Licenciement discriminatoire en raison du port d’une barbe (fr)

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Date: juillet 2020


Auteur Franc Muller – Avocat au barreau de Paris 



Les juridictions sociales se font l’écho de questions qui taraudent la société civile.

Après s’être prononcée il y a trois ans sur le port du voile islamique dans l’entreprise, la chambre sociale de la Cour de cassation vient de statuer sur les conditions dans lesquelles un employeur pouvait exprimer des exigences, limitatives, sur l’apparence de la barbe portée par un salarié.

Elle fait application à cette occasion des règles qu’elle avait élaborées dans cette première affaire, largement inspirées par le droit communautaire.

La Haute juridiction avait alors considéré que le règlement intérieur d’une entreprise ou une note de service soumise aux mêmes dispositions pouvait valablement comporter une clause de neutralité interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail.

Toutefois, l’interdiction faite à la salariée de porter le foulard islamique dans ses contacts avec les clients résultait seulement d’un ordre oral qui lui avait été donné et visait un signe religieux déterminé, ce dont il résultait l’existence d’une discrimination directement fondée sur les convictions religieuses (Cass. soc. 27 nov. 2017 n° 13-19855).

Étant précisé si la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 prévoit que les restrictions à la liberté religieuse doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir, répondre à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et proportionnées au but recherché, la volonté d’un employeur de tenir compte des souhaits d’un client de ne plus voir ses services assurés par une salariée portant un foulard islamique ne saurait être considérée comme une exigence professionnelle essentielle et déterminante.

La demande, réelle ou supposée, d’un client ne plus être en contact avec une salariée portant un voile islamique n’est donc pas, en tant que telle, une cause suffisante pour évincer l’intéressée.

Dans cette nouvelle affaire, un salarié avait été embauché en qualité de consultant en sécurité par une entreprise de conseil aux entreprises dans le domaine de l’information, de l’analyse et de la gestion des risques.

Spécialiste du proche et moyen orient, il avait été affecté immédiatement après son embauche au Yémen, pays connaissant une situation de guerre civile sur fond de querelle religieuse.

L’employeur l’avait licencié pour faute en invoquant entre autres motif le fait que le salarié portait une « barbe, taillée d’une manière volontairement très signifiante aux doubles plans religieux et politique qui ne pouvait être comprise que comme une provocation par [le] client et comme susceptible de compromettre la sécurité de son équipe et de ses collègues sur place ».violation d'une liberté fondamentale

Le salarié avait légitimement contesté le bienfondé de son licenciement, affirmant que ce motif était discriminatoire.

La Cour d’appel avait fait droit à sa demande et prononcé la nullité du licenciement, ordonnant sa réintégration dans l’entreprise.

L’employeur critiquait cette décision, reprochant notamment aux Juges du fond de ne pas avoir considéré que l’apparence du salarié pouvait mettre en péril sa sécurité et celle des personnes qu’il devait accompagner. ' Dans un arrêt sollicitant le Droit européen ainsi que les dispositions du Code du travail, la Chambre sociale de la Cour de cassation réaffirme que « l’employeur, investi de la mission de faire respecter au sein de la communauté de travail l’ensemble des libertés et droits fondamentaux de chaque salarié, peut prévoir dans le règlement intérieur de l’entreprise ou dans une note de service une clause de neutralité interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail, dès lors que cette clause générale et indifférenciée n’est appliquée qu’aux salariés se trouvant en contact avec les clients ».

Or, force était de constater que l’employeur se trouvait dans l’incapacité de produire un règlement intérieur ou une note de service stipulant cette exigence, de sorte que l’injonction qu’il avait faite au salarié de revenir à une apparence plus neutre caractérisait l’existence d’une discrimination directement fondée sur les convictions religieuses et politiques du salarié.

Elle rappelle que la notion d’exigence professionnelle essentielle et déterminante, visée par le texte européen, renvoie à une exigence objectivement dictée par la nature ou les conditions d’exercice de l’activité professionnelle en cause, et ne saurait couvrir des considérations subjectives, telles que la volonté de l’employeur de tenir compte des souhaits particuliers du client.

Elle souligne cependant que l’objectif légitime de sécurité du personnel et des clients de l’entreprise peut justifier en application de ces mêmes dispositions des restrictions aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives et, par suite, permet à l’employeur d’imposer aux salariés une apparence neutre lorsque celle-ci est rendue nécessaire afin de prévenir un danger objectif.

Cependant, l’employeur ne démontrait pas les risques de sécurité spécifiques liés au port de la barbe du salarié dans le cadre de l’exécution de sa mission au Yémen.

Son licenciement était donc, au moins pour partie, discriminatoire, et partant nul, dans la mesure où l’employeur considérait comme l’expression par le salarié de ses convictions politiques ou religieuses au travers du port de sa barbe (Cass. soc. 8 juill. 2020, n° 18-23743).

Cette décision fixe ainsi des limites à l’arbitraire de l’employeur, qui avait tout de même dans cette affaire reproché au salarié « de ne pas être revenu à une barbe d’apparence plus neutre, comparable à celle qu’il portait au moment de son embauche », s’érigeant ainsi en Juge de l’esthétisme et des convenances.