Le streaming, analyse et commentaire de la décision du TGI Paris du 28 novembre 2013 (fr)

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Compte-rendu de la réunion du 22 janvier 2014 de la Commission conjointe Propriété intellectuelle et Marchés émergents du barreau de Paris, réalisé par Vincent Téchené, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo — édition affaires


Commission ouverte conjointe : Propriété intellectuelle et Marchés émergents
Co-responsables : Fabienne Fajgenbaum et Maître Gérald Bigle, avocats au barreau de Paris


Intervenants : Laurent Barissat, avocat à la Cour



Le jugement du TGI de Paris du 28 novembre 2013 (TGI Paris, référé, 28 novembre 2013, (n° 11/60013 N° Lexbase : A4052KQ7), statuant en la forme des référés, a été rendu plus de deux ans après les faits et constitue, à sa connaissance, la première décision prise sur le fondement de l'article L. 336-2 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L3536IEP). Le commentaire de Carine Bernault (C. Bernault, Droit d'auteur : précisions sur l'action en cessation de l'article L. 336-2 du Code de la propriété intellectuelle, Lexbase Hebdo n° 364 du 9 janvier 2014 - édition affaires N° Lexbase : N0033BUR), replace parfaitement les choses dans leur contexte en rappelant notamment qu'aucune action en contrefaçon n'était engagée ici, les demandeurs agissant sur le fondement totalement autonome de l'article L. 336-2 du Code de la propriété intellectuelle qui consacre l'apparition en droit français d'une véritable action en cessation et transpose l'article 8.3 de la Directive 2001/29/CE du 22 mai 2001 (N° Lexbase : L8089AU7). Ce qui est également particulièrement important dans la décision est le fait que les moteurs de recherche et les FAI soient traités comme des intermédiaires disposant des moyens de faire stopper ou en tout cas d'enrayer le streaming illégal.

Le streaming consiste dans la lecture d'un contenu audiovisuel sur internet sans qu'il y ait de copie sur l'ordinateur de l'internaute et en tout cas en l'absence de copie pérenne. Le streaming s'opère directement sur le web, sans peer to peer.

Le modèle économique du streaming illégal est intéressant pour comprendre le contexte des différentes décisions rendues en la matière. Ainsi, la plupart du temps, existe une plateforme d'hébergement de contenus qui n'assure pas la diffusion de ces derniers. En effet, la diffusion est le fait de "sites annuaires", "sites vitrines", ou encore "sites de référencement", lesquels disposent de liens hypertextes renvoyant vers la plateforme. Le modèle économique est basé sur la publicité, diffusée sur les sites vitrines accessibles par les internautes. Il existe quelques sites payants, mais il s'agit là d'un système marginal, dès lors que les internautes sont réticents à payer pour un service dont l'illégalité est connue du grand public. La rémunération des plateformes d'hébergement n'est pas connue, mais elle aisément concevable : la plupart du temps, ces plateformes sont en fait gérées par les mêmes personnes que les sites vitrines. Lorsqu'il s'agit de personnes différentes, leur rémunération est très probablement assurée sous forme de commissions reversées par les sites vitrines.

Avant d'aborder, à proprement parler la décision "Allostreaming" un rappel des différentes décisions de principe rendues en matière de streaming et des droits auxquels cette pratique porte atteinte est indispensable.


I - L'illégalité du streaming non-autorisé

A - La contrefaçon de droit d'auteur par communication au public

- En matière d'oeuvre cinématographique (Cass. civ. 1, 12 juillet 2012, deux arrêts, n° 11-13.666, FS-P+B+I N° Lexbase : A7505IQZ, n° 11-13.669, FS-P+B+I N° Lexbase : A7506IQ3)

Dans cette affaire, Google permettait aux internautes, via des liens, d'avoir accès gratuitement à des films dans leur intégralité, en flux continu (streaming) ou en téléchargement. La Cour de cassation va confirmer la condamnation de Google. Elle a en effet estimé que Google offrait à l'internaute la possibilité, à partir des liens vers les autres sites, de visionner le film sur son propre site, de sorte qu'elle mettait en oeuvre une fonction active qui lui permettait de s'accaparer le contenu stocké sur des sites tiers afin d'en effectuer la représentation directe sur ses pages à l'intention de ses propres clients. Ainsi, Google reproduisait l'oeuvre, sans autorisation des titulaires des droits, ce qui caractérisait la contrefaçon et allait au-delà de la simple mise en oeuvre d'une fonctionnalité technique. Le critère retenu pour condamner un site qui diffuse une vidéo est donc l'appropriation et le bénéfice qui en est tiré grâce à la publicité diffusée.

