La question du rapport à la succession d'une donation indirecte par interposition d'une société (fr)

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Auteur : Sabine Haddad, avocat au barreau de Paris

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Date: Février 2019




Est-il possible de gratifier un héritier par l’interposition d’une personne morale à savoir une société ? Si oui la constitution d’une société fait-elle obstacle au rapport successoral ?


Par deux arrêts du 24 janvier 2018 la première chambre Civile de la Cour de Cassation pourvois N° 17-13.017 [1] et N°17-13.400 [2] aux visas des articles 843 et 857 du Code civil y répond .


Elle rappelle que lorsqu’une donation est faite par le défunt à son héritier par interposition d’une société dont ce dernier est associé, alors le rapport est dû à la succession en proportion du capital qu’il y détient.


Cette solution a le mérite de préserver l’égalité entre héritier


Analyse des arrêts

Rappel textuel

Article 843 du Code Civil


Tout héritier, même ayant accepté à concurrence de l'actif, venant à une succession, doit rapporter à ses cohéritiers tout ce qu'il a reçu du défunt, par donations entre vifs, directement ou indirectement ; il ne peut retenir les dons à lui faits par le défunt, à moins qu'ils ne lui aient été faits expressément hors part successorale.


Les legs faits à un héritier sont réputés faits hors part successorale, à moins que le testateur n'ait exprimé la volonté contraire, auquel cas le légataire ne peut réclamer son legs qu'en moins prenant.


Article 857 du Code Civil


Le rapport n'est dû que par le cohéritier à son cohéritier ; il n'est pas dû aux légataires ni aux créanciers de la succession.


Article 858 du Code civil


Le rapport se fait en moins prenant, sauf dans le cas du deuxième alinéa de l'article 845.


Il ne peut être exigé en nature, sauf stipulation contraire de l'acte de donation.


Dans le cas d'une telle stipulation, les aliénations et constitutions de droits réels consenties par le donataire s'éteindront par l'effet du rapport à moins que le donateur n'y ait consenti.

Que retenir des arrêts ?

En l’espèce une personne décède et laisse pour lui succéder son épouse et deux enfants issus de sa première union.


L’épouse et la fille considèrent que le de cujus a favorisé de son vivant son fils et demandent audit fils de rapporter à la succession la valeur du fonds de commerce donné en location gérance par le défunt à la société de son fils.


Il y avait 3 analyses juridiques possibles à une telle situation.


Plaider à la donation indirecte avec rapport du fonds en valeur dans et versement d’une soulte par le bénéficiaire au prorata des droits de chaque cohéritier;


Plaider au recel successoral en considérant que le bien soustrait doit être intégré dans l’actif successoral et priver l’héritier receleur de tout droit sur le bien recelé. ( article 778 du Code Civil);


Plaider à la créance de succession à porter à l’actif successoral en nature avec partage des biens à concurrence des droits respectifs de chaque héritier dans la succession.


En l’espèce a été soutenue la notion de donation indirecte.


La cour d’appel de Nîmes le 8 septembre 2016, a condamné ce fils à rapporter à la succession 115 560 € au titre d’une indemnité d’occupation, 102 000 € au titre d’une donation déguisée et 75 000 € au titre de la donation indirecte du fonds de commerce .


Pour la cour de cassation ; « l’interposition d’une société ne fait pas obstacle au rapport à la succession d’une donation … en cas de donation faite par le défunt par interposition d’une société dont ce dernier est associé, le rapport est dû à la succession en proportion du capital qu’il détient ».


Déjà 1ère Civ. 4 juillet. 2007, pourvois n° 05-20.096 [3] et , n° 08-17.411 ont considéré qu'une donation indirecte peut être réalisée par l’interposition d’une société à l’un des associés ; elle n’en est pas pour autant soustraite au rapport successoral.


Ainsi la Cour a préservé l’égalité entre cohéritiers en tenant compte de l’enrichissement du donataire et non de l’appauvrissement du disposant.


Que retenir ?


Dans l’hypothèse où la donation a été faite à un héritier par l’interposition d’une société, il y a donation indirecte à l’héritier qui a dans un second temps apporté le bien à la société si bien que le rapport est dû "" à proportion du capital qu’il détient "".


Autrement dit ce rapport se fera à concurrence de la valeur des parts de l’héritier dans la société et correspond au capital investi à l’issue de la donation.


La cour de Cassation admet ainsi de manière fictive que la donation a été faite directement à l’héritier qui l’a ensuite apportée à la société.


La question de l’intention libérale au moment de la conclusion du contrat de location-gérance, voulue par le défunt à l’égard de son fils et de sa société a été posée alors que ce contrat de location-gérance a été normalement exécuté jusqu’en 1991.


Le codicille du testament fait état d’une restitution qui n’a pourtant pas eu lieu .


Or justement pour la Cour d'appel le codicille dans lequel le père déclare avoir fait une avance sur héritage à son fils du matériel, du fonds de commerce et du stock de son entreprise justifie de l'intention libérale.


Cette preuve qui incombe au demandeur au rapport successoral est clairement posée.


La preuve de l'élément matériel de la donation en ce qu'elle suppose le dépouillement irrévocable du donateur découle les juges de l’absence de preuve de la restitution du fonds par le fils.


Elle n'a pas été renversée pour la haute juridiction.

Présentation de 1ere Civ, 24 janvier 2018 pourvois N° 17-13.017 et 17-13.400

  • Pourvoi : n° 17-13.017


Demandeur(s) : Mme Joseline X...

Défendeur(s) : les consorts X...


  • Pourvoi : n° 17-13.400


Demandeur(s) : M. Henry X...

