Les experts judiciaires : l'évaluation du fonds de commerce (fr)

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Compte-rendu de la réunion du 30 mai 2012 de la Commission Immobilier du barreau de Paris, réalisé par Anne-Lise Lonnée-Clément, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo — édition privée

Commission ouverte : Immobilier
Co-responsables : Jehan-Denis Barbier et Jean-Marie Moyse, avocats au barreau de Paris

Sous-commission : Baux commerciaux
Co-responsables : Jehan-Denis Barbier et Gilles Hittinger-Roux, avocats au barreau de Paris

Intervenants : Marc-Olivier Petit, expert immobilier, Antonio Vaz da Cruz, expert immobilier près la cour d'appel de Paris, Thierry Bergeras, expert immobilier près la cour d'appel de Paris, agréé par la Cour de cassation, Françoise Maigné-Gaborit, expert immobilier près la cour d'appel de Paris Michel Marx, expert immobilier près la cour



I - L'évaluation du fonds de commerce à travers la notion de préjudice (approches différentes selon le contexte : éviction commerciale ou expropriation)

Qu'il s'agisse d'une indemnité d'expropriation ou d'une indemnité commerciale, le commerçant se trouve dépossédé de son outil de travail, mais, selon la procédure, le traitement est différencié et l'on peut aboutir à des différences notables dans l'indemnisation.

Cette différence de traitement tient, notamment, au fait que les pouvoirs du juge ainsi que les méthodes d'appréciation du préjudice ne sont pas les mêmes dans ces deux types de procédure. Autant, en matière d'indemnité d'éviction, le juge a su évoluer dans son appréciation, autant en matière d'expropriation, un certain nombre d'adaptations serait nécessaire.


1. L'indemnité du commerçant évincé

L'article L. 145-14 du Code de commerce prévoit que "le bailleur peut refuser le renouvellement du bail. Toutefois, le bailleur doit, sauf exceptions prévues aux articles L. 145-17 et suivants, payer au locataire évincé une indemnité dite d'éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement".

Dans ce cas, le juge fait généralement appel à un expert judiciaire, qui est le conseiller naturel du juge.

Les missions qui sont confiées aux experts ont pour objet de déterminer le montant de l'indemnité d'éviction (en cas de perte ou de transfert du fonds), mais aussi d'estimer l'indemnité d'occupation. Dès lors que l'expert est saisi d'une telle mission, la première question qu'il doit se poser est de savoir s'il s'agit d'une indemnité de perte de fonds ou de transfert de fonds. La réponse à cette question passe par l'analyse de la clientèle ; il s'agit de savoir si la clientèle est attachée à l'emplacement (indemnité de perte de fonds) ou à l'exploitant du fonds de commerce (indemnité de transfert).

Dans le cas d'une indemnité de perte de fonds, comme c'est le plus souvent le cas, l'article L. 145-14, alinéa 2, dispose que "cette indemnité comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession". Les usages de la profession consistent en l'application d'un pourcentage ou d'un multiple du chiffre d'affaires. Historiquement, ces usages s'appliquaient aux petits commerces traditionnels de quartier. Mais ces usages, qui ont été repris dans les divers barèmes, ne sont pas définis. Le problème est qu'ils sont discordants et ne tiennent pas toujours compte de l'évolution du monde de la distribution, et notamment du développement des enseignes ou de l'arrivée sur le marché de nouveaux opérateurs ; ces deux phénomènes, conjugués au mécanisme de plafonnement des loyers, ont entraîné une pression sur les valeurs locatives et une multiplication des procédures en indemnité d'éviction.

Comment les experts ont-ils tenu compte de cette évolution dans l'application de ces usages, à savoir l'application d'un pourcentage et d'un multiple du chiffre d'affaires ? En effet, on ne peut évaluer de la même façon un fonds indépendant et un fonds sous franchise ou affilié, ou encore une enseigne. Comment alors appliquer un pourcentage ou un multiple du chiffre d'affaires dans ces différents cas ?

Il convient alors de recouper la méthode traditionnelle, par pourcentage ou multiple du chiffre d'affaires, avec la méthode financière. Cette méthode financière repose sur le principe selon lequel un fonds vaut d'autant plus cher qu'il génère de l'argent (repose alors sur une étude comptable du fonds, et en particulier sur une analyse du compte de résultat, avec la prise en compte notamment de la capacité d'autofinancement).

