Le secret professionnel de l'avocat (eu) (be)

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.
Belgique > Union européenne >  Déontologie
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Auteur : Me Partick Henry, avocat et Président d'AVOCAT.BE
Date : 25 Octobre 2014 [1]


Mots clefs: Le secret professionnel, déontologie, exercice de la profession d'avocat, secret partagé


Le texte en intégralité: Le secret professionnel de l'avocat


Introduction

Notre monde change. La société change. Nos clients changent. Le droit évolue sans cesse. Même la Justice, cette vieille dame digne, est réformée.

Il est manifestement indispensable que notre profession s'adapte. Nos pratiques aussi doivent changer.

Il est d'autant plus urgent que nous réfléchissions sur ce qui fait notre spécificité. Si certaines des règles qui nous gouvernent sont obsolètes, d'autres font partie de notre essence. Y renoncer serait renoncer à ce que nous sommes.

L'avocature cesserait d'être un ministère. Nous ne serions plus que des professionnels comme les autres. Il n'y aurait dès lors plus aucune raison de prétendre que notre profession, comme quelques autres, ne peut pas être seulement régie par les lois de la sacro-sainte libre concurrence.

L'avocat a-t-il une âme ? Telle était la question que le barreau de Liège, avec quelques prestigieuses collaborations extérieures, se posa, il y a vingt-cinq ans. Je continue à penser que la réponse à cette question est affirmative.

Le secret professionnel fait certainement partie de cette âme. Comme l'écrivait à l'époque le bâtonnier Mario STASI, il est le “noyau dur de la profession"[2]. Dans nos systèmes juridiques d’inspiration romaine [3].

Il est dès lors logique que la place qui lui est réservée dépende d’un complexe d’autres normes qui définissent les règles de procédure dans un système juridique. C’est d’ailleurs cette diversité qui explique que la protection du secret professionnel ne soit pas expressément inscrite dans la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Voyez, sur cette question, P. LAMBERT, « La protection des confidences du client à son avocat, au regard de la Convention européenne des droits de l’homme », Liber amicorum Jozef Van Den Heuvel, p. 75. Pour un regard sur la situation dans les systèmes anglais et américain, voyez G.A. DAL, « Les fondements déontologiques du secret professionnel », in Le secret professionnel, AJN et la Charte, 2002, p. 102 ; Le secret professionnel de l’avocat dans le contexte européen, actes du colloque organisé à Anvers les 17 et 18 octobre 2002, Larcier, 2003 ; G.A. DAL (ed), Le secret professionnel de l’avocat dans la jurisprudence européenne, Larcier, 2010, spéc. P. MARTENS, « Secret professionnel : divergences et convergences des droits continentaux et anglo-saxons », pp. 11-16 ; Professional secrecy of lawyers in Europe, Cambridge, 2013, avec un panorama des principales règles en matière de secret professionnel dans 30 Etats européens..</ref>, il est, comme l'indépendance, cette autre vertu cardinale, le propre de notre profession, ce sur quoi nous ne pouvons transiger.

Le secret professionnel se situe au confluent de valeurs conflictuelles : la vérité d’une part, les droits de la défense d’autre part.

Il a paru indispensable au législateur sensu lato (je veux dire par là l’ensemble des rapports de force, jeux d’influences et mouvements de pression qui aboutissent à l’élaboration de normes puis d’un système juridique) que l’individu puisse, quand il est confronté au pouvoir (qu’il s’agisse du pouvoir exécutif ou du pouvoir judiciaire et même, in fine, de la loi elle-même), c’est-à-dire à la société, se défendre le plus efficacement en se confiant sans détour à celui qui sait, connaît le droit, l’avocat, qui pourra l’aider à faire entendre sa vérité, sa subjectivité, face à l’approche nécessairement objective de ceux qui ont pour but et mission d’organiser la société. Il en va de la cohésion sociale. C’est ce qui rend la Justice (cette appellation étant plus prise dans son sens déontologique que dans son sens ontologique) un peu moins injuste, et en tout cas acceptable par le plus grand nombre.

Comme le dit le bâtonnier Dominique de la GARANDERIE, « Ne nous y trompons pas : le véritable enjeu du secret, c’est le droit au Droit » [4].

