Liberté sexuelle et Droit (fr)

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.


Auteur: Jacques Delga, Professeur honoraire à L’ESSEC, Avocat honoraire
Date: 25 février 2016



Nous sommes encore mal à l’aise dans nos sociétés occidentales avec la question de la sexualité. L’auteur de ce modeste article en a fait l’expérience récemment. Dans le livre « Penser et repenser le Terrorisme (Ma éditions) » paru en décembre 2015 le Chapitre III était intitulé « Terrorisme et Sexualité ». Il a paru incongru à certains. Diverses critiques, y compris dans le journal « Le Monde », ont été formulées à l’encontre de cet intitulé ou de certains auteurs ayant participé à cette rédaction. Pourtant évoquer la politique systématique des viols dans certains pays en guerre, se poser la question de savoir si selon le genre, masculin ou féminin, l’attitude est distincte en matière de terrorisme comme on le pensait initialement, ou même évoquer le terrorisme qui existe à l’intérieur de certains couples sous le nom « d’intimate terrorism » n’est pas négligeable. Paradoxalement alors que les images érotiques ou pornographiques envahissent usuellement notre environnement, traiter même d’un sujet comme « la liberté sexuelle et le droit » thème de notre article demeure iconoclaste. L’auteur ne serait-il pas un obsédé ? Certains commentateurs n’imaginent pas qu’un tel qualificatif pourrait alors et surtout s’appliquer à eux-mêmes puisqu’ils ne voient la sexualité qu’à travers le plaisir sexuel. Les sexologues seront sans doute plus tolérants. Mais ils seront peut être surpris ou même choqués non par le thème envisagé mais par le contenu de l’article. Le droit français ou européen est devenu particulièrement libéral. Mais ce libéralisme est en dents de scie. Il n’en sera peut-être pas de même demain. Il se dessine depuis la proposition de loi du 3 février 2016 adoptée en dernière lecture par l’Assemblée nationale un revirement juridique étonnant et peut être inquiétant. Une disposition légale prévoit de pénaliser le client de la prostituée. Elle fait ainsi obstacle au libre exercice d’une activité qui n’est pas interdite. La prostitution est en effet libre. On peut donc se demander si une telle loi n’est pas contraire à la Constitution.

Le sujet sur la «  liberté sexuelle et le droit » est d’actualité. La législation ou surtout la jurisprudence française et européenne a de manière récente considérablement évolué. Certains, y compris des juristes ou des sexologues, pourraient être particulièrement étonnés. Mais en même temps les dispositions très récentes en matière prostitutionnelle accroissent les équivoques et deviennent de plus en plus restrictives Ou en est-on plus précisément dans notre pays à ce jour en matière de pratiques sexuelles et plus généralement de liberté sexuelle ? Cette liberté sexuelle est-elle en France un mythe ou une réalité ? Qu’en est-il du droit français ? (1) et du droit européen (2). Faut-il encore aujourd’hui considérer que le contrat de prostitution est nul en raison de son immoralité et ne pas aborder ce sujet comme tel est le cas dans la plupart des enseignements universitaires oùle contrat de prostitution est ignoré ? Doit-on au contraire se défaire de cette conception ? Les recherches juridiques exposées ci-dessous peuvent surprendre plus d’un lecteur


La liberté sexuelle et le droit français

-En France de nombreuses pratiques sexuelles n’ont jamais fait l’objet de sanctions pénales. Il en est ainsi de la fellation (ignorée du code pénal français à la différence de certains Etat aux USA. Elle fut toutefois considérée jusqu’en en 1950 comme une perversion en l’absence de reproduction. La masturbation quant à elle fut l’objet d’’un fort interdit moral entre 1850 et 1930. Mais elle ne fut pas sanctionnée pénalement .Le voyeurisme de même. Voir un couple faire l’amour n’est pas répréhensible (sauf fixation d’images) Les relations échangistes tant entre particuliers que dans le cadre d’un club échangistes furent libres (sous réserve jusque dans les années 1994 de ne pas être gérant du club) De plus et surtout depuis plus d’une vingtaine ou dans certains cas une trentaine d’années ou plus de nombreux comportements ou activités sexuelles ont été dépénalisés. Il en fut ainsi de la dépénalisation des pratiques homosexuelles entre un adulte et un jeune âgé homme de 15 ans à 18 ans (Loi du 4 aout 1982), de la dépénalisation de l’activité de gérant de club échangiste (anciennement jusqu’en 1994 ce gérant était considéré comme un proxénète), de la dépénalisation du transsexualisme (le transsexualisme n’a jamais été poursuivi directement en tant que tel mais jusqu’en 1990 les transsexuels étaient poursuivis pour « travestissements »), de la dépénalisation de la sodomie (qui était un crime jusqu’en 1791), de la zoophilie passive . En cas de zoophilie active la répression pénale est possible si cruauté (?) mais la loi applicable est celle relative à la protection des animaux domestiques ou en captivité. Ce n’est pas l’homme qui est directement visé mais l’animal qui est protégé sous réserve qu’il ne soit pas sauvage.