Dans le cas d'une indemnité de transfert de fonds, il s'agit d'estimer la valeur du droit au bail, sachant, toutefois, qu'un fonds ne saurait valoir uniquement la valeur du droit au bail. Le droit au bail est le capital correspondant à l'intérêt d'être situé à un emplacement donné, sur une surface donnée, dans une activité donnée, et moyennant un loyer donné. Schématiquement, le principe est que, plus l'emplacement est "bon", plus la destination contractuelle est large, et plus le loyer est modéré, plus la valeur du droit au bail est élevée.

Le droit au bail correspond au différentiel entre la valeur locative du loyer et le loyer plafonné/déplafonné, auquel on applique un coefficient qui varie entre 4 et 8, voire 9 (pour les très bons emplacements).

Une fois déterminée la valeur du fonds (indemnité de perte de fonds) ou la valeur du droit au bail (indemnité de transfert de fonds), il convient de définir la date à laquelle on doit se placer pour évaluer le préjudice. L'indemnité d'éviction doit être évaluée à la date la plus proche possible du départ du locataire, c'est-à-dire au moment où la juridiction saisie est amenée à statuer si le preneur occupe encore les lieux. Ceci a pour corollaire qu'il faut prendre en compte les exercices postérieurs à l'échéance du bail, et non réévaluer un chiffre d'affaires ancien.

Il convient ensuite d'ajouter les indemnités accessoires, sachant qu'elles ne sont pas limitatives. Les plus fréquentes sont : frais de remploi, frais d'agence immobilière, trouble commercial, pertes sur stocks, remboursement des agencements non amortis, aménagement du local d'accueil, indemnités de licenciement.


2. L'indemnité d'expropriation

Il appartient au juge de l'expropriation de déterminer la consistance du fonds à exproprier au moyen d'une visite sur place, et en fonction des éléments d'appréciation et des références qui lui seront transmises par les parties et par le commissaire du Gouvernement.

Ce n'est que relativement récemment, à la suite du décret n° 2005-467 du 13 mai 2005, que l'expert a fait son entrée auprès du juge de l'expropriation, "en vue de la détermination de la valeur d'immeubles et d'éléments immobiliers non transférables présentant des difficultés particulières d'évaluation" (C. expr., art. R. 13-28).

Il est à noter que l'évaluation du fonds de commerce n'entre pas dans ce champ d'intervention. Ce n'est que devant la cour d'appel que l'expert recouvre, en application de l'article R. 13-52 , un domaine d'intervention non précisément limité.

Par ailleurs, l'encadrement du pouvoir d'appréciation du juge de l'expropriation constitue également une différence notable avec le régime de l'indemnité d'éviction. Si l'article L. 13-13 du Code de l'expropriation prévoit que les indemnités allouées doivent couvrir l'intégralité du préjudice matériel et certain causé par l'expropriation, et l'article L. 13-15, que les biens sont estimés à la date de la décision de première instance, force est de constater que les pouvoirs du juge sont très encadrés. Tel est notamment le cas de la date à laquelle il doit se placer pour déterminer la consistance du bien à prendre en compte pour le calcul de l'indemnité. Cette date est celle de l'ordonnance d'expropriation. Or, cette date peut être très largement antérieure à celle à laquelle le juge statuera sur la fixation de l'indemnité. Les améliorations de toute nature apportées au fonds de commerce postérieurement à l'ouverture de l'enquête d'utilité publique sont présumées spéculatives. Or, un long délai peut s'écouler entre la date de déclaration d'utilité publique et celle à laquelle statue le juge. La rentabilité peut avoir connu un accroissement significatif pour lequel il risque de ne pas être indemnisé.

