ces différentes autorités de prendre, en vue de sauvegarder la santé de la population, toutes dispositions de nature à prévenir ou à limiter les effets de l'épidémie. Ces mesures, qui peuvent limiter l'exercice des droits et libertés fondamentaux, comme la liberté d'aller etvenir, la liberté de réunion ou encore la liberté d'exercice d'une profession doivent, dans cette mesure, être nécessaires, adaptées et proportionnées à l'objectif de sauvegarde de la santé publique qu'elles poursuivent. »Ainsi, dans ce contexte, le pouvoir de police du maire, bien que relativement limité[28], reste important. Pour exemple, pendant le dispositif du confinement mis en place depuis le 17 mars 2020, les maires, en vertu de leur pouvoir de police générale, ont dû prendre des mesures plus restrictives pour prévenir ou limiter les effets de la propagation du virus covid-19[29]. Ces mesures, bien qu'elles affectent la liberté d'aller et venir, composante de la liberté personnelle protégée par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, ont été considérées par le juge comme nécessaires, proportionnées et adaptées à l'objectif de sauvegarde de la santé publique qu'elles poursuivent.Et les articles L. 2212-1 et L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales affirment le pouvoir du maire, « y compris en période d'état d'urgence sanitaire, à prendre les mesures de police générale nécessaires au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques dans sa commune [...] ».

Le maire suivant son pouvoir de police générale, est toujours compétent pour intervenir en cas de péril imminent non prévu par le Premier Ministre, le Ministre de la Santé ou les Préfets, ou dans l'hypothèse de la carence des autorités nationales.Par ailleurs, une ordonnance du Conseil d'Etat du 22 mars 2020 nous rappelle la latitude non négligeable laissée au maire quant à l'exercice de ses pouvoirs de police. A l'occasion de cette affaire, le juge nous rappelle, en application de l'article 2 de la C.E.D.H, qu'il relève du pouvoir des autorités compétentes en matière de police de prendre les mesures nécessaires pour garantir le respect de la vie dans le contexte de la crise sanitaire telle que l'obligation deprendre des mesures de confinement de la population.

D'ailleurs, sur la base des dispositions de l'article L.2212-2, 5° du CGCT et de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020, le maire a pu prendre de nombreuses mesures (instauration de couvre-feu, interdiction de fréquentation de certains lieux..).Cette situation a d'ailleurs entrainé un certain flou quant aux véritables frontières des pouvoirs de police du maire. En effet, dans son premier rapport sur le projet de loi d'urgence portant sur la pandémie Covid-19, la commission des lois du Sénat a relevé « un certain flou demandant à être dissipé sur les contraventions de 5e classe et sur l'exercice des pouvoirs de police des maires ».Il semble donc qu'il faille plutôt considérer que ces nouvelles dispositions sont venues redessiner les contours des pouvoirs de police du maire.

Une redéfinition des pouvoirs de Police du maire ?

Il semble que dans le contexte de crise sanitaire, nous assistons à une forme de redéfinition des pouvoirs de police générale du maire.Le contrôle rigoureux opéré par le juge administratif, notamment à l'occasion de son ordonnance du 17 avril 2020, nous démontre que dans ce contexte, les mesures de police des maires sont désormais soumises à des conditions de légalité renforcées.Les mesures de police municipales visant à lutter contre l'épidémie doivent être « indispensables », répondre à un besoin « impérieux » de la commune et être en cohérence avec les dispositifs mis en place sur le plan national.Dans un contexte où les appels faits par les autorités nationales à l'unité, la cohérence territoriale des mesures prises pour contrôler l'épidémie se multiplient, il faut se demander si l'initiative du maire en matière de police n'en sortira pas affectée.