Enfin il faut signaler la suppression du délit « d’outrage public à la pudeur » qui ratissait large et sur lequel on se fondait pour pénaliser toute sorte de comportements par exemple le naturisme, le strip tease etc. Des ouvrages furent aussi l’objet de la censure sur ce fondement. Parmi les plus célèbres « Les Fleurs du Mal » de Baudelaire. Le journal « Le Figaro » défenseur de la « morale » avait obtenu que le parquet se saisisse de l’affaire. Ainsi le 27 août 1857, la 6ème chambre du Tribunal correctionnel de la Seine, (Gazette des Tribunaux du 21 août 1857.) condamnait Baudelaire à 300 fr. d’amende, et ses éditeurs MM. Poulet-Malassis et de Broise a 100 fr. chacun, pour « outrages aux bonnes mœurs par voie de livre » Le jugement demandait aussi la suppression d’un certain nombre de poèmes tels les « Bijoux », « Léthé », « À celles qui sont trop gaies », « Lesbos », « Femmes damnées » ou « Métamorphoses d’un vampire » considérés comme obscènes et qui figuraient dans le recueil. Baudelaire ne fit pas appel mais l’œuvre fut vendue sous le manteau. La vérité oblige à préciser qu’en 1949, sous l’impulsion de la Société des Gens de Lettres, (une loi du 25 septembre 1946, accordait « exclusivement » à la Société des Gens de Lettres le droit de demander la révision d’une condamnation prononcée pour outrages aux bonnes mœurs par la voie du livre) un procès devant la Cour de Cassation réhabilita Charles Baudelaire et ses éditeurs (Cour de Cassation Ch. criminelle 31 mai 1949 -Gazette du Palais 1949 II p.121-)

–Il convient de citer quelques attendus de l’arrêt

"Attendu que Charles Baudelaire, Poulet-Malassis et de Broise ont été traduits devant le Tribunal correctionnel de la Seine, comme prévenus d’avoir commis les délits d’offense à la morale publique et aux bonnes mœurs, Attendu qu’aux termes de la loi du 25 septembre 1946, la Cour de Cassation, saisie de la demande en révision, statue sur le fond, comme juridiction de jugement, investie d’un pouvoir souverain d’appréciation ; Attendu, que le délit d’outrage aux bonnes mœurs relevé à la charge de l’auteur et des éditeurs des Fleurs du Mal n’est pas caractérisé ; qu’il échet de décharger la mémoire de Charles Baudelaire, de Poulet-Malassis et de de Broise, de la condamnation prononcée contre eux ; Par ces motifs, - Casse et annule le jugement rendu le 27 août 1857 par la 6ème Chambre du Tribunal correctionnel de la Seine, en ce qu’il a condamné Baudelaire, Poulet-Malassis et de Broise pour outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs ; - Décharge leur mémoire de la condamnation prononcée ;"

Bien d’autres procès eurent lieu sur le fondement d’outrage aux bonnes mœurs jusque dans les années 1994. Toutefois ce délit d’outrage aux bonnes mœurs fut par la suite supprimé. Il n’apparait plus dans le nouveau code pénal de 1994. Il été plus ou moins remplacé par celui « d’exhibition sexuelle » dont les conditions d’application sont beaucoup plus strictes (exposition volontaire à la vue du public des parties sexuelles de manière déplacée). Ainsi sortir par inattention d’une plage les seins à l’air pour se rendre à son véhicule garé sur un parking public ne peut plus être qualifié d’outrage public à la pudeur puisque le délit n’existe plus et n’est pas considéré nécessairement comme un délit d’exhibition sexuelle.