Défendeur(s) : les consorts X... Vu leur connexité, joint les pourvois n° A 17-13.017 et S 17-13.400 ;


Attendu, selon l’arrêt attaqué, qu’Henri X… est décédé en 2008, laissant pour lui succéder son épouse, Mme Y…, et ses deux enfants issus de ses précédentes unions, Joseline et Henry, en l’état d’un testament authentique du 14 janvier 1997 et d’un codicille du 13 septembre 2004 ; que Mme X… a assigné ses cohéritiers en partage ;


Sur les moyens des pourvois principal et incident n° A 17-13.017 et sur le premier moyen du pourvoi n° S 17-13.400, pris en ses troisième, cinquième et sixième branches, ci-après annexés :


Attendu que ces griefs ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;


Sur le troisième moyen du pourvoi n° S 17-13.400, pris en ses première et deuxième branches :


Attendu que M. X… fait grief à l’arrêt de dire qu’il doit rapporter à la succession la somme de 75 000 euros au titre du fonds de commerce alors, selon le moyen :


1°/ qu’il appartient à celui qui sollicite le rapport à la succession d’une libéralité consentie par le de cujus de faire la preuve de cette libéralité ; qu’à ce titre, il lui incombe d’établir l’existence d’un dépouillement irrévocable de l’auteur réalisé dans l’intention de gratifier le cohéritier ; qu’en l’espèce, Mmes X… et Y… invoquaient contre M. X… l’existence d’une libéralité rapportable consistant en une donation indirecte à son profit du fonds de commerce donné en location-gérance à sa société Edeca ; qu’en déduisant l’élément matériel de la donation de ce que M. X… ne rapportait pas la preuve de la restitution des éléments composant le fonds de commerce, la cour d’appel a inversé la charge de la preuve, en violation de l’article 1315 du code civil dans sa rédaction applicable en l’espèce, ensemble les articles 843 et 894 du même code ;


2°/ que l’héritier ne doit le rapport à la succession que des libéralités qui lui ont été personnellement consenties par le de cujus ; qu’en obligeant en l’espèce M. X… à rapporter à la succession la valeur du fonds de commerce que son père avait donné en location-gérance à la société Edeca, les juges du fond ont violé les articles 843 et 857 du code civil ;


Mais attendu que l’arrêt énonce exactement, par motifs adoptés, que l’interposition d’une société ne fait pas obstacle au rapport à la succession d’une donation ;


Et attendu qu’ayant relevé que le contrat par lequel Henri X... avait confié la location-gérance de son fonds de commerce à la société Edaca, créée et gérée par M. X…, avait été résilié le 29 septembre 1991 et qu’Henri X… indiquait dans son codicille du 13 septembre 2004 n’avoir pas obtenu restitution du fonds, du matériel et des marchandises, et estimé que M. X… ne rapportait pas la preuve de la restitution du fonds, lequel avait été incorporé à celui exploité par la société Edeca, personne interposée à M. X…, c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain que la cour d’appel en a déduit, sans inverser la charge de la preuve, que celui-ci était tenu de rapporter à la succession la donation indirecte dont il avait ainsi bénéficié de son père ; que le moyen ne peut être accueilli ;


Mais sur le même moyen, pris en sa troisième branche :


Vu les articles 843 et 857 du code civil ;


Attendu que, pour fixer à 75 000 euros la somme que M. X… doit rapporter à la succession au titre du fonds de commerce de son père, l’arrêt retient que cette somme correspond à la valeur du fonds de commerce donné en location-gérance à la société Edeca ;


Qu’en statuant ainsi, alors qu’en cas de donation faite par le défunt à l’héritier par interposition d’une société dont ce dernier est associé, le rapport est dû à la succession en proportion du capital qu’il détient, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;


Et sur le premier moyen du même pourvoi, pris en sa quatrième branche :


Vu les articles 843 et 894 du code civil ;


Attendu que, pour dire que M. X… doit rapporter à la succession la somme de 198 450 euros au titre de la donation déguisée du terrain du chemin … à …, l’arrêt énonce que, suivant acte authentique des 28 février et 2 mars 1981, Henri X… a vendu à M. X… et à son épouse cet immeuble moyennant le prix de 12 000 francs, qu’il était spécifié dans l’acte que le prix avait été payé comptant, avant l’acte, hors la vue du notaire, au vendeur qui le reconnaissait et en consentait bonne et valable quittance, et que, dans le codicille du 13 septembre 2004, Henri X… déclarait ne pas avoir perçu ce prix ; qu’il retient ensuite que si M. X… soutient avoir effectivement réglé le prix d’achat de 12 000 francs et que son beau-père, M. Z…, atteste avoir prêté le 1er mars 1981 à sa fille et à son gendre une telle somme en vue de cette acquisition, à la date de la signature de l’acte de vente, le 28 février 1981, la somme de 12 000 francs nécessaire au paiement du prix n’était en tout état de cause pas en possession des acquéreurs puisqu’elle ne leur a été remise par M. Z… que le 1er mars 1981, de sorte que la déclaration ’Henri X… figurant à l’acte authentique est fausse ;


Qu’en se déterminant ainsi, sans constater l’absence de paiement du prix à la date de la vente authentique du 2 mars 1981, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ;


PAR CES MOTIFS et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi n° S 17-13.400 :

REJETTE le pourvoi n° A 17-13.017 ;


CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il dit que M. X… doit rapporter à la succession la somme de 198 450 euros au titre de la donation déguisée du terrain du chemin … à … et en ce qu’il fixe à 75 000 euros la somme que M. X… doit rapporter à la succession au titre du fonds de commerce de son père, l’arrêt rendu le 8 septembre 2016, entre les parties, par la cour d’appel de Nîmes ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Montpellier ;