"Il en va de la démocratie", écrit encore le bâtonnier Christian RAOULT. "Bien plus que les divergences sur l'ordre social ou économique, c'est le secret professionnel et le respect de l'individu qu'il implique, qui marquent la véritable fracture entre les états démocratiques et les états de type marxiste ou totalitaire»[5] .

Dans nos régimes, ajoute le bâtonnier Pascal VANDERVEEREN, "la valeur que la défense représente est supérieure à celle de la répression »[6]. Mieux vaut cent coupables en liberté, qu'un innocent en prison. Et Chaïm Perelman précise que ce qui caractérise chaque société n’est pas tant les valeurs qu’elle défend, qui sont communes à la plupart d’entre elles, mais la façon dont elle les hiérarchise [7]. Chaque société prétend défendre la liberté individuelle, la vie privée, la sécurité, la justice, l’égalité. Le tout est de voir comment elle organise cette défense, quelles valeurs elle subordonne aux autres.

Comme le fait valoir Maxime GLANSDORFF, il n’est d’ailleurs guère possible d’établir une hiérarchie des valeurs qui s’appliquerait toujours et en tous lieux, voire simplement, dans un Etat donné, en toutes circonstances. Cette hiérarchie « n’est jamais qu’une hypothèse, plus ou moins née de l’imagination ou suggérée par l’expérience personnelle, mais toujours exposée à être infirmée par des expériences nouvelles »[8]. Cette échelle est donc toujours en (re)construction.

Du point de vue historique[9], la notion de secret professionnel remonte au serment d’Hippocrate[10]. Quant aux principes qui gouvernent le secret professionnel de l’avocat, ils apparaissent dans le Digeste : advocatus in causa in qua est causa, propter praesumtam affectionem, testimonium ferre non potest.

Après une certaine éclipse au moyen âge, il réapparaît dans une ordonnance de Charles VII (1453), dans un édit de Louis XI (1477), puis dans une ordonnance de Charles VIII (1493).

Il sera consacré par l’article 378 du code pénal de 1810, puis par l’article 458 du code pénal de 1867 :

“Les médecins, chirurgiens, officiers de santé, pharmaciens, sages-femmes et toutes autres personnes dépositaires par état ou par profession, des secrets qu’on leur confie, qui, hors le cas où ils sont appelés à rendre témoignage en justice {ou devant une commission d’enquête parlementaire}[11] et celui où la loi les oblige à faire connaître ses secrets, les auront révélés, seront punis d’un emprisonnement de 8 jours à 6 mois et d’une amende de 100 à 500 euros”[12](le texte de l’article 378 du code pénal de 1810 était à peu près identique, si ce n’est qu’il ne reprenait pas l’exception du témoignage en justice, ni bien sûr celle du témoignage devant les commissions d’enquête parlementaire).

Traditionnellement, la profession d’avocat est la première à être englobée dans l’expression “toutes autres personnes dépositaires, par état ou profession, des secrets qu’on leur confie”.

La loi du 20 novembre 2000, relative à la protection des mineurs a inséré dans le code pénal un article 458bis qui comporte une importante exception à l’obligation au secret. Sa portée est brièvement examinée ci-après (chap. 5.5). Le secret professionnel est aujourd’hui consacré par différents instruments internationaux[13] et, notamment, par le code de déontologie des avocats de la Communauté européenne du 28 octobre 1988, remis à jour le 19 mai 2006, en les termes suivants :

« 2.3.1. Il est de la nature même de la mission d’un avocat qu’il soit dépositaire des secrets de son client et destinataire de communications confidentielles. Sans la garantie de la confidence, il ne peut y avoir de confiance. Le secret professionnel est donc reconnu comme droit et devoir fondamental et primordial de l’avocat.

« 2.3.2. L’avocat doit respecter le secret de toute information confidentielle dont il a connaissance dans le cadre de son activité professionnelle.

« 2.3.3. Cette obligation au secret n’est pas limitée dans le temps.

« 2.3.4. L’avocat fait respecter le secret professionnel par les membres de son personnel et par toute personne qui coopère avec lui dans son activité professionnelle».[14]

Dans un arrêt du 18 juin 1974[15], la Cour d’appel de Bruxelles définit la raison d’être du secret professionnel en ces termes : elle réside “dans la nécessité de donner à ceux qui exercent cette profession, les garanties nécessaires de crédibilité, ceci dans l’intérêt général, pour que tous ceux qui s’adressent à lui en confiance puissent avoir la certitude que les secrets qu’ils confient à leurs conseils ne courent pas le risque d’être dévoilés à des tiers”[16].