La liberté sexuelle ne doit pas s’entendre seulement comme une absence de pénalisation ou une dépénalisation de situations, d’attitudes, de pratiques sexuelles. Il doit aussi pouvoir s’agir de légalisation ou de la validité d’activité. En l’espèce et sous quelques réserves notre droit fait preuve de nos jours (du moins jusqu’en Février 2016) d’un libéralisme certain en matière de libertinage du fait de l’affaiblissement de la volonté de contrôle par les juges de la notion de moralité ou d’immoralité.

La Cour de Cassation en 2004 a ainsi considéré qu’un legs d’un homme marié âgé de 95 ans pour maintenir des relations adultérines avec sa maitresse âgée de trente ans (soixante-quatre ans de moins) n’est non seulement pas pénalement répréhensible mais encore « parfaitement légal ». La donation est donc valable. Les magistrats ont estimé qu’elle « n’est pas contraire aux bonnes mœurs » en dépit de la contestation de la femme mariée (C Cas Assemblée plénière Arrêt Galopin du 29 Oct. 2004). « Attendu que n’est pas nulle comme ayant une cause contraire aux bonnes mœurs la libéralité consentie par un homme marié à sa maîtresse à l’occasion d’une relation adultère » La porte était donc ouverte à un grand libéralisme sexuel marchand par application du droit français au motif que selon l’art 9 du Code civil Cive « chacun a droit au respect de sa vie privée » On semblait s’orienter plus ou moins implicitement ainsi vers une reconnaissance de l’activité prostitutionnelle (ce qui ne fut pas le cas voir supra et infra). Diverses autres décisions montrent que les tribunaux ont de nos jours une interprétation toute aussi restrictive de la notion d’atteinte aux bonnes mœurs. La Cour de Cassation a considéré que tout homme déjà marié peut s’inscrire dans une agence matrimoniale « en vue de la réalisation » d’un mariage et que le contrat avec l’agence n’est pas nul comme ayant une cause contraire aux bonnes mœurs (Cas civ 1ere 4 nov. 2011) Elle fonde son argumentation sur le fait qu’un contrat de courtage matrimonial ne saurait être assimilé à un contrat de mariage. Dans le même sens selon le tribunal de grande instance de Paris en date du 16 janvier 2009 (TGI 17eme Ch. Paris 16 janvier 2009) il apparait que l’organisation de soirées échangistes payantes n’est pas répréhensible pour atteinte aux bonnes mœurs. L’organisateur de telles soirées doit être considéré comme un dirigeant comme un autre. Interpeller cet organisateur et le traiter de dirigeant échangiste ne peut justifier une action en diffamation. La raison est qu’un tel dirigeant ne peut se sentir diffamé puisque l’organisation de telles réunions n’est pas contraire à la morale. Le paiement du gérant n’est pas (plus) significatif d’une activité prostitutionnelle du moins depuis 1994 L’attendu du tribunal de grande instance de Paris est le suivant « L’organisation de telles réunions ne peut être regardée comme un comportement moralement répréhensible, contraire à la probité et aux bonnes mœurs, réprouvé par tous et dont l’imputation serait constitutive d’une atteinte à l’honneur ou à la considération. En fait lors de propos tenus à la télévision sur les extraterrestre dans le cadre de l’émission humoristique de Dechavane le président d’un mouvement associatif (d’une secte selon certains) du nom de Rael fut qualifié d’organisateur de rencontres échangistes pour ses propres membres. Il porta plainte pour diffamation mais fut débouté pour les raisons évoqués ci-dessus.

