Le harcèlement au travail : quelle protection ? (fr)

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Patrick Lingibé, avocat, ancien bâtonnier de Guyane, membre du bureau de la Conférence des Bâtonniers, ancien membre du Conseil National des Barreaux, spécialiste en droit public, médiateur Professionnel EPMN, membre du réseau international d’avocats GESICA

Février 2019



Le harcèlement au travail peut prendre des formes différentes et découler d’agissements diverses. Traditionnellement, on distingue le harcèlement moral et le harcèlement sexuel. Ces deux formes de harcèlement sont punies par la loi. Toutefois, il est parfois difficile de déceler les attitudes qui relèvent du harcèlement et celles qui ne relèvent pas du harcèlement. C’est pourquoi il est nécessaire de bien connaître les définitions du harcèlement prévues par la loi et les règles qui s’y attachent.


Harcèlement moral et sexuel : définitions

L’article L. 1152-1 du Code du travail définit le harcèlement moral comme des agissements répétés qui ont pour objet ou pour effet d’entraîner une dégradation des conditions de travail.


Cette dégradation des conditions de travail est alors susceptible d’entraîner une atteinte aux droits et à la dignité du salarié, une altération de la santé physique ou mentale du salarié ou encore de compromettre l’avenir professionnel du salarié.


Ainsi, le harcèlement moral peut découler d’insultes, de reproches incessants, d’une surveillance démesurée, de menaces ou des tâches dégradantes. La définition prévue par la loi est très large et il revient à la jurisprudence d’affiner celle-ci en définissant les différents comportements relevant du harcèlement.


Ainsi, elle a précisé que les méthodes de gestion mises en œuvre par un supérieur hiérarchique peuvent entraîner un harcèlement [1].


Attention tout de même à ne pas considérer n’importe quel agissement comme du harcèlement moral. En effet, l’employeur garde un droit de critique et de sanction à l’égard de ses salariés. Mais les procédés employés doivent être corrects et respectueux.


  • Article L. 1152-1 du code du travail sur le harcèlement moral :


« Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. »


L’article L. 1153-1 du Code du travail définit le harcèlement sexuel comme « des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés » qui soit, portent atteinte à la dignité du salarié en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit, créent à l’encontre du salarié une situation intimidante, hostile ou offensante.


Les faits de harcèlement sexuel peuvent être qualifiés même si les agissements n’ont pas pour but l’obtention de faveurs sexuelles.


De plus, les faits peuvent être qualifiés de harcèlement sexuel même s’ils se déroulent en dehors des heures de travail [2] ou en dehors du lieu de travail [3].


Il faut savoir néanmoins qu’une tentative de séduction infructueuse ne peut être qualifiée de harcèlement sexuel.


En revanche, la séduction insistante et infructueuse d’un salarié, et notamment l’envoi de longs courriers manuscrits et de nombreux courriels assortis de déclarations amoureuses et d’invitations répétées, peut constituer un cas de harcèlement sexuel [4].


L’article L. 1153-1 détaille également ce qu’on appelle le harcèlement sexuel par assimilation.


Il s’agit de toute forme de pression grave pour obtenir un acte de nature sexuelle. La répétition des agissements n’est pas nécessaire pour qualifier un harcèlement sexuel par assimilation. Un seul acte suffit.


  • Article L. 1153-1 du code du travail :


« Les agissements de harcèlement de toute personne dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle à son profit ou au profit d’un tiers sont interdits. »


Harcèlement moral ou sexuel : à qui la faute ?

Le salarié bénéficie d’une protection contre les harceleurs.


Mais qui peuvent être ces personnes ? En général, le salarié est protégé contre le harcèlement sexuel ou moral dont se rend coupable toute personne ayant une autorité de droit ou de fait sur lui.


Il peut donc s’agir d’un employeur, d’un chef de service, d’un client ou d’un prestataire extérieur à l’entreprise. Toutefois, la jurisprudence a reconnu le harcèlement en l’absence de tout lien d’autorité.


Ainsi, le harcèlement peut être le fait d’un collègue de même niveau hiérarchique ou subordonné [5]  :


« Attendu que, pour infirmer le jugement et débouter les parties civiles de leur demandes, après avoir relevé que les agissements répétés de M. Y... avaient pu avoir pour effet de dégrader les conditions de travail de M. X... au sein du service, l’arrêt énonce que, pour constituer le délit de harcèlement moral, les agissements commis doivent avoir nécessairement porté atteinte aux droits, à la dignité de la victime, ou altéré sa santé physique ou mentale, ou encore compromis son avenir professionnel ; que les juges ajoutent que le prévenu, subordonné de la victime, n’avait ni les qualités ni les moyens de compromettre l’avenir professionnel de celle-ci, et qu’aucun élément de la procédure ne permet d’établir que les faits en cause aient été à l’origine d’une dégradation physique ou mentale du défunt ;

Mais attendu qu’en l’état de ces motifs pour partie contradictoires, la cour d’appel, qui a ajouté à la loi des conditions qu’elle ne comporte pas, d’une part, en retenant que les conséquences de la dégradation des conditions de travail devaient être avérées, alors que la simple possibilité de cette dégradation suffit à consommer le délit de harcèlement moral, et, d’autre part, en subordonnant le délit à l’existence d’un pouvoir hiérarchique, alors que le fait que la personne poursuivie soit le subordonné de la victime est indifférent à la caractérisation de l’infraction, a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus énoncés ; »


La protection attachée aux salariés et aux témoins de harcèlement.

Face à des situations de harcèlement, les salariés et les témoins sont protégés.