Selon Jean-Pierre BUYLE et Dirk VAN GERVEN[17], le secret professionnel aurait ainsi un quadruple fondement :

- Il fait partie du droit à un procès équitable, en ce qu’il permet l’accès de tout justiciable à un avocat ;
- Il est également garanti par l’article 8 de la Convention qui consacre le droit au respect de la vie privé et, notamment, des correspondances ;
- Il a un fondement contractuel qui trouve sa source dans l’accord entre l’avocat et son client et les usages ;
- Il s’agit, enfin, d’une obligation déontologique, consacrée par les différentes normes qui viennent d’être citées.

Le caractère absolu du secret professionnel de l’avocat a été longtemps proclamé.

De plus en plus de voix défendent aujourd’hui une conception relative du secret. Elles admettent que le secret puisse, dans certaines hypothèses, s’effacer devant d’autres valeurs, telle la préservation de la vie humaine[18]. C’est la théorie dite du « conflit des valeurs ». Cette seconde conception semble s’imposer aujourd’hui [19], même si les avocats restent fermement attachés à la théorie du secret absolu [20]. Nous en discuterons ultérieurement à propos de cas pratiques.


Références

  1. Ces notes sont mises à jour chaque année. Je tente d’y introduire l’enseignement des décisions les plus récentes. Il parait utile de signaler, en exergue, les principales contributions doctrinales publiées au cours des dernières années, notamment P. HENRY, « Glasnost : la seconde mort d’Antigone », in L’avocat et la transparence, Bruylant, 2006, pp. 9-41 (l’introduction au cours qui vous a été prodigué le 25 octobre s’inspire beaucoup de cette contribution) ; J. CRUYPLANTS, « Secret de la défense et défense du secret », in Déontologie : évolutions récentes et applications pratiques, Ed. du jeune barreau de Liège, 2006, pp. 7-48 ; J. CRUYPLANTS, « Le secret de la défense entre peau de chagrin et Fort Chabrol », in Déontologie : les nouvelles règles du jeu, Ed. du jeune barreau de Bruxelles, 2006, pp. 9-58 ; G.A. DAL (éd), Le secret professionnel de l’avocat dans la jurisprudence européenne, Larcier, 2010 ; plusieurs des contributions à l’ouvrage collectif Pourquoi Antigone ? Liber amicorum Edouard Jakhian, particulièrement F. KRENC, « Les perquisitions et saisies chez l’avocat au crible de la convention européenne des droits de l’homme » (pp. 283-306) ; plusieurs des contributions du Liber amicorum Jo Stevens, particulièrement J. VERBIST et B. VANLERBERGHE, « Het zwijgrecht van de advocaat in tuchtzaken », p. 651 ; J.P. BUYLE et D. VAN GERVEN, « Le fondement et la portée du secret professionnel de l’avocat dans l’intérêt du client », J.T., 2012, p. 327 ; Professional secrecy of lawyers in Europe, Cambridge university press, spéc. les deux contributions de D. VAN GERVEN, « Professional secrecy in Europe », pp. 1-23, et « Belgium », pp. 51-72.
  2. Voyez L’avocat à la recherche de son âme, actes du colloque organisé par l’Ordre et la Conférence libre du jeune barreau de Liège, Ed. du jeune barreau de Liège, 1989. Adde E. JAKHIAN, « Loyauté, confidentialité et secret », in Liber amicorum Jean-Pierre de Bandt, p. 163. A. NYSSENS écrivait déjà que « le secret professionnel dont dispose l’avocat est le support, l’âme de la liberté de défense » (Introduction à la vie du barreau, 2003, 5e édition, par A. BRAUN, p. 47).
  3. La place réservée au secret professionnel varie de façon notable suivant les systèmes juridiques. C’est que le secret professionnel ne constitue pas un droit, mais une technique, un procédé, un moyen pour assurer la protection des droits des citoyens