De manière analogue la Cour d’Appel de Nîmes le 6 mai 2008 considérait que l’activité des clubs échangistes était une activité comme une autre «  assimilable à celle d’une discothèque ».La chambre mixte de la cour de cassation en date du 18 Mai 2007 Bull Civ n°3 a quant à elle, dans une affaire qui portait sur la protection des libertés individuelles (art 9 cciv) mais aussi le droit du travail et de l’entreprise estimé que la réception d’un courrier « personnel » sur l’échangisme (revue Swing) sur les lieux de travail ne présentait pas ipso facto en l’espèce un trouble objectif à l'entreprise ou un caractère illicite ou contraire aux bonnes mœurs « Attendu que le fait pour le salarié de recevoir sur les lieux de son travail un courrier personnel (une revue échangiste) dont le contenu n’est pas illicite ne constitue pas un manquement à la probité aux bonnes mœurs ou à l’honneur » Le salarié n’a donc pas été sanctionné.

Deux affaires médiatiques récentes pour lesquelles une interconnexion sur le plan juridique pourrait être possible seront enfin citées. L’une concerne plus précisément la décision rendue en 2015 par la Cour de Cassation à l’encontre du député Devedjian. L’autre est relative à une procédure en cours à l’encontre du site Gleeden site spécialisé dans les rencontres adultères.

Dans le premier cas l’affaire est la suivante. Le député Patrick Devedjian (LR) marié et père de quatre enfants a porté plainte contre le magazine « Point de Vue », pour diffamation. Ce magazine avait publié une interview de l’auteur (Christophe Jakubyszyn) d’un livre sur Valérie Treiweiler (ancienne compagne de François Hollande) qui faisait état d’une liaison extra conjugale présumée avec le parlementaire. Patrick Devedjian considérait qu’une telle affirmation portait « une grave atteinte à son honneur et à sa considération » Etre présenté comme un mari infidèle nuirait à sa réputation. La Cour de Cassation dans un arrêt du 17 décembre 2015 l’a débouté de son action (comme ce fut le cas des précédentes juridictions). Cette haute juridiction a refusé d’examiner si le fait d’adultère était ou non réel estimant implicitement que là n’était pas le problème. Elle a estimé en effet dans ses attendus que : « L’évolution des mœurs comme celle des conceptions morales ne permettent plus de considérer que l’imputation d’une infidélité conjugale serait à elle seule de nature à porter atteinte à l’honneur ou à la considération ». Les juges n'ont pas à rechercher quelles peuvent être les conceptions personnelles du mis en cause. Le sentiment « subjectif » d’homme bafoué du parlementaire n’est pas prédominant au regard de cet attendu. Cet arrêt a été parfois critiqué. Il a paru trop libéral presque despotique à certains qui avaient sans doute à l’esprit l’image d’un certain conservatisme dont on affublait antérieurement les magistrats de la cour de cassation. Pourtant à notre sens des arrêts précédents déjà cites (supra) et notamment l’arrêt Galopin ou même la législation sur la PACS qui n’instaure en rien entre les conjoints une obligation de fidélité auraient pu alerter. C’est dans ce même esprit et ce contexte qu’il faut envisager la solution qui pourrait être rendu à propos de l’affaire Gleeden.

Dans ce second cas, très récent où aucune décision n’a été encore prononcée par une juridiction la situation est la suivante. Le 18 février 2015 l’Association des familles catholiques (AFC) a fait délivrer au site Gleeden une assignation devant le Tribunal de Grande Instance de Paris, reprochant à ce site de favoriser l'adultère, et de faire ainsi la promotion publique de la duplicité, du mensonge et de la violation de la loi. L’AFC a également assigné devant ce même tribunal la société américaine éditrice de Gleeden depuis cinq ans pour contester la légalité du site et de ses communications publicitaires.