Références

  1. 1. Il importe de souligner que des situations particulières existent. En effet, concernant la ville de Paris : "Les pouvoirs dévolus au maire par l'article L. 2212-2-1 sont exercés à Paris par le préfet de police et le maire de Paris, dans la limite de leurs attributions respectives" (article L.2512-13 du code général des collectivités territoriales).
  2. 2. CE, ord., 17 avr. 2020, n° 440057. Cette ordonnance confirme la suspension de l'arrêté du maire de Sceaux, qui imposait le port du masque aux habitants de sa commune dans le cadre de la lutte contre le coronavirus.
  3. 3. CE, 26 octobre 2011, Cne de Pennes-Mirabeau, TA de Rennes, ref., 27 aout 2019, N°1904033.
  4. 4. CE, 26 octobre 2011, Commune de Saint-Denis, n° 326492, A.2 CE, ord., 17 avr. 2020, n° 440057.Cette ordonnance confirme la suspension de l'arrêté du maire de Sceaux, qui imposait le port du masque aux habitants de sa commune dans le cadre de la lutte contre le coronavirus.
  5. 5. Tribunal administratif de Cergy-Pontoise, 8 novembre 2019, n°1912597.
  6. 6. Le pouvoir de police conféré à la Commission Nationale de l'Informatique et des Libertés (CNIL) (autorité indépendante) en constitue une parfaite illustration.
  7. 7. P. Bon, Police municipale : règles de compétence, Encycl. Coll. loc., n° 130.
  8. 8. Y. Délicat, Le principe d'exclusivité des polices spéciales, AJDA, 2013. 1782.
  9. 9. CE, 26 octobre 2011, Commune de Saint-Denis, op.cit.
  10. 10. Une autorité administrative indépendante (AAI) est une institution de l'État chargée, en son nom, d'assurer la régulation de secteurs considérés comme essentiels, et pour lesquels le gouvernement veut éviter d'intervenir trop directement, lagazette.fr.
  11. 11. V. not. T. Einaudi, Les pouvoirs de police administrative du maire mis à mal ?, AJCT 2013. 442. Une autorité administrative indépendante (AAI) est une institution de l'État chargée, en son nom, d'assurer la régulation de secteurs considérés comme essentiels, et pour lesquels le gouvernement veut éviter d'intervenir trop directement, lagaze
  12. 12. Tribunal administratif de Melun, Ordonnances en date de 8 nombre 2019, n°1908700 et n° 1908841.
  13. 13. L'ordonnance n°1908700 (point 5).
  14. 14. CE, 24 septembre 2012, commune de Valence, n° 342990, A.
  15. 15. CE, 19 mai 1933, Benjamin, 17413 17520, publié au recueil Lebon et CE, Juge des référés, 18 mai 2020, 440442, Inédit au recueil Lebon.
  16. 16. Le maire peut aller au-delà d'un pouvoir de police spéciale si des circonstances locales justifient cette mesure comme il résulte du grand arrêt de la jurisprudence administrative Société «  Les films Lutétia ». (CE, S., 18 décembre 1959, Société « Les films Lutétia », nos 36385 et 36428).
  17. 17. Le Conseil d'État, dans son arrêt en date du a par exemple relevé cette carence, en ce qu'aucun décret n'est adopté à fin d'appliquer le droit européen (Règlement CE n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009).
  18. 18. Les maires peuvent également exercer leurs pouvoirs de police générale pour répondre à une urgence comme le prévoit l'article L. 1311-2 du code de la santé publique. Aux termes de l'alinéa 1 de cet article, les décrets mentionnés à l'article L.1311-1 peuvent être complétés par des arrêtés du représentant de l'Etat dans le département ou par des arrêtés du maire ayant pour objet d'édicter des dispositions particulières en vue d'assurer la protection de la santé publique dans le département ou laCf. TA Cergy-Pontoise, ord., 8 novembre 2019, n°1912597 et n° 1912600.
  19. 19. CE, ord., 17 avr. 2020, n° 440057, op.cit.
  20. 20. Discours du président Emmanuel Macron du 13 avril 2020 adressé aux Français : " (...) je demande à tous nos élus, comme la République le prévoit en cette matière, d'aider à ce que ces règles soient les mêmes partout sur notre sol. Des couvre-feux ont été décidés là où c'était utile mais il ne faut pas rajouter des interdits dans la journée (...) ».
  21. 21. Discours d'Olivier Véran, conférence de presse du 21 mars 2020 : « (...) Vous l'aurez compris, j'ai fait le choix difficile mais un choix responsable d'octroyer les masques de protection d'abord aux professionnels de santé pour nous permettre de tenir le plus longtemps possible (...) ».
  22. 22. Le législateur n'a, en revanche, pas souhaité donner aux maires des pouvoirs de police administrative spéciale liés à la lutte contre le civid-19.
  23. 23. Issu de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 dite loi d'état d'urgence sanitaire visant à parer à l'épidémie de covid-19.
  24. 24. CE, S., 18 décembre 1959, Société « Les films Lutétia », op.cit.
  25. 25. Le Conseil d'État, dans son arrêt en date du a par exemple relevé cette carence, en ce qu'aucun décret n'est adopté à fin d'appliquer le droit européen (Règlement CE n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009).
  26. 26. Les maires peuvent également exercer leurs pouvoirs de police générale pour répondre à une urgence comme le prévoit l'article L. 1311-2 du code de la santé publique. Aux termes de l'alinéa 1 de cet article, Cf. TA Cergy-Pontoise, ord., 8 novembre 2019, n°1912597 et n° 1912600.26 juin 2019 (CE, 26 juin 2019, n° 415426, 415431)1311-1 peuvent être complétés par des arrêtés du représentant de l'Etat dans le département ou par des arrêtés du maire ayant pour objet d'édicter des dispositions particulières en vue d'assurer la protection de la santé publique dans le département ou la commune.
  27. 27. CE, ord., 17 avr. 2020, n° 440057, op.cit.H. Lor, Le Conseil d'Etat précise le pouvoir de police du maire en période d'urgence sanitaire, Dalloz actualité, 10 Juillet 2020.
  28. 28. L'action du maire est limitée par le respect des principes de nécessité et de proportionnalité.
  29. 29. V. également en ce sens, l'ordonnance du Conseil d'Etat n°2000294 du 27 mars 2020.