- En matière d'oeuvre musicale (Cass. crim., 25 septembre 2012, n° 11-84.224, F-P+B N° Lexbase : A3372IUG)

Dans cette affaire, un site internet proposait un accès libre et gratuit à une liste de musiques sans autorisation des ayants-droit. Le prévenu s'était défendu en prétendant qu'il ne faisait que du référencement de liens et que chaque utilisateur possédait son fichier privé dans son serveur. Il n'y avait donc pas, selon lui, de communication au public des oeuvres litigieuses. La Cour de cassation a statué en énonçant un attendu assez général qui a vocation à s'appliquer à de nombreuses situations : "tout service de communication au public en ligne d'oeuvres protégées, sans avoir obtenu les autorisations requises et toute mise à disposition d'un logiciel ayant cette finalité, entrent dans les prévisions des articles L. 335-4 (N° Lexbase : L4532DYI) et L. 335-2-1 (N° Lexbase : L2887HPM) du Code de la propriété intellectuelle".

- En matière de programmes télévisés (CJUE 7 mars 2013, aff. C-607/11 N° Lexbase : A2346I9R)

Cette affaire opposait, d'une part, des radiodiffuseurs de télévision commerciaux qui détiennent des droits d'auteur, au titre du droit national, sur leurs émissions de télévision ainsi que sur les films et les autres éléments inclus dans leurs émissions et, d'autre part, une société offrant sur internet des services de diffusion d'émissions télévisées en temps réel.

La Cour a estimé que la mise à disposition des oeuvres par le biais de la retransmission sur internet d'une radiodiffusion télévisuelle terrestre se faisait suivant un mode technique spécifique qui était différent de celui de la communication d'origine. Dès lors, cette mise à disposition des oeuvres devait être considérée comme une "communication" au sens de l'article 3, paragraphe 1, de la Directive 2001/29 (N° Lexbase : L8089AU7). Et, cette retransmission ne saurait échapper à l'autorisation des auteurs des oeuvres retransmises lorsque celles-ci sont communiquées au public.

En outre, la Cour a précisé qu'il importait peu qu'il n'y ait pas eu de public nouveau, dès lors qu'on était en présence d'un mode de communication différent.

La "communication au public" est donc une notion centrale en matière de streaming, notion qui fait d'ailleurs débat aux Etats-Unis, tel que l'illustre l'importante affaire "Aereo" en matière de streaming live (diffusion de programmes télévisés). En l'espèce, un site internet qui a réussi à capter les ondes de chaînes de télévisions rediffusait gratuitement certaines de leurs émissions. Ce système a été autorisé par les juridictions américaines qui ont estimé qu'il n'y avait pas de communication au public, considérant que chaque internaute disposait dans les serveurs d'Aereo d'un fichier privé par lequel il pouvait regarder les chaînes qu'il souhaitait. Il s'agirait donc, selon ces décisions (Etats de New York et du Massachussets), d'une communication privée et non d'une communication au public. D'autres juridictions (Californie et Washington) ont au contraire considéré qu'un système identique mis en place par un concurrent d'Aereo était illégal.

La Cour Suprême doit se réunir pour statuer sur la question, démontrant, s'il en était besoin, que la notion de communication au public est centrale pour savoir s'il y a, ou non, contrefaçon.


B - Les atteintes à d'autres droits privatifs

1° - Les droits voisins

Le streaming peut tout d'abord porter atteinte aux droits des producteurs de phonogramme (C. prop. intell., art. L. 213-1 N° Lexbase : L3318ADA).

Plus spécifiquement, le live streaming peut quant à lui porter atteinte au droit des entreprises de communication audiovisuelle (C. prop. intell., art. L. 216-1 N° Lexbase : L3320ADC). Ce droit des diffuseurs d'oeuvres audiovisuelles impose d'obtenir leur accord pour toute reproduction de ses programmes, ainsi que leur mise à la disposition du public par vente, louage ou échange, leur télédiffusion et leur communication au public dans un lieu accessible à celui-ci moyennant paiement d'un droit d'entrée. La question centrale est, ici, de savoir si le lieu accessible au public est ou non un lieu gratuit -auquel cas l'autorisation du diffuseur n'est pas nécessaire-, interrogation qui a notamment conduit à la saga jurisprudentielle sur les hôtels.