  4. Discours prononcé lors de la séance solennelle de rentrée de la Conférence du stage et du barreau de Paris, le 19 novembre 1999. V. REMACLE (De l’obligation au secret professionnel, Lyon, 1900, cité par P. LAMBERT, ibidem, p. 82) écrivait déjà que sans la confiance totale que le client peut, en raison de l’existence de l’obligation au secret, accorder à son avocat, les communications entre eux seraient mêlées de réticences et de mensonges. Il n’y aurait alors plus qu’un simulacre de défense, préparant un simulacre de Justice. C’est ainsi, encore, que David T. MORGAN rappelle que toute atteinte au secret professionnel risque surtout de détourner les justiciables des cabinets d’avocats et d’ainsi porter atteinte à des droits fondamentaux, tels l’accès à la justice ou les droits de la défense. Toute érosion du secret professionnel risque de réduire le rôle de l’avocat à celui d’un simple informateur de la police… (D. T. MORGAN, « The threat to the professionnal secrecy of lawyers in Europe », in Le secret professionnel de l’avocat dans le contexte européen, p. 172).
  5. C. RAOULT, « Le secret professionnel… encore ! », Gaz. Pal., 28 février 2003, p. 9.
  6. P. VANDERVEEREN, « Le secret professionnel : réflexions et comparaisons », rapport à la Conférence régionale des bâtonniers, octobre 1997, reproduit dans la Lettre des avocats du barreau de Bruxelles, 1998, p. 43 ; voyez aussi P. LAMBERT, Le secret professionnel, Bruylant, 2005, p. 211 ; L. HUYBRECHTS, « Gebruik and misbruik van het beroepsgeheim, inzonderheid door revisoren, accountants en advocaten », R.D.C.B., 1995, p. 677.
  7. C. PERELMAN, « L’usage et l’abus de notions confuses », in Etudes de logique juridique, Bruxelles, Bruylant, 1978, p. 3, cité par P. LAMBERT, « La protection des confidences du client à l’avocat… », op. cit., p. 77. Voyez aussi J. VERHAEGEN, « Notions floues et droit pénal », J.T., 1981, p. 389.
  8. M. GLANSDORFF, Les déterminants de la théorie générale de la valeur, cité par P. LAMBERT, Le secret professionnel, p. 3O ; voyez aussi, M. van de KERCHOVE, « Fondements axiologiques du secret professionnel et de ses limites », in Le secret professionnel, AJN et la Charte, 2002, p. 12.
  9. Pour plus de détails, voyez P. LAMBERT, op. cit., p. 7 et suivantes.
  10. « Quoi que je voie ou entende dans la société pendant l’exercice, ou même hors de l’exercice de ma profession, je tairai ce qui n’a jamais besoin d’être divulgué, regardant la discrétion comme un devoir en pareil cas » (traduction libre).
  11. Ces mots ont été insérés dans le texte de l’article 458 du code pénal par la loi du 30 juin 1996.
  12. Pour un commentaire des aspects pénaux de la matière, voyez D. KIGANAHE, « La protection pénale du secret professionnel » et A. MASSET, « Les sanctions de la violation du secret professionnel », in Le secret professionnel, AJN et la Charte, 2002, pp 19 et 65.
  13. S’il n’est pas nommément mention dans la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, chacun – et tout d’abord la Cour européenne elle-même – s’accorde à reconnaître qu’il trouve son fondement dans le droit au respect de la vie privée, consacré par l’article 8 de la Convention (voyez P. LAMBERT, « La protection des confidences du client à son avocat, au regard de la Convention européenne des droits de l’homme », Liber amicorum Jozef Van Den Heuvel, p. 75 ; D. SPIELMAN, « Le secret professionnel de l’avocat dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme », in G.A. DAL (ed), Le secret professionnel de l’avocat dans la jurisprudence européenne, Larcier, 2010, pp. 28-44 ; J.P. BUYLE et D. VAN GERVEN, « Le fondement et la portée du secret professionnel de l’avocat dans l’intérêt du client », J.T., 2012, p. 327). Le Conseil de l’Europe a rappelé l’importance du secret professionnel à plusieurs reprises : la recommandation 1012 (1985) de l’Assemblée parlementaire, sur le considérant que « la protection du secret professionnel est élément essentiel du droit au respect de la vie privée » recommande à tous les Etats membres de veiller à ce que le secret professionnel soit préservé, en précisant que « Les exceptions à cette obligation doivent être prévues par la loi ou ordonnées par un tribunal régulier, et doivent être en accord avec l’article 8.2 de la Convention » ; la recommandation R21 (2000) du Comité des ministres sur la liberté d’exercice de la profession d’avocat énonce également que « Toutes les mesures nécessaires devraient être prises pour veiller au respect du secret professionnel des relations entre avocats et clients. Des exceptions à ce principe devraient être permises seulement si elles sont compatibles avec l’état de droit ». C’est également sur la base de l’article 8 de la Convention que l’avocat général POÏARES-MADURO a fondé le secret professionnel dans les conclusions qu’il a rendu dans le cadre de la question préjudicielle que lui avait posée la Cour d’arbitrage de Belgique dans le cadre du contentieux du blanchiment de capitaux (voyez ci-après, chap. 5.20).