S'impose, également, au juge la règle de la mutation récente, posée par l'article L. 13-17 du code , aux termes duquel "le montant de l'indemnité principale ne peut excéder l'estimation faite par le service des domaines ou celle résultant de l'avis émis par la commission des opérations immobilières, si une mutation à titre gratuit ou onéreux, antérieure de moins de cinq ans à la date de la décision portant transfert de propriété, a donné lieu à une évaluation administrative, rendue définitive en vertu des lois fiscales, ou à une déclaration d'un montant inférieur à ladite estimation". S'agissant des méthodes utilisées par le juge de l'expropriation, les fonds sont généralement estimés sur la base d'un pourcentage ou multiple du chiffre d'affaires, sans qu'il soit procédé à l'étude de la rentabilité du fonds. Il en est de même pour la valorisation du droit au bail.

Une autre différence existe entre les deux régimes, concernant le droit au maintien dans les lieux. En matière d'éviction, le locataire commerçant dispose d'un droit au maintien dans les lieux (dans ce cas, il doit payer une indemnité d'occupation) alors qu'en matière d'expropriation, ce droit n'existe pas ; si le locataire reste en place, il doit continuer à payer le loyer contractuel.

Par ailleurs, à l'issue de la procédure, le bailleur peut exercer, en matière d'indemnité d'éviction, un droit de repentir, ce qui n'est pas le cas en matière d'expropriation.

Enfin, dans le cadre de l'éviction commerciale, si l'indemnité n'est pas versée, le commerçant dispose de toutes les voies d'exécution courantes pour obtenir le paiement de sa créance, ce qui n'est pas le cas en matière d'expropriation.


II - L'évaluation du fonds de commerce : l'évaluation par l'analyse financière, en particulier par la rentabilité ou l'EBE

Si pour certains, l'évaluation est une technique, et pour d'autres, une science, ou un art, il ne s'agit pas, en tout état de cause, d'un art abstrait.

Force est de constater, que les méthodes de rentabilité devancent aujourd'hui les méthodes plus traditionnelles, du moins pour l'évaluation de certains fonds.

L'expert doit apprécier la "valeur vénale" du fonds de commerce. L'article L. 145-14 du Code de commerce dit que l'indemnité d'éviction doit correspondre à la valeur marchande du fonds de commerce. Dans l'absolu, il n'existe qu'une méthode qui consisterait à mettre le fonds de commerce sur le marché et à voir le prix permettant la vente, résultant de la loi de l'offre et de la demande. Mais l'expert doit prévoir une valeur vénale et comme toute prévision une marge d'incertitude existe. Toute évaluation est par principe estimation, ce qui signifie qu'une marge d'erreur doit être acceptée. Cette marge doit être réduite au maximum en standardisant les approches. La meilleure évaluation est celle qui utilise plusieurs chemins pour parvenir au résultat.

Il existe deux grandes familles de méthodes (méthodes comparatives, méthodes de flux), lesquelles comprennent des sous-familles de méthodes. Les méthodes comparatives consistent à évaluer la valeur d'un fonds de commerce, d'après la valeur des autres fonds situés à côté. La valeur du fonds de commerce peut aussi se déduire de la valeur d'entreprise. Les méthodes des flux reposent sur le principe selon lequel la valeur du fonds dépend de la rentabilité attendue de son exploitation. La méthode patrimoniale constitue une famille autonome, même si elle emprunte les traits caractéristiques des deux types de méthodes. Elle consiste à évaluer chacun des éléments du fonds de commerce, puis d'en faire l'addition. Cette dernière approche est davantage réservée aux grandes entreprises.


1. Les méthodes comparatives

La méthode comparative comprend elle-même différentes sous-méthodes.

Tout d'abord, la méthode analogique consiste à rechercher des transactions comparables, à dégager un ou des multiples fondés sur un agrégat de référence (CA, EBE, superficie) puis à appliquer ces multiples aux agrégats constatés au sein du fonds de commerce sous étude.

Ensuite, la méthode comparable à partir du goodwill, consiste à utiliser une base de données de sociétés cotées comparables, à calculer le goodwill, à dégager des multiples fondés sur un agrégat de référence (CA, EBE) puis à appliquer ces multiples aux agrégats constatés pour en déduire une valeur vénale du fonds de commerce sous étude.

La méthode du chiffre d'affaires consiste à appliquer un pourcentage ou un multiple sur le chiffre d'affaires, ce qui rejoint d'ailleurs la méthode de la rentabilité. Si elle appartient à la méthode comparative, puisqu'elle consiste à chercher des cessions de fonds comparables pour savoir si le coefficient est toujours d'actualité, cette méthode intègre une notion de rentabilité implicite.