Ce droit des entreprises de communication audiovisuelle a été transposé sur internet et a notamment été invoqué par TF1 dans un contentieux l'opposant à Youtube. Le TGI de Paris a considéré que Youtube était un lieu accessible gratuit et n'avait dès lors pas l'obligation d'obtenir l'autorisation du diffuseur (TGI Paris, 3ème ch., 29 mai 2012, n° 10/11205 N° Lexbase : A3264IRC). C’est à noter que si le site Youtube est en accès gratuit, internet ne l'est pas : les internautes doivent en effet payer un abonnement. Un appel contre ce jugement ayant été interjeté, une infirmation est donc tout à fait envisageable.


2° - Le droit des organisateurs de manifestations sportives

Aux termes de l'article L. 333-1 du Code du sport (N° Lexbase : L6523HNW), les fédérations sportives, ainsi que les organisateurs de manifestations sportives, sont propriétaires du droit d'exploitation des manifestations ou compétitions sportives qu'ils organisent. Dès lors, la retransmission d'évènements sportifs en streaming sans leur autorisation pourrait être considérée comme étant illicite.


3° - Le droit des marques

Il est souvent très intéressant d'utiliser le droit des marques pour faire cesser la contrefaçon dont se rend coupable un site internet de streaming, car la preuve de la titularité du droit invoqué est plus facile à rapporter qu'en matière de droit d'auteur.

Dans une affaire "Wizzgo" (du nom de la société qui proposait gratuitement sur son site internet un service de magnétoscope numérique permettant le téléchargement de programmes de chaînes de télévision), la cour d'appel de Paris, à l'instar du tribunal en première instance, a retenu que l'appropriation de la marque W9, par la société Wizzgo, pour les seuls besoins de la promotion auprès du public du service offert caractérisait une contrefaçon par reproduction de marque. En effet, pour les juges parisiens, loin d'avoir été utilisée par référence nécessaire à la chaîne de télévision qu'elle est appelée à désigner, la marque W9 a servi de marque d'appel en vue d'obtenir l'adhésion au service du plus grand nombre d'utilisateurs (CA Paris, Pôle 5, 1ère ch., 14 décembre 2011, n° 10/04481 N° Lexbase : A2610H88, confirmant TGI Paris, 25 novembre 2008, n° 08/13347 N° Lexbase : A5092EB9).

Dans la décision précitée "TF1 c/ Youtube", TF1 prétendait que la présence de son logo sur les vidéos mises en ligne par les utilisateurs sur la plateforme constituait une contrefaçon par reproduction. Sur ce point aussi, le TGI a débouté la chaîne de télévision, retenant qu'il n'y avait aucun usage de marque du seul fait de la présence sur des vidéos mises en ligne par les utilisateurs du logo TF1, puisqu'il n'était pas démontré que la société Youtube effectuerait un usage commercial de ces logos pour l'exploitation de ses propres produits ou services. Par ailleurs, il est ajouté qu'aucune atteinte à la fonction de garantie d'origine ne peut être invoquée, puisque la société Youtube ne fait aucun usage personnel des logos pour désigner son service, et que la mise en ligne des vidéos litigieuses par les utilisateurs n'est pas susceptible de générer une quelconque confusion. Cette solution est très étonnante et semble être une mauvaise application de la référence nécessaire. Elle s'inscrirait dans une sorte de politique jurisprudentielle curieuse et condamnable qui a tendance, dans la mouvance de la Directive 2001/29 (N° Lexbase : L8089AU7), à considérer que internet étant un espace de liberté, il est nécessaire de promouvoir ce nouveau mode de communication et de lui offrir toutes les chances de développement, la sanction ne devant alors être appliquée qu'en cas d'atteinte grave à un droit de propriété intellectuelle.

Le TGI de Paris est de même entré en voie de condamnation contre Youtube pour contrefaçon de marque par imitation, le 10 juin 2009 (TGI Paris, 3ème ch., 10 juin 2009, n° 07/14171 N° Lexbase : A0461EKB). Dans cette affaire, les vidéogrammes postés par les utilisateurs et consacrés au personnage "Petit ours brun" étaient présentés sur le site avec un titre et un court résumé de leur contenu, lesquels comportaient, seule ou associée avec d'autres termes, la dénomination "petit ours brun" en lettres minuscules d'imprimerie. Le TGI a donc retenu que les signes en cause présentaient, tant sur le plan visuel, phonétique que conceptuel, une incontestable similarité, les signes incriminés reproduisant intégralement l'élément verbal de la marque opposée. Il résultait donc de cette similitude entre, d'une part, les produits et services concernés et, d'autre part, les signes en présence, un risque de confusion pour le consommateur d'attention moyenne, amené à attribuer aux produits et services proposés une origine commune.