  14. Pour un commentaire de cette disposition, voyez G.A. DAL, « The C.C.B.E. rules on professional secrecy », in Professionnal secrecy of lawyers in Europe, 2013, pp. 24-28.
  15. Pas. 1975, II, p. 42 ; J.T. 1976, p. 11 ; voyez déjà Gand (ch. mises acc.), 5 janvier 1971, R.W., 1970-1971, col. 1714 ; cette formulation a été reprise par le tribunal correctionnel de Bruxelles dans son jugement du 29 mars 2001, J.T., 2001, p. 617 ; adde Cass, 23 juin 1958, J.T. 1958, p. 598 ; 30 octobre 1978, Pas., 1979, I, 253. 16 « Le secret des avocats n’est
  16. « Le secret des avocats n’est pas seulement une obligation légale… le secret des avocats n’est pas fait pour les avocats. Il leur est imposé comme l’une des plus exigeantes obligations éthiques de leur profession. Mais ce devoir devient droit face à ceux qui voudraient en profiter pour surprendre les confidences. Un monde où l’on ne pourrait plus partager ses secrets sans craindre qu’ils se transforment en informations serait un monde où l’individu serait privé de liberté », écrit H. LECLERC (cité par M. BENICHOU et F. TEITGEN, « Le rôle des Ordres dans la lutte contre le blanchiment et la sauvegarde du secret professionnel », Gaz. Pal., 21 et 24 avril 2000, p. 2). E. GUIGOU déclare également qu’elle attache « la plus haute importance à la conciliation entre les impératifs attachés à la recherche de la vérité et le nécessaire respect du secret professionnel, d’autant plus essentiel qu’il est non pas un quelconque privilège corporatiste mais d’abord la protection des personnes qui ont confié leurs intérêts à leur avocat » (cité par D. de la GARANDERIE, « Transparence explosive », Bulletin du Bâtonnier, Paris, 13 avril 1999, p. 83).
  17. J.P. BUYLE et D. VAN GERVEN, « Le fondement et la portée du secret professionnel de l’avocat dans l’intérêt du client », J.T., 2012, p. 327 ; D. VAN GERVEN, « Professional secrecy in Europe », in Professional secrecy of lawyers in Europe, 2013, pp. 1-23.
  18. Au Canada, il est constant que le secret professionnel de l’avocat n’est pas absolu et qu’il peut céder devant d’autres impératifs. Un arrêt récent de la Cour suprême du Canada nous en donne une bonne illustration. Il est admis au Canada que le droit au secret professionnel peut s’effacer devant le droit de l’accusé à une défense pleine et entière. En l’occurrence, un prévenu sollicitait la production des correspondances échangées entre un de ses accusateurs et l’avocat de ce dernier. Selon lui, la chronologie particulière des révélations de cet accusateur, qui avait d’abord consulté un avocat, avant de déposer plainte, puis d’engager une procédure civile, jointe à des variations dans ses dépositions, affectait la crédibilité des accusations et il était important de prendre connaissance des premiers échanges entre l’accusateur et son conseil. La Cour rejette la requête. Elle rappelle qu’en principe, le secret ne doit céder que s’il y a un « risque véritable qu’une déclaration de culpabilité injustifiée soit prononcée ». Dans une première étape, il appartient donc au juge de déterminer si c’est bien l’innocence du prévenu qui est en jeu, à l’exclusion de considérations relatives à l’application de circonstances atténuantes ou à l’appréciation de l’ampleur des faits et si les éléments dont on demande la production sont susceptibles d’éclairer le tribunal sur ce point. Dans une seconde étape, le juge examine les pièces du dossier et n’ordonne la production de pièces que si, et dans la mesure où, elles sont de nature à exercer une influence sur la déclaration de culpabilité. Dans le cas qui lui était soumis, la Cour considère que les pièces dont la production était souhaitée ne pouvaient susciter de doute quant à la culpabilité même (arrêt Mc Clure, 2001 CSC 14, commenté par L. BEAUDOIN, Journal du barreau du Québec, 15 avril 2001, p. 7 ; voyez aussi les commentaires que J. CRUYPLANTS et M. WAGEMANS consacrent à cet arrêt (« Secret professionnel et protection renforcée des échanges avocat – client », J.T., 2005, p. 576, note 118)). La Cour suprême du Canada a affiné sa jurisprudence dans un arrêt Benson / Brown, du 28 mars 2002 : « Si le secret professionnel de l’avocat occupe une place centrale dans l’administration de la justice, il n’est pas absolu et peut devoir céder le pas dans de rares circonstances, notamment pour permettre à un accusé de présenter une défense pleine et entière contre une accusation criminelle. Tel ne peut être le cas que pour autant, tout d’abord, que les renseignements que l’accusé cherche à obtenir par la divulgation du secret protégé ne puissent être obtenus par d’autres moyens licites et, ensuite, que cet accusé soit incapable de susciter de quelque autre façon un doute raisonnable quant à sa culpabilité. Si tel est le cas, la divulgation ne pourra porter que sur les éléments du dossier nécessaire pour susciter ce doute raisonnable et, avant d’être effectivement versé aux débats, les éléments recueillis devront être soumis à l’accusé qui est libre de décider s’il souhaite, en définitive, en faire usage » (J.L.M.B., 2007, p. 574 et obs. Y. HANNEQUART).
  19. Voyez P. LAMBERT, Le secret professionnel, p. 27 ; J. CRUYPLANTS et M. WAGEMANS, « Secret professionnel et protection renforcée des échanges avocat – client », J.T., 2005, p. 565. La conception relative du secret a été clairement affirmée par la Cour d’arbitrage, à deux reprises, au cours des dernières années, d’abord par son arrêt du 3 mai 2000 (J.L.M.B., 2000, p. 868, voyez ci-après, 5. 18), ensuite par son arrêt du 24 mars 2004 (J.L.M.B., 2004, p. 1080, voyez ci-après 5.12). Voyez aussi Cass. 19 janvier 2001, J.T., 2002, p. 9 ; Cass., 7 mars 2002, R.G.D.C., 2002, p. 54. Adde P. VAN NESTE, « Kan het beroepsgeheim absoluut genoemd worden ? », R.W., 1977-1978, 1281 ; L. DE CAEVEL et P. DEPUYDT, « Le secret professionnel de l’avocat à l’égard de l’assureur », Rev. Dr. ULB, 2000, p. 41 ; P. LAMBERT, « Le secret professionnel de l’avocat et les conflits de valeur », J.T., 2001, p. 620 ; G.A. DAL, « Le secret professionnel de l’avocat en Belgique », in Le secret professionnel de l’avocat dans le contexte européen, p. 9. Voyez également Anvers, 18 septembre 2000, Rev. Dr. Santé, 2000-2001, p. 290, qui se fonde explicitement sur le conflit entre secret professionnel et le principe des droits de la défense pour exiger la production de protocoles de prises de sang, qu’un centre de transfusion sanguine refusait de produire, alors que sa responsabilité était mise en cause pour faute commise au moment de cette prise de sang. La Cour note que le patient avait renoncé expressément au secret professionnel et qu’en prétendant taire les noms des personnes qui ont pris part à la prise de sang, le centre de transfusion détourne le secret de la nécessité sociale en laquelle il trouve son fondement. Au rang des arrêts importants qui adoptent une conception relative du secret, il faut citer l’arrêt Plon de la Cour européenne de droits de l’homme du 18 mai 2004. Cet arrêt met fin à l’affaire Gubler, ce médecin français qui, alors qu’il avait soigné François Mitterand, avait, peu après sa mort, publié un ouvrage intitulé Le grand secret, dans lequel il révélait plusieurs informations relatives à la santé de son illustre client, évidemment couvertes par le secret médical. Le tribunal de grande instance de Paris, d’abord en référés, puis au fond, avait interdit la publication de cet ouvrage et ordonné son retrait de la vente. Analysant le litige en termes de conflit entre deux valeurs contradictoires, la liberté d’expression et le droit au respect de la vie privée, la Cour valide d’abord la décision de référé, qui pouvait passer pour « nécessaire dans une situation démocratique », vu la proximité du décès et l’intensité de l’atteinte portée au souvenir du défunt et le chagrin de ses proches. Mais, envisageant