- Exemple 1

Une transaction d'un fonds de commerce situé dans la même artère que le fonds de commerce à évaluer fait apparaître le ratio suivant : Fonds de Commerce/CA= 80 %. Cette référence va servir à l'évaluer le fonds de commerce sous étude dont le chiffre d'affaires est de 2 millions d'euros. On applique alors le même multiple du chiffre d'affaires, ce qui amène à évaluer le fonds de commerce à 1,6 million d'euros.

- Exemple 2

La société AAA intervient dans le domaine du prêt à porter. A partir d'une base de données, on a sélectionné des sociétés intervenant dans le domaine de l'habillement et qui présentent des ratios RE/CA comparables.

Nom Date clôture VE/CA n VE/CA n+1 VE/CA n+2 VE/EBE n VE/EBE n+1 VE/EBE n+2
A 10/31/2009 1,08 1,07 1,04 7,80 5,97 5,53
B 12/31/2009 3,98 3,36 2,73 23,01 14,18 10,45
C 12/31/2009 1,21 1,17 1,07 12,03 6,49 6,91
D 12/31/2009 0,21 0,24 0,24 1,86 - -
E 12/31/2009 1,33 0,86 0,86 8,85 6,81 6,41
F 09/30/2009 0,98 - - NEG - -
G 09/30/2009 1,40 - - NEG - -
H 12/31/2009 3,05 2,95 3,05 8,06 8,14 7,99
I 09/30/2009 1,09 1,07 0,98 7,09 5,92 4,92
J 03/31/2009 1,24 - - 4,16 - -
K 12/31/2009 3,16 2,97 2,65 9,30 8,98 7,78
Mean 1,70 1,71 1,58 0,79 8,07 7,14
Median 1,24 1,12 1,06 7,80 6,81 6,91
High 3,98 3,36 3,05 23,01 14,18 10,45
Low 0,21 0,24 0,24 1,86 5,92 4,92


On constate que les valeurs sont très disparates. Aussi, il convient de retenir un échantillon le plus large possible, ce qui permet de gommer ces différences et de limiter les effets des extrêmes. Les multiples applicables pour estimer la valeur d'entreprise de la société AAA sont :

VE/EBE
Moyenne 8,07
EBE de la société AAA 2 466 K
soit Valeur d'entreprise 19 901 K (2 466 x 8,07 = 19 901)


La valeur de l'entreprise est ainsi obtenue en utilisant la valeur des autres entreprises. Or, on sait que la valeur d'entreprise (VE) est égale à la somme de : ANCC (actif net comptable corrigé) + FDC (fonds de commerce, goodwill) + Dettes. Il se déduit de cette équation que : FDC = VE - ANCC - Dettes Donc dans l'exemple étudié : FDC = 19 901 - 2 000 = 17 901 K La valeur obtenue peut éventuellement être corrigée par une décote de taille, d'illiquidité, etc.. L'avantage de cette méthode réside dans sa simplicité, et surtout, qu'elle repose sur des données incontestables.


2. La méthode des flux

L'EBE est un flux majeur, il correspond au flux de trésorerie généré par l'exploitation. Il se calcule ainsi : EBE = Résultat d'exploitation + Dotations aux amortissements et provisions - Reprises. Le cash-flow correspond à l'EBE auquel sont soustraits les investissements, les impôts et les variations de BFR.

La technique consiste à déterminer un EBE normatif à actualiser à la date d'aujourd'hui des flux de trésorerie nets disponibles pour l'entreprise. Dans les grandes entreprises, la clientèle est évaluée sur la base de la méthode du surprofit (goodwill).

La formule d'actualisation d'un flux identique perçu pendant n années actualisé au taux i est la suivante : k = (1 - (1 + i) - n)/ i

Ainsi, si la durée est fixée à 10 ans et le taux d'actualisation estimé à 11 %, le multiple d'actualisation atteint 5,89.

Si la durée est fixée à 15 ans et le taux d'actualisation calculé à 11 %, le multiple d'actualisation atteint 7,19.