II - La protection contre le streaming illégal

A - La protection contre les éditeurs, hébergeurs techniques et intermédiaires financiers

La distinction introduite par la "LCEN" entre hébergeurs et éditeurs est aujourd'hui largement connue. Ce qui pose un réel problème aux titulaires de droits pour assurer leur protection contre le streaming est assurément l'environnement international d'internet, en général, et de ces sites illicites, en particulier. Les hébergeurs sont, en effet, presque tous domiciliés à l'étranger ; à cela s'ajoute le fait qu'il est quasiment impossible de connaître la véritable identité des administrateurs des sites éditeurs, qui se réfugient derrière des sociétés d'anonymisation souvent domiciliées aux Etats-Unis. En outre, bien souvent, entre hébergeurs et éditeurs, existent des opérateurs de cache qui rendent le système toujours plus obscur.

En ce qui concerne les intermédiaires financiers, tels que Paypal, ils ne sont pas visés par la "LCEN". Ils font néanmoins souvent preuve de coopération et acceptent de couper les comptes des streamer lorsque leur est rapportée la preuve d'une activité illicite. Pour les régies publicitaires, intermédiaires entre l'annonceur et le site destreaming, il peut apparaître nécessaire de leur adresser une notification pour obtenir le blocage du compte et obtenir les coordonnées. Pour dévoiler les coordonnées, elles sollicitent toutefois souvent une requête judiciaire.

L'ensemble de ces moyens de lutte plutôt faible suppose donc la coopération des divers acteurs, ce qui s'avère particulièrement insatisfaisant. Fort de ce constat, on en vient logiquement à la décision "Allostreaming" !

B - Le blocage des sites contrefaisants par les FAI et le déréférencement par les moteurs de recherche : contenu et enjeux

- La stratégie des titulaires de droits

Certains que les hébergeurs et les éditeurs des sites de streaming ne répondraient jamais à leurs requêtes, les titulaires de droits ont demandé, d'une part, aux FAI français représentant 90 % du marché national de couper l'accès aux sites litigieux et, d'autre part, aux principaux moteurs de recherche, représentant également la quasi-totalité du marché, de ne plus les référencer.

- La nature de l'action

L'action engagée par les titulaires de droits était fondée sur l'article L. 336-2 du Code de la propriété intellectuelle, ce qui est une première en France. Toutefois, dans d'autres Etats européens de nombreuses actions en cessation de ce type ont déjà été intentées. Le 26 octobre 2011, à la demande des studios américains, la Cour de justice de Londres a ainsi ordonné le blocage par les FAI du site internet "Usebean". De même, le 13 novembre 2013, la British Phonographic Industry a obtenu de cette même juridiction le blocage de plusieurs sites. Egalement, le 16 juillet 2013, la Premier League a obtenu le blocage du site "First Row Sports". Des cas similaires existent en Italie et en Autriche, notamment. Ainsi, le 7 janvier 2013, à la demande de la société Reti Televisive Italiane S.p.A. (RTI) détentrice de droits de retransmission sportive, le Tribunal de Milan a ordonné le blocage de dix-neuf sites internet qui transmettaient en streaming, en temps réel ou différé, des matches de foot ball du Championnat d'Italie, de la Ligue des Champions et d'Europa League.

L'action était donc fondée sur l'article L. 336-2 du Code de la propriété intellectuelle qui prévoit que, en présence d'une atteinte à un droit d'auteur ou à un droit voisin occasionnée par le contenu d'un service de communication au public en ligne, le tribunal de grande instance, statuant le cas échéant en la forme des référés, peut ordonner à la demande des titulaires de droits sur les oeuvres et objets protégés, de leurs ayants droit, des sociétés de perception et de répartition des droits ou des organismes de défense professionnelle, toutes mesures propres à prévenir ou à faire cesser une telle atteinte à un droit d'auteur ou un droit voisin, à l'encontre de toute personne susceptible de contribuer à y remédier. - Les atteintes aux droits par des sites "entièrement dédiés" à la contrefaçon

Le TGI a constaté que les FAI ont permis des actes de représentation des oeuvres litigieuses en fournissant la mise à disposition des contenus contrefaisants. Le tribunal estime alors que les FAI ont les moyens techniques de remédier à ces atteintes. Il convient de remarquer que le tribunal a seulement relevé que les sites litigieux étaient entièrement dédiés à la contrefaçon. Les demandeurs (des associations de titulaires de droit, en l'espèce) n'ont donc pas eu à prouver que leurs adhérents étaient titulaires des droits sur chaque oeuvre.