ensuite la décision de fond, prise plus de neuf mois après le décès, la Cour considère que, tenant compte de ce délai et du fait que, même interdit, l’ouvrage avait eu une large diffusion (40.000 exemplaires vendus le jour de la sortie, avant l’ordonnance de référé, plus une diffusion illicite sur internet), la mesure n’apparaît plus proportionnée aux objectifs poursuivis. Il est vrai que la Cour énonce « Il ne s’agit certes pas pour la Cour de considérer que les exigences du débat historique peuvent délier un médecin du secret médical, qui, en droit français, est général et absolu… Mais, à partir du moment où celui-ci a été enfreint, …, le passage du temps doit nécessairement être pris en compte pour apprécier la compatibilité avec la liberté d’expression… A ce moment là, les informations qu’il (le livre) contient avaient donc, de fait, perdu l’essentiel de leur confidentialité ». Dans un autre arrêt important (Z./Finlande, 25 février 1997), la Cour européenne avait déjà admis de façon très explicite le caractère relatif du secret médical. Elle avait considéré que « la protection de la confidentialité des données médicales, qui est dans l'intérêt du patient comme de la collectivité dans son ensemble, peut parfois s'effacer devant la nécessité d'enquêter sur des infractions pénales, d'en poursuivre les auteurs et de protéger la publicité des procédures judiciaires, lorsqu'il est prouvé que ces derniers intérêts revêtent une importance encore plus grande », admettant qu’un médecin soit contraint de témoigner sur l’état de santé de son patient, pour permettre d’établir que l’auteur d’un viol était conscient de sa séropositivité, ce qui permettait de qualifier les faits qui lui étaient reprochés de tentative de meurtre. La Cour n’avait cependant admis cette exception que dans la mesure où elle était entourée de garanties sérieuses (notamment le fait que le contenu des informations ainsi recueillies devait rester secret pendant un terme suffisant pour assurer la protection de la réputation du malade, dix ans n’étant pas suffisant à cet égard).
  20. Témoignent de cet attachement des avocats à la théorie du secret absolu les motions votées lors du Congrès du 24 mars 2001 de la Conférence des barreaux francophones et germanophone (« Sans préjudice des droits propres du justiciable, l’avocat est tenu de manière absolue au secret professionnel. Il ne peut y être porté atteinte qu’en cas de circonstances exceptionnellement graves, en présence desquelles aucune autre solution ne semble envisageable, comme par exemple la mise en cause immédiate et directe de la sécurité publique ou le danger imminent de mort ou de blessures graves… ») et par le Syndicat des avocats de France (« Le secret professionnel de l’avocat comme celui du médecin ou du ministre d’un culte a un caractère absolu. Son détenteur ne peut en être relevé, même par l’auteur de la révélation… », La lettre du Syndicat des avocats de France, mars 2000, p. 21). En faveur du caractère absolu du secret, voyez encore deux décisions récentes émanant de juges de fond : Corr. Bruxelles, 20 février 1998, J.T., 1998, p. 361, Jour. Proc., 6 mars 1998, p. 11, A.J.T., 1998-1999, p. 65 ; Trav. Nivelles, 25 novembre 1998, J.T.T., 1999, p. 204. Le récent Règlement intérieur unifié (R.I.N.) des barreaux de France, comme avant lui le Règlement intérieur harmonisé (R.I.H.) et le Règlement intérieur du barreau de Paris, affirme aussi que « Le secret professionnel de l’avocat est d’ordre public. Il est général, absolu et illimité dans le temps » (article 2.1 – La loi du 31 décembre 1971, organique de la profession d’avocat portait déjà quasiment les mêmes lots). Le décret du 12 juillet 2005 relatif aux règles de déontologie des avocats est moins net. Il énonce : « Sous réserve des strictes exigences de sa propre défense devant toute juridiction et des cas de déclaration ou de révélation prévues ou autorisées par la loi, l’avocat ne commet, en toute matière, aucune divulgation contrevenant au secret professionnel » (article 4).

Voir aussi

« Erreur d’expression : opérateur / inattendu. » n’est pas un nombre.