La valeur de l'entreprise correspond à la valeur du flux normatif multipliée par le coefficient de capitalisation k.


3. Méthode patrimoniale

Cette méthode, plutôt réservée aux grandes entreprises, consiste à découper le fonds de commerce pour l'évaluer. L'évaluation se fait à partir de chacune de ses composantes, qu'il convient ensuite d'additionner.

En tout état de cause, lorsque les différentes méthodes (patrimoniales, comparatives et rentabilité) sont utilisées pour évaluer un fonds, il convient d'analyser les écarts d'évaluation pouvant en résulter.


4. Mise en œuvre de la méthode par l'EBE

On peut imaginer que, dans un futur proche, la pratique judiciaire sera amenée à développer la valorisation du fonds de commerce à partir de capitalisations boursières (en effectuant un rebours pour obtenir une valeur isolée du fonds de commerce), ou encore à pratiquer la méthode d'actualisation descashflow.

Cela étant, dans la réalité d'aujourd'hui, il faut savoir que la procédure d'évaluation du fonds trouve application essentiellement dans le cadre de la procédure d'éviction. Les outils réglementaires sont peu nombreux. Comme évoqué précédemment, c'est l'article L. 145-14 du Code de commerce qui impose, pour fixer la valeur d'un fonds de commerce, de faire référence à la valeur marchande et aux usages de la profession. Autrement dit, il convient de raisonner dans une logique de marché.

Au fil du temps, la pratique expertale et la jurisprudence sont venues enrichir la stricte application du texte concernant la référence au marché.

Le premier exemple est celui de la valorisation a minima du fonds de commerce par référence au droit au bail. Le droit au bail est la capitalisation d'une économie de loyer entre un prix de marché et ce que serait le loyer de renouvellement si on n'était pas dans le cadre d'une éviction. On applique à cela un multiplicateur, qui est une création prétorienne, avec une fourchette de 2 à 5. L'éviction d'un fonds de commerce déficitaire s'éloigne ainsi d'une logique de marché, puisque l'on "fabrique" ainsi une valeur de droit au bail, pour se situer dans une logique purement indemnitaire.

Autre dévoiement du principe, la référence à la méthode du chiffre d'affaires. Cette méthode repose sur des barèmes (Francis Lefebvre, barème fiscal, barème des experts comptables), qui reposent sur les mêmes sources statistiques (compilation d'un certain nombre de transactions). Mais ces barèmes présentent un certain nombre de défauts, liés à leur ancienneté, à leur absence d'homogénéité (dispersion géographique de l'échantillon), à la disparité des formats de fonds, et à la déconnexion des barèmes judiciaires d'avec le marché. Aussi la fidélité de ces marchés aux barèmes est largement douteuse.

L'autre inconvénient de ces barèmes est qu'ils font référence à des chiffres TTC. On peut s’interroger sur l'opportunité de cette référence à des chiffres TTC, et doute de cette opportunité pour plusieurs raisons.

La référence TTC est de moins en mois justifiée au regard de l'évolutivité des taux, ainsi que de la pluralité de taux pour certaines activités (restauration, pharmacie...). Un autre argument pour militer en faveur de la référence est celui de la position de la Cour de cassation adoptée depuis près de 10 ans (Cass. civ. 3, 17 décembre 2003, n° 02-12.236, FS-P+B N° Lexbase : A4900DAQ : "attendu qu'ayant relevé que si la référence aux usages de la profession exercée par le preneur faisait apparaître que le chiffre d'affaires toutes taxes comprises était retenu pour les transactions amiables car l'indemnité n'était pas exonérée de l'imposition, tel n'était pas le cas lorsque l'indemnité représentait la stricte réparation d'un préjudice, la cour d'appel en a exactement déduit, que l'indemnité d'éviction due au locataire devait être évaluée en excluant la taxe sur la valeur ajoutée du chiffre d'affaires qui a servi de base à son calcul").

La méthode par l'EBE repose sur la prééminence accordée au résultat. Le résultat pertinent à capitaliser est donc l'excédent brut d'exploitation. Si l'on veut obtenir une mesure fine de la profitabilité du fonds de commerce, il convient de retraiter cet EBE comptable.