- Le respect du principe de proportionnalité et l'efficacité des mesures sollicitées

Les FAI invoquaient le principe de proportionnalité, faisant en effet valoir que ce principe ne serait pas respecté dès lors :

- que la totalité des fournisseurs d'accès à internet ne serait pas attrait à la cause ;

- qu'étaient absents les opérateurs des sites litigieux, alors que leur identité pouvait être retrouvée et que l'efficacité des actions à leur encontre, en ce qu'elles touchaient la source des contrefaçons, primait toute autre démarche ;

- qu'étaient absents les hébergeurs de ces sites, alors que les demandeurs auraient pu les retrouver, de sorte que leurs demandes seraient prématurées. Le TGI a jugé que l'exigence de proportionnalité entre le but recherché et les intérêts protégés à défendre était respectée, dès lors que la recherche des mesures les plus simples, économiques et efficientes doit être privilégiée pour y répondre. Selon le Tribunal, il apparaissait que la simultanéité des actions dirigées à l'encontre des fournisseurs d'accès et des principaux moteurs de recherche accessibles et utilisés en France, garantissait dans toute la mesure du possible l'efficacité des mesures sollicitées et que les autres actions théoriquement envisageables ne pouvaient être considérées comme un préalable nécessaire.

- Les faibles risques de contournement des mesures par les internautes

Le TGI a pris en compte le risque de contournement. Il compte en fait sur la bonne foi des internautes, en notant que, dans leur grande majorité, ils auront la volonté de participer à lutter contre la piraterie mondialisée, ce qui peut tout de même apparaître comme un voeux pieu -voire de l'angélisme !-, mais aussi sur leur manque de temps et de compétences pour contourner les mesures mises en place pour bloquer l'accès aux sites illicites.

Les juges estiment en outre que les internautes utilisant aujourd'hui les opportunités offertes par ces opérateurs ne peuvent ignorer que cette fraude risque d'être mortifère en privant les auteurs de toute contrepartie à leur création et les industries de l'audiovisuel de tout bénéfice, indispensable à la poursuite de leur activité.

Ce passage du jugement, même s'il n'est pas juridique, est très intéressant car il est marqué d'espérance et d'une certaine morale.

- L'absence de risque des effets collatéraux

Les FAI évoquaient encore les effets collatéraux possibles des mesures sollicitées, dès lors que, à côté des contenus contrefaisants, certaines des oeuvres impactées pourraient ne pas être des contrefaçons. Le TGI a également repoussé cet argumentaire. En effet, pour les juges, le faible nombre de ces liens vers des oeuvres dont les droits ne sont pas discutés permettait d'admettre que les mesures ordonnées n'entraîneraient pas de dommage disproportionné. Ces mesures apparaissaient au contraire comme les plus appropriées, les plus efficaces et les moins susceptibles d'entraîner des effets collatéraux non désirés et préjudiciables à d'autres intérêts et constituaient un moyen indirect mais aux effets certains, dès lors qu'elles étaient prises simultanément par l'ensemble des fournisseurs d'accès présents en France.

- Les demandes relatives à l'évolution des sites et de leur environnement

Sur le fait que les opérateurs visés ont la possibilité de prendre toute disposition d'évitement soit en modifiant le cheminement d'accès à leur site, soit en abandonnant les noms de domaine précisément visés dans la présente décision, soit encore en créant des sites dits miroirs, le juge n'apporte pas de réponse précise. Les demandeurs avaient proposé une solution consistant en l'utilisation d'un logiciel permettant l'identification des sites miroirs. Plus précisément, ils sollicitaient que soit prise une décision les autorisant à faire évoluer ses données principales par l'intermédiaire d'un outil qu'ils décrivent comme permettant l'actualisation des injonctions du tribunal pour tenir compte de ce risque.

