Le contrat et le courrier électronique (fr)

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.
France  > Droit privé > Droit civil > Droit des obligations > Droit des contrats  



Auteur : Me Emmanuel PIERRAT


Date : le 3 février 2016


La Cour de cassation a rendu, le 1er juillet 2015, un important arrêt sur la conclusion d’un contrat par voie d’échange de courriers électroniques.

Une société avait adressé un message électronique à un expert-comptable pour lui demander de lui fournir diverses précisions quant au régime fiscal des salariés français expatriés accomplissant des missions de quelques mois en Tunisie ; et le cabinet de l’expert-comptable avait expédié une consultation répondant aux questions posées, ainsi que la facture correspondante qui a été contestée. D’où le procès engagé en paiement de la facture et de dommages-intérêts.

Les premiers juges avaient estimé que, à la lecture du courriel adressé, il s'agissait « d'une prise de contact et d'une demande d'informations générales et des conditions financières d'intervention éventuelle, et que cette demande ne peut être considérée comme une commande formelle ».

Or, ce courriel mentionnait : « Auriez-vous l'amabilité de me faire parvenir les informations suivantes : Impôt sur le revenu pour un étranger ? Ce pourcentage à appliquer à tous les revenus ou seulement sur le salaire, excluant les indemnités de séjour ? Quelle est la taxe locale ? » ; et appelait une réponse étudiée du professionnel consulté. La Cour de cassation en conclut donc qu'il constituait, « en termes clairs et précis, une commande de consultation ».

Elle rappelle que « l‘article 1134 du Code civil dispose que "les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faite" ; que l'article 1315 du code civil dispose que "celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver". Or, le contrat de service entre un expert-comptable et son client est un contrat consensuel, qui ne nécessite pas de condition de forme.

Cette règle jurisprudentielle est donc valable dans la plupart des secteurs de la vie des affaires.

Rappelons, en revanche, que le consentement au contrat d’édition doit être écrit et ce de façon traditionnelle.

Il s’agit là d’une formalité de preuve, importante certes, mais qui n’affecte en rien la validité même du contrat. Ainsi, l’article L. 131-2 du Code de la propriété intellectuelle (CPI) précise-t-il que « les contrats de représentation, d’édition et de production audiovisuelle définis au présent titre doivent être constatés par écrit. Il en est de même des autorisations gratuites d’exécution. Dans tous les autres cas, les dispositions des articles 1341 à 1348 du Code civil sont applicables ».

L’article L. 131-3 du CPI, en son deuxième alinéa, assouplit quelque peu l’exigence de l’établissement du contrat d’édition par écrit : « Lorsque des circonstances spéciales l’exigent, le contrat peut être valablement conclu par échange de télégrammes, à condition que le domaine d’exploitation des droits cédés soit délimité conformément aux termes du premier alinéa du présent article4 ». Outre les télégrammes, les télécopies, mails et lettres de l’auteur (mais pas celles de l’éditeur) sont également admises de nos jours par les tribunaux. En l’absence d’écrit, l’éditeur s’expose à être dans l’incapacité de prouver qu’il a contracté avec l’auteur. Aucun autre mode de preuve n’est en théorie admis au bénéfice de l’éditeur : témoignage, présomption (telle que la remise du manuscrit), etc. ; et aucune circonstance particulière ne pourra jouer en faveur de l’éditeur (signature du contrat par un mandant de l’auteur, impossibilité physique pour l’auteur de signer, etc.). Ainsi, un éditeur, dans l’impossibilité de démontrer l’existence d’un contrat pour un livre d’entretiens avec un prix Nobel, n’a-t-il pu agir contre un confrère que pour concurrence déloyale et non pour contrefaçon. Toutefois, des juges ont déjà reconnu qu’un écrit n’était pas exigible lorsque l’auteur avait été lui-même le dirigeant de la maison d’édition familiale.

En réalité, le consentement écrit n’est exigé par la loi que pour protéger l’auteur lui-même. Si l’éditeur ne peut prouver le contrat d’édition que par la production d’un écrit, l’auteur peut de son côté librement prouver l’existence d’un contrat à l’aide de témoignages et autres moyens de preuve. L’auteur reste soumis au seul régime de l’article L. 110-3 du Code de commerce qui affirme le principe de liberté de la preuve contre tout commerçant (en l’occurrence l’éditeur).

Enfin, le contrat d’édition écrit se doit de ne pas différer des propositions qui ont été initialement faites à l’auteur et sur la base desquelles il avait accepté de contracter. De même, le contrat d’édition pourra être interprété à la lumière des correspondances qui l’auront suivi. La correspondance peut aisément compléter les termes d’un contrat ou même les modifier.

L’éditeur ne doit jamais oublier qu’en matière de contrat d’édition la majeure partie de la législation et de la jurisprudence a été élaborée dans l’intérêt des auteurs. En l’absence de contrat écrit, la publication pourra être qualifiée de contrefaçon.