Les principaux retraitements de l'EBE sont les suivants : la charge locative (réintégration au résultat d'un différentiel de loyer à la hausse ou à la baisse) ; la rémunération des dirigeants (sursalaires, membres du groupe familial non rémunérés...) ; le contrôle des clés analytiques (frais de siège, définition de la contribution par les enseignes, réseaux bancaires...) ; ou encore les taux de marge (réintégration de la marge de gros ou indemnisation de l'intégralité du préjudice).

Une fois déterminée la valeur de l'EBE retraité, il faut lui appliquer un multiplicateur. La fourchette statistique du multiplicateur est de 3 à 8, voire 10 ou plus. Les critères de détermination de ce multiplicateur résident dans : l'évolution du fonds sur la période de référence (croissance, stabilité, déclin et analyse de la pertinence de la courbe d'évolution) ; les perspectives de développement, qu'elles soient intrinsèques (surfaces, amplitude horaire, destination) ou extrinsèques (commercialité du site, actualité/obsolescence des produits ou services distribués, situation concurrentielle...) ; ou encore sur la pérennité du résultat (atouts particuliers et faiblesses du fonds, tels que la dépendance du fonds au dirigeant, ou encore l'environnement règlementaire). En tout état de cause, pour conclure sur les différentes méthodes d'évaluation ici abordées, il apparait souhaitable de croiser ces méthodes. En tirer une moyenne arythmétique n'est justifié que si les résultats sont suffisamment voisins. Par ailleurs, il peut être légitime d'écarter certaines méthodes et de sortir des fourchettes statistiques sous réserve de le comprendre et d'en justifier.


III - Les loyers de marché

Enfin, il faut aborder la question des loyers de marché des boutiques (loyers purs et loyers décapitalisés) et leur incidence sur la valorisation du fonds de commerce.


1. La valeur locative de marché

La valeur locative de marché n'est pas la valeur locative judiciaire définie à l'article L. 145-33 du Code de commerce parce que l'article R. 145-7 impose de retenir les prix couramment pratiqués dans le voisinage. Dans le voisinage des lieux loués, on peut relever quelques loyers issus du marché mais aussi et surtout des loyers en renouvellement d'origine amiable ou judiciaire, très différents et quasiment toujours très inférieurs à la valeur locative de marché.

La valeur locative de marché n'est pas, non plus, le loyer en renouvellement négocié amiablement parce que le plus souvent celui-ci est calqué sur le loyer judiciaire qui pourrait être fixé. La valeur locative de marché est le prix obtenu dans la plus parfaite liberté en dehors du Code de commerce.

Lorsque bailleur et locataire prennent un accord lors d'une nouvelle location, par exemple à 100 000 euros par an, le loyer est alors représentatif de la valeur locative de marché, appelé aussi loyer pur. Mais ils peuvent aussi convenir d'un loyer réduit, inférieur à la valeur locative de marché, par exemple 50 000 euros et fixer en compensation un droit d'entrée qui peut se situer à 350 000 euros.

On obtient alors l'équation : 100 000 euros = 50 000 euros + capital de 350 000 euros ou : loyer pur = loyer en vigueur + pas de porte ou loyer en capital.

La somme du loyer en vigueur et du loyer en capital représente très exactement la valeur locative de marché.


2. Le droit au bail

De même lorsqu'un locataire cède son droit au bail, il peut obtenir une somme en capital représentant l'insuffisance de loyer par rapport à la valeur locative de marché. On retrouve la même équation que précédemment. Il importe peu que le capital aille dans la poche du bailleur ou dans celle du locataire.


3. Le loyer décapitalisé

Le loyer en vigueur est un flux. Le pas de porte ou le droit au bail un véritable loyer en capital.

Un flux et un capital sont de natures différentes. Ils ne peuvent être additionnés, ce qui contraint, soit de transformer le flux en capital, soit le capital en flux, d'où l'origine du loyer décapitalisé. Un loyer décapitalisé n'est pas un loyer mais la valeur locative.

La décapitalisation doit s'effectuer en respectant strictement l'équation : loyer en vigueur + capital = loyer pur.