Le juge a refusé cette solution, estimant qu'en l'état de la législation applicable, il ne disposait d'aucun moyen lui permettant de contrôler l'exécution de sa décision. Ainsi, en cas d'"évolution" des sites de streaming déclarés illicites, les demandeurs pourront en référer au tribunal afin que l'actualisation des mesures soit ordonnée. Il appartient en effet à toute partie, les mesures ayant un caractère provisoire, d'en référer à la présente juridiction en cas de difficulté ou d'évolution du litige.

Ainsi, si un nouveau nom de domaine est créé proposant les mêmes contenus, les demandeurs devront revenir devant le juge pour obtenir le blocage de ces "nouveaux" sites contrefaisants. C'est toute la faiblesse voire l'impuissance du droit et des décisions de justice face au monde numérique et à l'évolution de la technique qui a toujours un train d'avance sur la réglementation. Pour autant, il est indispensable de multiplier les actions pour que les titulaires de droits fassent valoir leurs intérêts, sanctionner les contrefacteurs et tenter de limiter le pillage des oeuvres fait au nom de la liberté d'expression. Même en retard, cette décision est une grande avancée. C'est notamment ce qui ressort du passage du jugement (page 39) qui énonce que "en définitive, le GIE Orange, les sociétés Yahoo! Inc. et Yahoo France Holding, les sociétés Google Inc. et Google France, ainsi que les sociétés Microsoft corp. et Microsoft France, qui sont des intermédiaires techniques ou commerciaux entre le site contrefaisant et l'utilisateur, sont susceptibles de contribuer à la cessation, à tout le moins à la limitation des activités illicites litigieuses". Toute action en contrefaçon a comme but premier de faire cesser la contrefaçon. Cette action en cessation représente donc pour les titulaires de droits et leurs conseils un socle très important, une arme efficace.

- Les mesures ordonnées aux FAI et aux moteurs de recherche

Le tribunal ordonne aux FAI de mettre en oeuvre et/ou faire mettre en oeuvre toutes mesures propres à empêcher l'accès, à partir du territoire français et/ou par leurs abonnés à raison d'un contrat souscrit sur ce territoire, par tout moyen efficace et notamment par le blocage des noms de domaines.

A l'évidence, sur ce point, la décision est particulièrement floue, laissant une large part de manoeuvre aux FAI. Actuellement, devant la CJUE, une question préjudicielle en provenance des juridictions autrichiennes est pendante, afin de savoir quelles sont les mesures techniques qui peuvent être mises en place lorsque le blocage d'un site est demandé. Dans ses conclusions, l'Avocat général a estimé que les mesures ordonnées devaient être très précises. Assurément, tel n'est pas le cas dans le jugement du 28 novembre 2013.

Concernant les moteurs de recherche, le tribunal leur a ordonné de déréférencer les sites de streaming. Google avait anticipé la décision en mettant en place un nouvel algorithme permettant le déréférencement d'un nombre important de sites. Youtube a également mis en place dernièrement un système permettant de surveiller les sites illégaux.

- La prise en charge du coût des mesures ordonnées

Le TGI a estimé que le coût devait être pris en charge par les demandeurs : les demandeurs ne justifient d'aucune disposition légale particulière au profit des ayants-droit de droits d'auteur ou de droits voisins ou des organismes de défense, intervenant pour la défense des intérêts moraux des professionnels qu'ils représentent, relative à la prise en charge financière des mesures sollicitées. Dès lors, pour le tribunal, le coût des mesures ordonnées ne peut être mis à la charge des défendeurs qui ont l'obligation de les mettre en oeuvre.

Cette question des coûts est également soulevée devant la CJUE dans le cadre du même renvoi préjudiciel. Les frais de blocage ne devraient pas très élevés.

Cette décision et les débats qu'elle suscite posent une nouvelle fois la question de l'intérêt pour les titulaires de droits de proposer une offre légale intéressante pour l'internaute, afin d'enrayer le phénomène du piratage et donc la multiplication des sites de streaming et de téléchargement illégal. En France, où existe une véritable culture de la défense des droits de propriété intellectuelle, les titulaires de droits ne s'attendaient pas à ce que certains magistrats fassent une application littérale de la Directive et de ses considérants, prenant en ligne de compte qu'il s'agit d'un marché en plein développement que le droit ne doit pas tuer. S'agissant finalement d'un droit économique, il faut probablement que les titulaires de droits revoient leur modèle.

Voir aussi

  • Trouver la notion streaming dans l'internet juridique français

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