Le grief soulevé par l'AFC semblerait résulter, (nous n’avons pas eu en mains l’assignation et ne pouvons-nous référer qu’à la presse) du fait que Gleeden donne la possibilité de réaliser un adultère et donc de créer un risque de rupture du lien matrimonial. L’objet de Gleeden est en effet de favoriser les rencontres extra conjugales. Il est indiqué en introduction sur le site : « Que vous recherchiez une aventure extra-conjugale près de chez vous ou un amant à des milliers de kilomètres lors de vos déplacements, Gleeden.com vous propose un espace privilégié pour entrer en contact en toute sécurité avec les infidèles du monde entier ! Envie de rencontres adultères ? A vous de jouer ! » Or il existe selon l’article 212 c civ et s une obligation de fidélité dans le mariage et il a été jugé que le seul fait de s'inscrire sur un site de rencontres quand on est marié est une faute. De plus même si les époux étaient consentants un contrat d'infidélité entre deux époux volages a été jugé illégal car contraire à l'article 212 civ. Est-ce donc à dire que l’obligation de fidélité est d’ordre public (impératif) et qu’être incité à y déroger serait impérativement contraire à la loi ou aux bonnes mœurs ? Rien n’est moins certain de nos jours. L’arrêt Devedjian en date de décembre 2015 (supra) comme l’arrêt Galopin en date de 2004 (supra) ont mis en relief l’évolution de la morale (en tant qu’appréhendée par les magistrats) et le fait que l’adultère n’est plus nécessairement considéré contraire aux bonnes mœurs. Ce n’est sans doute pas pour autant que l’obligation légale de fidélité entre gens marié et uniquement entre gens marié, (les concubins et pacsé en sont exclus) a disparu. Mais elle ne semble plus être une disposition aussi absolue qu’elle était à l’ origine. Elle n’est plus impérativement constitutive à elle seule d’une faute grave justifiant la prononcé du de divorce. Le critère essentiel, prévu à l'article 242 du Code civil, est le caractère "intolérable du maintien de la vie commune" ce qui est une notion beaucoup plus large. L’adultère semble avoir perdu son caractère intrinsèquement fautif. Il n’est plus considéré comme une violation de l’ordre social. Aucune condamnation pour adultère n’est prévue dans le code pénal depuis 1975 et en matière civile le juge aux affaires familiales, doit désormais se prononcer en ce qui concerne le divorce sur le point de savoir si les fautes commises sont « de nature à rendre impossible le maintien du lien conjugal ». En pratique l’adultère (ou l’abandon même du domicile conjugal) est de moins en moins considéré (même si c’est une faute) comme une faute grave justifiant le divorce. La référence à un trouble à l'ordre public avancé par l'AFC du fait de la violation de l’obligation légale de fidélité résultant de « l’incitation » à adultère est donc discutable sur le plan juridique.

Le second fondement qui semble être utilisé par l’AFC repose sur le fait que d’après l’article 6 du code civil « On ne peut déroger, par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l'ordre public et les bonnes mœurs » Les contrats passés avec Gleeden seraient contraires aux bonnes mœurs et donc nuls ou illicites. Cet argument est aujourd’hui en porte à faux avec l’interprétation très restrictive de la jurisprudence contemporaine relative à la notion d’atteinte aux bonnes mœurs. L’arrêt Galopin rendu par l’Assemblée plénière de la cour de cassation en date du 29 octobre 2004 (supra), ou l’arrêt Devedjian en date de décembre 2015 (supra) illustre comme déjà souligné le grand libéralisme de la Cour de Cassation. L’infidélité semble pouvoir être promu. L’adultère est devenu est quasi devenu un droit.

Il nous semble vraisemblable que les avocats de l’AFC, (association qui par ailleurs n’a subi aucun préjudice dont elle pourrait se prévaloir en justice) ne pouvaient ignorer les risques importants de rejet de leurs demandes. Mais l’affaire a sans doute surtout voulu être abordée essentiellement sur un plan idéologique et médiatique. Une réflexion plus politique s’impose à notre sens. Les magistrats de la Cour de Cassation si conservateurs à une époque, appliquant strictement une morale judéo chrétienne il y a peu encore, n’ont-ils évolué trop vite vers une forme de laïcité qui surprend par sa rapidité à l’heure où le terrorisme fait prendre conscience de l’importance de respecter les règles de la religion. Cette évolution si rapide peut paraitre révolutionnaire tant les esprits dans notre pays que nous soyons ou non croyants sont encore largement teintés de cette morale judéo chrétienne dont on ne se débarrasse pas du jour au lendemain.