En effet, les articles L. 1152-2 (pour le harcèlement moral) et L. 1153-2 (pour le harcèlement sexuel) du Code du travail disposent « qu’aucun salarié, aucune personne en formation ou en stage ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte […] pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés » de harcèlement moral ou sexuel.


Ces mêmes articles étendent cette protection aux salariés et aux stagiaires qui témoignent de tels agissements.


Comme pour les actes discriminatoires, les actes contraires à la loi qui découlent de faits de harcèlement sont considérés comme nuls.


Ainsi, la rupture du contrat d’un salarié victime de harcèlement est nul.


Celui-ci peut exiger sa réintégration ou, s’il ne souhaite pas être réintégré, des dommages-intérêts.


Attention tout de même à la mauvaise foi du salarié.


En effet, la jurisprudence a justifié le licenciement pour faute grave d’un salarié pour avoir dénoncé de multiples faits inexistants de harcèlement moral [6].


En cas de mauvaise foi, le salarié peut également s’exposer à une action en dénonciation calomnieuse prévue par l’article 226-10 du code pénal.


  • Article 226-10 du code pénal :


« La dénonciation, effectuée par tout moyen et dirigée contre une personne déterminée, d’un fait qui est de nature à entraîner des sanctions judiciaires, administratives ou disciplinaires et que l’on sait totalement ou partiellement inexact, lorsqu’elle est adressée soit à un officier de justice ou de police administrative ou judiciaire, soit à une autorité ayant le pouvoir d’y donner suite ou de saisir l’autorité compétente, soit aux supérieurs hiérarchiques ou à l’employeur de la personne dénoncée est punie de cinq ans d’emprisonnement et de 45.000 euros d’amende. La fausseté du fait dénoncé résulte nécessairement de la décision, devenue définitive, d’acquittement, de relaxe ou de non-lieu, déclarant que le fait n’a pas été commis ou que celui-ci n’est pas imputable à la personne dénoncée. En tout autre cas, le tribunal saisi des poursuites contre le dénonciateur apprécie la pertinence des accusations portées par celui-ci. »


Les actions possibles en cas de harcèlement.

Si des faits de harcèlement sont avérés, le salarié peut se plaindre auprès des représentants du personnel ou du médecin du travail.

Le médecin du travail pourra par exemple proposer une mutation du salarié afin de ne plus être en contact avec le ou les harceleurs.


Si le harceleur est un salarié de l’entreprise, la victime peut s’en plaindre auprès de son employeur.


Ce dernier a alors le devoir de prendre des mesures en vertu de son obligation de sécurité envers ses salariés.


Il doit notamment sanctionner l’auteur des faits.


S’il ne le fait pas, il engage sa propre responsabilité, alors même qu’il n’est pas l’auteur des agissements incriminés [7].


À ce stade, il est très important de bien connaître les définitions du harcèlement prévus par la loi. En effet, il est nécessaire de qualifier les faits incriminés afin que le salarié bénéficie de la protection attachée au harcèlement.


À défaut, il ne pourra pas en bénéficier [8].


  • L’article L. 1152-6 du code du travail prévoit l’intervention possible d’un médiateur à l’initiative d’un salarié s’estimant victime de harcèlement moral :


« Une procédure de médiation peut être mise en œuvre par toute personne de l’entreprise s’estimant victime de harcèlement moral ou par la personne mise en cause. Le choix du médiateur fait l’objet d’un accord entre les parties. Le médiateur s’informe de l’état des relations entre les parties. Il tente de les concilier et leur soumet des propositions qu’il consigne par écrit en vue de mettre fin au harcèlement. Lorsque la conciliation échoue, le médiateur informe les parties des éventuelles sanctions encourues et des garanties procédurales prévues en faveur de la victime. »


Enfin, le salarié peut agir en justice.


L’action peut être dirigée contre l’auteur des faits incriminés ou contre l’employeur.


Si l’action est dirigée contre l’employeur, celui-ci doit prouver qu’il a pris toutes les mesures immédiates propres à faire cesser le harcèlement dès qu’il a eu connaissance des agissements en cause ainsi que toutes les mesures de prévention requises [9].


L’action en justice vise à l’obtention de dommages et intérêts.


Mais une action pénale est également possible.


Dans ce cas, l’auteur des faits incriminés risque une peine de prison et/ou une amende.


En matière de preuve, l’article L. 1154-1 du Code du travail dispose que le salarié doit apporter « les éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement ».


Les SMS reçus peuvent faire l’affaire [10], contrairement aux conversations téléphoniques enregistrées à l’insu de l’harceleur. Il s’agira là d’une preuve déloyale non recevable en matière civile [11].


  • Article L. 1154-1 du code du travail :


« Lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. »


Notes

  1. 1 Cass. soc. 1er mars 2011, n° 09-69616.
  2. 2 Cass. Soc., 11 janvier 2012, n° 10-12930.
  3. 3 Cass. Soc., 19 octobre 2011, n° 09-72672.
  4. 4 Cass. Soc., 28 janvier 2014, n° 12-20497.
  5. 5 Cass. Crim., 6 décembre 2011, n° 10-82.266.
  6. 6 Cass. Crim., 28 janvier 2015, n° 13-22.378.
  7. 7 Cass. Soc., 21 juin 2006 n° 05-43.914.
  8. 8 Cass. Soc., 13 septembre 2017, n° 15-23.045.
  9. 9 Cass. Soc., 1 juin 2016 n° 14-19.702.
  10. 10 Cass. Soc., 23 mai 2007, n° 06-42209.
  11. 11 Cass. Civ., 7 octobre 2004, n° 03-12653.