Le délit de dissimulation du visage aux abords d'une manifestation: le nouvel article 431-9-1 du code pénal (fr)

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Thierry Vallat, avocat au barreau de Paris
Avril 2019




La loi n° 2019-290 du 10 avril 2019 visant à renforcer et garantir le maintien de l'ordre public lors des manifestations [1] a été publiée ce 11 avril au Journal officiel.
Validée par la décision n° 2019-780 DC du Conseil constitutionnel du 4 avril 2019 [2] (sans son article 3 le plus controversé)  elle instaure un nouveau délit: la dissimulation du visage aux abords d'une manifestation .


L'article 6 de la loi "Anti-casseurs" insère en effet dans le code pénal un article 431-9-1 qui punit d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende le fait pour une personne, au sein ou aux abords immédiats d'une manifestation sur la voie publique, au cours ou à l'issue de laquelle des troubles à l'ordre public sont commis ou risquent d'être commis, de dissimuler volontairement tout ou partie de son visage sans motif légitime.


Cette disposition avait été contestée devant le Conseil constitutionnel par des parlementaires qui avaient dénoncé l'imprécision des éléments constitutifs de cette infraction, dont il résulterait une incompétence négative du législateur et une méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines.


Ils avaient ainsi critiqué, à ce titre, la difficulté d'appréciation de la notion de dissimulation partielle du visage ainsi qu'une caractérisation insuffisante de l'élément intentionnel, puisqu'il n'est pas exigé que la personne qui dissimule son visage participe effectivement aux troubles à l'ordre public dénoncés.


En outre, selon eux, l'infraction méconnaîtrait également le principe de proportionnalité des peines.


Enfin, certains critiquaient également l'imprécision de la circonstance de troubles à l'ordre public intervenant « à l'issue » d'une manifestation ou de celle de risque de commission de troubles à l'ordre public.


En premier lieu, en retenant, comme élément constitutif de l'infraction, le fait de dissimuler volontairement une partie de son visage, le législateur a visé la circonstance dans laquelle une personne entend empêcher son identification, par l'occultation de certaines parties de son visage.


Il ne s'est ainsi pas fondé sur une notion imprécise.


En deuxième lieu, en visant les manifestations « au cours ou à l'issue » desquelles des troubles à l'ordre public sont commis ou risquent d'être commis, le législateur a, d'une part, précisément défini la période pendant laquelle l'existence de troubles ou d'un risque de troubles doit être appréciée, qui commence dès le rassemblement des participants à la manifestation et se termine lorsqu'ils se sont tous dispersés.


D'autre part, en faisant référence au risque de commission de troubles à l'ordre public, le législateur a entendu viser les situations dans lesquelles les risques de tels troubles sont manifestes.


En dernier lieu, en écartant du champ de la répression la dissimulation du visage qui obéit à un motif légitime, le législateur a retenu une notion qui ne présente pas de caractère équivoque.


Il en résulte pour le Conseil constitutionnel que l'incrimination contestée ne méconnaît pas le principe de légalité des délits et des peines.


L'article 431-9-1 du code pénal, qui ne méconnaît donc pas le droit d'expression collective des idées et des opinions ou le principe de proportionnalité des peines ni aucune autre exigence constitutionnelle, est conforme à la Constitution et est applicable dès demain dans sa rédaction ainsi libellée:


« Art. 431-9-1. - Est puni d'un an d'emprisonnement et de 15.000 € d'amende le fait pour une personne, au sein ou aux abords immédiats d'une manifestation sur la voie publique, au cours ou à l'issue de laquelle des troubles à l'ordre public sont commis ou risquent d'être commis, de dissimuler volontairement tout ou partie de son visage sans motif légitime. »


Est-ce à dire que ce sera à la personne interpellée d'apporter un "motif légitime" à la dissimulation de son visage puisque il s'agit d'une dissimulation volontaire du visage ?


S'agissant d'un délit pénal, et donc d'application stricte, il semble au contraire que ce soit au ministère public d'apporter la preuve d'un mobile, car on peut se dissimuler le visage à cause d'une cicatrice ou de boutons d'herpès, ou porter un masque contre la pollution , voire contre l'usage intempestif et irritant de gaz lacrymogènes...


Rappelons que depuis le Décret "anti-cagoule" n° 2009-724 du 19 juin 2009 [3], il était déjà interdit aux participants à des manifestations publiques de dissimuler volontairement leur visage, notamment avec une cagoule, pour ne pas être identifiés.


Ce texte ( Article R 645-14 du code pénal ) punit d'une amende de 1.500 euros au plus (contravention de 5e classe) «le fait pour une personne, au sein ou aux abords immédiats d'une manifestation sur la voie publique, de dissimuler volontairement son visage afin de ne pas être identifiée dans des circonstances faisant craindre des atteintes à l'ordre public».


Le décret prévoit qu'en cas de récidive dans un délai d'un an, l'amende peut être portée à 3.000 euros.


On devrait donc tester très prochainement l'efficacité pratique de ce nouveau délit qui semble fort questionnable.


A l'inverse les forces de l'ordre peuvent dans certains cas porter une cagoule avec une doctrine stricte d'emploi: lire notre article Fous ta cagoule: la doctrine d'emploi du port de la cagoule pour les policiers [4].