Certains experts prétendent que le loyer décapitalisé excèderait la valeur locative. Une telle affirmation signifie simplement que l'expert décapitalisateur ne respecte pas le principe de base et a introduit un coefficient de décapitalisation insuffisant.

Les coefficients de décapitalisation étant les mêmes que les coefficients de capitalisation pour l'obtention des valeurs de droit au bail, l'erreur dans la décapitalisation laisse supposer que l'expert décapitalisateur n'est pas non plus en mesure d'estimer la valeur du droit au bail, sauf peut-être, par l'aléatoire méthode directe qui consiste à multiplier une surface pondérée par un prix au mètre carré de droit au bail.


4. Comment déterminer le coefficient de décapitalisation ?

Les coefficients de capitalisation pour la recherche du droit au bail sont aujourd'hui bien connus et admis par la quasi-totalité des experts immobiliers.

Il ne s'agit pas de coefficients d'emplacement mais de coefficients de commercialité liés à la valeur locative de marché.

Ils peuvent se résumer ainsi :

Valeur locative rapportée au m² pondéré Coefficient de décapitalisation
plus de 7 500 euros 12
4 500 - 6 000 euros 10
1 000 - 2 500 euros 8
400 - 750 euros 6
225 - 300 euros 4

La grande difficulté dans la recherche du coefficient de décapitalisation est que, pour connaître le bon coefficient, il faut connaître le résultat.

Pour ce faire, on doit introduire un coefficient aléatoire moyen, 7 par exemple, qui conduira à une valeur locative de marché à laquelle correspond un coefficient différent de celui retenu. Il convient alors d'introduire ce nouveau coefficient qui conduira à une nouvelle valeur locative de marché.

L'opération doit être reprise plusieurs fois jusqu'à ce que l'on obtienne un coefficient identique à celui introduit.

Pour éviter ce travail fastidieux, on peut introduire l'équation du début dans un programme informatique assez simple. Ce qui permet d'obtenir instantanément le bon coefficient de décapitalisation.


5. La valeur du fonds loué au prix du marché

Les valeurs de fonds sont en principe données par les traités qui donnent les usages suivant l'activité de l'exploitant. On privilégiera le Mémento fiscal Francis Lefebvre.

La valeur du fonds est donnée par un pourcentage du chiffre d'affaires moyen des trois derniers exercices. Cependant, le niveau du loyer ou la valeur du droit au bail n'est jamais pris en compte par les traités, si ce n'est par un correctif effectué a posteriori et qui reste aléatoire.

En effet, deux fonds identiques réalisant le même chiffre d'affaires, l'un supportant un loyer de marché de 100 000 euros, l'autre bénéficiant d'un loyer réduit de 50 000 euros ne dégageant pas par définition les mêmes bénéfices, ne peuvent avoir la même valeur, l'un bénéficiant d'une valeur résiduelle de droit au bail de 350 000 euros, l'autre n'ayant pas ou presque de valeur de droit au bail. Préalablement à l'application des traités, on doit en conséquence rechercher s'il existe une valeur de droit au bail voire effectuer une première approche de la valeur du fonds par capitalisation des capacités potentielles du fonds, lesquelles sont données par l'excédent brut d'exploitation (EBE) ou EBITDA (Earnings Before Interest, Taxes, Depreciation, and Amortization). Il convient alors de retraiter I'EBE en ajoutant le loyer en vigueur conduisant à I'EBITDAR (Earnings Before Interest, Taxes, Depreciation, Amortization and Rent).

La capitalisation de I'EBITDAR suppose de déterminer un coefficient de capitalisation. Celui-ci se décompose en deux parties : la capitalisation de l'insuffisance de loyer donnant le droit au bail et la capitalisation de la différence entre l'EBITDAR et la valeur locative de marché. Le premier coefficient est celui bien connu du droit au bail, le second est le coefficient du travail, évidemment inférieur au coefficient de la rente de situation.

Connaissant cette première approche de la valeur du fonds, on peut alors en déterminer la valeur à partir des traités.

C'est la méthode utilisée par les grandes enseignes qui restent fidèles à l'appréciation du fonds à partir du chiffre d'affaires mais considèrent que le fonds, c'est le droit au bail auquel s'ajoute... le cash-flow.

Voir aussi

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