Le Moulin Rouge est un lieu avant d'être une marque (fr)

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.
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Auteur : Emmanuel PIERRAT, Avocat au Barreau de Paris

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La Chambre commerciale de la Cour de cassation s’est prononcée, le 31 mars 2015, sur les limites du droit des marques, et en particulier de la marque Moulin rouge, brandie contre une société d’édition. La société du Moulin rouge avait agi en contrefaçon contre les éditions du Tertre qui avaient commercialisé différents produits (papèterie, tapis de souris, trousse d’écolier, etc.) portant les mots « Moulin rouge », ainsi que le dessin d’un moulin de couleur rouge ou encore la photographie de la célèbre façade.


Or, les juges ont estimé que « la société Les éditions du Tertre utilisait la dénomination Moulin rouge, non pas de façon isolée pour désigner les produits litigieux qu’elle commercialise, mais en association avec l’image stylisée ou non du moulin qui abrite le cabaret parisien, ou reproduisait l’affiche de Toulouse-Lautrec réalisée pour la publicité de la revue menée par La Goulue, dans le but d’identifier ce cabaret qui fait partie du patrimoine touristique de Paris et de façon indissociable du bâtiment éponyme. »


Il ajoutent que la « dénomination n’est employée qu’à des fins descriptives d’un site touristique, au même titre que d’autres monuments emblématiques de la capitale, sans affecter la garantie d’origine des produits sur lesquels elle est apposée. »


Les magistrats relèvent aussi que « si son usage intervient dans la vie des affaires, il ne constitue cependant pas un usage à titre de marque, faute de remplir la fonction distinctive conférée à cette dernière ». Et ce avant de balayer également les arguments sur le droit à l’image des biens, en soulignant que « aucun préjudice n’était résulté de la reproduction du Moulin rouge parmi les principaux monuments et lieux touristiques de Paris ».


Rappelons que, selon le Code de la propriété intellectuelle, toute appellation peut valablement constituer une marque, si plusieurs conditions de fond sont réunies.


Le signe choisi, pour être enregistré sans incident auprès de l’Institut national de la propriété industrielle (INPI), ne doit pas être contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs. La marque doit aussi être distinctive, c’est-à-dire ne pas décrire le produit. Il serait, par exemple, impossible en théorie d’enregistrer la marque « beau livre » pour éditer des ouvrages d’art.


Le signe retenu doit surtout être disponible. L’article L. 711-4 du Code de la propriété intellectuelle précise désormais qu’une marque ne doit pas porter atteinte à des droits antérieurs, en particulier à une « dénomination ou raison sociale, s’il existe un risque de confusion dans l’esprit du public », « aux droits d’auteur » ou encore « au nom, à l’image ou à la renommée d’une collectivité territoriale ». Cependant, aucune base de données n’est exhaustive et ne permet de recenser, sans coup férir, les multiples enseignes, titres de films ou de livres qui existent, antérieurement au dépôt d’une marque choisie « innocemment ». Les titulaires de droits préexistants pourront venir troubler, voire annihiler, l’exploitation de la nouvelle marque.


Les éditeurs ont parfois, à leur tour, intérêt à déposer des marques, que ce soit pour mieux protéger leurs propres noms que pour mettre à l’abri certaines créations (nom et silhouette de personnages, etc.). Le dépôt peut en effet porter sur nombre de signes distinctifs, un nom, un logo, un dessin, qui sont par ailleurs protégeables par le biais du droit d’auteur. Cette technique se révèle avantageuse dans les cas où le personnage risque de tomber dans le domaine public. Le droit des marques possède en effet l’immense intérêt d’assurer une protection éternelle, sans risque de domaine public, si les dépôts sont renouvelés en temps et en heure.


Cependant, aucune base de données n’est exhaustive et ne permet de recenser, sans coup férir, les multiples enseignes, titres de films ou de livres qui existent antérieurement au dépôt d'une marque et viendront troubler, voire annihiler, l'exploitation de celle-ci.


Non seulement les actions en justice peuvent viser les marques que les entreprises déposent, mais également être le fait de titulaires de marques antérieures.


Une recherche d'antériorité auprès de l'institut National de la Propriété Industrielle permet parfois d'éviter ce type de conflit, qui, même si l'issue en est heureuse, se révèle toujours une perte de temps, d'argent et d'énergie.