Les jeunes mineurs et par ricochet leurs parents sont naturellement concernés par la liberté sexuelle. A cet égard et sauf pour quelques cas (voir infra) la majorité sexuelle n’est pas à 18 ans mais à quinze ans. De ce fait les parents ne peuvent plus légalement interdire à leur fils ou leur fille de plus de 15 ans (âge de la majorité sexuelle) d’avoir des relations sexuelles consenties dans la forme qu'ils désirent (hétérosexuelle, homosexuelle, transsexuelle, etc.) peu importe l'âge du partenaire. Ce dernier même majeur ne peut être poursuivi (sauf délit de détournement de mineur en cas d’hébergement du mineur). Tels sont les principes essentiels de la liberté qui peuvent générer de nos jours un bouleversement éducatif important. Il existe certes quelques dérogations à cette liberté sexuelle. Elles ne seront pas exposées puisque tel n’est pas le sujet mais sans prétendre à l’exhaustivité il convient de souligner que la majorité sexuelle est à 18 ans cas de relation d’autorité sur mineur même âgé de plus de quinze ans (professeur éducateur entraineur etc.), ou qu’il est interdit de se prostituer avant l’âge de 18 ans).

La liberté sexuelle et le droit européen

La France est aujourd’hui soumise au droit européen. En effet la France est signataire de la Convention européenne des Droits de l’Homme. Or Le Droit européen considère que la liberté est un droit absolu et que la liberté sexuelle n’est qu’un démembrement du droit à la liberté. Tout en substance devrait donc être en principe autorisé en matière sexuelle (sous réserve du consentement, de la majorité ou de quelques exceptions). Pour la Cour Européenne des droits de l’homme CEDH il n y a plus de bonne ou mauvaise sexualité. La Cour Européenne des droits de l’homme reconnaît ainsi le sado masochisme comme une forme de sexualité normale (CEDH Strasbourg 17 Février 2005). Des juristes se posent même de ce fait la question audacieuse de la validité du contrat "Maitre/ Esclave" ce qui pourrait anecdotique ment impliquer une demande éventuelle en dommages et intérêts pour insuffisance de coups !

La justice française se montre toutefois moins "libérale" et considère par exemple que "la violence inhérente au tournage d'un film à caractère sadomasochiste ne peut être légitimée par le consentement de l'actrice». Nos tribunaux sont souvent réticents à admettre que les violences, même librement consenties, ne puissent pas être condamnées, La Cour Européenne estime de plus que la prostitution dans la mesure où elle n’est pas contrainte est une activité économique comme une autre (prestation sexuelle) qui peut être exercée librement à titre indépendant. Le Droit européen semble abolir en fait en France notre ancienne morale sexuelle religieuse déjà mise à mal ce qu’on ignore souvent pour la remplacer par une morale laïque.

La interdits en matière de prostitution (ou d’assistance sexuelle)

Il convient d’insister in fine sur le paradoxe que constitue en France notamment la loi sur la prostitution et plus encore la loi nouvelle adoptée le 3 février 2016 en dernière lecture tendant à pénaliser le client de la personne prostituée. Il existe là une dérogation importante au principe d’abandon de la morale religieuse judéo chrétienne comme au principe de liberté sexuelle. Si en France la prostitution est libre, non sanctionnée pénalement, l’exercice d’une telle activité n’est pas juridiquement reconnue. Dès lors la personne prostituée ne peut faire reconnaître ses droits (rémunération en contrepartie par exemple de sa prestation sexuelle) devant les tribunaux. La raison est (était) que tout contrat passé pour l’exercice de son activité serait immoral, contraire aux bonnes mœurs et donc juridiquement nul. Nous avons pourtant démontré (supra) que l’évolution du droit et de la jurisprudence en matière de mœurs s’oppose actuellement à cette conception. Pourtant elle demeure encore dans les esprits et la pratique de certains magistrats ou professeurs. Ainsi par exemple le droit du sexe ou a fortiori le contrat de prostitution est en général exclu des enseignements universitaires. Cette absence ne conduit elle pas parfois nos anciens étudiants devenus magistrats qui ont à se prononcer sur la nature morale ou immorale d’une activité à un certain conservatisme ?

La situation de la prostituée risque d’être aggravée prochainement par l’application proposition de loi pénalisant le client la prostituée adoptée en dernière lecture par l’assemblée nationale le 3 février dernière. Cette proposition qui pénalise le client nous semble étonnante au regard des évolutions tant française qu’européenne sur la liberté sexuelle. Elle est dérogatoire aux dispositions qui précèdent. Elle est injuste, dangereuse, attentatoire aux libertés pour la personne prostituée. Elle est particulièrement critiquable comme nous l’avons déjà souligné dans divers ouvrages, colloques ou dans quelques émissions. Si la prostitution de rue la plus voyante risque de diminuer, la loi nouvelle contraindra en revanche comme en Suède la prostituée à la marginalisation dans des conditions d’insécurité. Le racolage via internet a encore de beaux jours. L’assistance sexuelle portée aux handicapés ou même aux prisonniers, car la privation de liberté ne doit pas exclure l’exercice du droit fondamental à la sexualité est rendue plus délicate encore du fait de cette loi nouvelle. Une des raisons est la crainte que l’activité des services hospitaliers ne soit qualifiée de proxénétisme. Pourtant il existe des parloirs amoureux (en trop petits nombres certes) dans les prisons Il semble que les passions se cristallisent actuellement sur la prostitution ou la personne prostituée, c’est à dire comme dans bien des cas sur la personne la plus faible. Des motivations idéologiques l’emportent sur la raison même. Il semble aussi qu’une volonté de reconnaissance médiatique de certains groupes soit à l’origine de la proposition de loi pénalisant le client. Mais encore une fois dans ces deux cas pourquoi ne pas vouloir logiquement prohiber la prostitution plutôt que de multiplier les hypocrisies. Il est vrai toutefois que si en Thaïlande la prostitution est interdite ce pays et notamment la ville de Pattaya ne donne pas le meilleur exemple de réussite


Conclusion

Les portes en matière sexuelle sont en droit largement ouvertes en France à l’exception de celles qui se referment et qui concernent la prostitution ou peut être aussi l’assistance sexuelle des handicapés. Une grande liberté sur le plan juridique existe depuis peu sans qu’on puisse toujours en avoir conscience, prisonniers de la morale judéo chrétienne dans laquelle nous avons été élevés. Nous sommes un peu perdus devant cette liberté qui n’est peut-être qu’épisodique mais dont nous ne connaissons pas les frontières. C’est peut-être cela aussi qui effraie. « Jouir sans entrave est moins jouissif » qu’on ne l’imagine. Sans interdit le plaisir de la transgression s’estompe. Nous faudra-t-il créer de nouveaux interdits dans notre esprit avant que d’autres ne nous les imposent ? La liberté sexuelle peut heurter ceux dont les traditions tournent autour des normes familiales. Un bouleversement considérable peut exister en raison de la disparition de repères moraux. Il peut alors être générée une perte de sens ou parfois simultanément un retour au traditionalisme brutal et souvent machiste. Il est de notre responsabilité de comprendre qu’un dogmatisme fanatique peut être lié à cette évolution libérale surtout lorsque nous y sommes favorables Reste la question du statut de la prostituée libre et indépendante qui a été abordée en 1970, il y a plus de quarante ans par le magistrat Pinot. A l’époque le président de la République semblait avoir été effaré par un tel rapport qui a disparu dans les oubliettes. Mais les temps ont changé. Le Président de la République aussi ?


Brève bibliographie sur le sujet

  • « Penser et repenser le terrorisme » (25 coauteurs) Coordinateur d’ouvrage jacques Delga Titre III « Terrorisme et sexualité » L Bibard « Une généalogie du terrorisme contemporain : sur le dévoiement des sexualités » Ph Vin « Relation entre sexe et terrorisme » B Lahaie « Le terrorisme en amour » B Cuzin « Violences sexuelles et terrorisme » Ma édit Eska 2015
  • « Le sexe et la loi » E Pierrat E La Musardine 2008 et 2015
  • « Prostitution Cent questions d’actualité » Etude de la législation. Examen de la nouvelle proposition de loi pénalisant le client. Observations critiques J Delga Edition Eska 2014
  • « De l’immoralité ou de la difficulté d’approche de la morale humaine » Œuvre collective. Direction d’ouvrage Jacques Delga (co auteur « La prostitution est-elle juridiquement immorale ? » L’Harmattan 2014
  • «Sexualité Libertinage Echangisme et Droit J Delga Editions L’Harmattan Décembre 2012
  • « Droit du sexe » F Caballero F Paris LJGJ 2010
  • « La liberté sexuelle et la loi » O de Tissot Paris Balland 1984
  • Le corps et l’argent, Ogien R Paris La Musardine, 2010.


Nb Un film sur le sujet est en préparation