Licenciement pour faute grave pour des propos tenus sur la messagerie instantanée (fr)

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  Auteur: Me Franc Muller – Avocat en droit du travail, Paris [1]

Date: le 23 septembre 2020


On ne soulignera jamais assez que l’envoi de messages électroniques ainsi que l’utilisation d’une messagerie instantanée[2] à partir de l’ordinateur professionnel mis à la disposition par l’employeur exigent la plus grande prudence car ils n’échappent pas à son examen.

Quel salarié n’a jamais utilisé par commodité sa messagerie instantanée professionnelle (chat) ou envoyer un mail[3] à un collègue de travail dans lequel il exprimait tout le bien qu’il pensait de son responsable hiérarchique et/ou de son employeur ?

Il est souvent bien loin d’imaginer que cet échange ou cette correspondance pourrait précisément atterrir sur le bureau de celui dont il écrivait pis que pendre, lequel appréciant modérément les propos tenus à son égard aurait le mauvais goût de sanctionner leur auteur par un licenciement pour faute grave.

Ce risque est pourtant bien réel, et un salarié pêchant par excès de confiance et trahi par une secrétaire zélée vient de l’apprendre à ses dépens.

L’intéressé, directeur de site d’un grand groupe hôtelier, avait échangé régulièrement avec une collègue sur la messagerie instantanée de l’entreprise (Lynk) des propos envers ses collègues, supérieurs ou subordonnés, dans lesquels il s’exprimait sur un « ton grossier et méprisant » (cit.).

Ces échanges, aussi bien que les mails professionnels rédigés par le salarié à partir de sa messagerie professionnelle, étaient également reçus par sa secrétaire, à laquelle ils étaient transférés avec son accord, de sorte qu’elle pouvait y accéder ainsi qu’à son agenda.

On ignore quelles étaient les relations de ce salarié avec sa secrétaire, mais vraisemblablement celle-ci devait nourrir une certaine rancœur à son égard.

En effet, elle avait trouvé là matière à informer l’employeur du contenu de ces messages.Messagerie personnelle

L’employeur avait alors fait imprimer les messages litigieux par la secrétaire devant un huissier de justice, s’assurant ainsi de la licéité de leur obtention.

Il avait ensuite licencié le salarié pour faute grave lui reprochant, outre un désaccord avec la stratégie de l’entreprise, « de montrer l’image contrefaite d’un supérieur irrespectueux, cynique et hypocrite, détaché de l’intérêt de son personnel et de l’entreprise », …« dont les propos sont exprimés sur un ton grossier et méprisant envers ses collègues, supérieurs ou subordonnés, critiqués à titre personnel et en dehors de toute considération de travail ».

L’intéressé contestait son licenciement devant la juridiction prud’homale, soutenant à titre principal qu’il avait droit, même au temps et au lieu de travail, à l’intimité de sa vie privée et qu’en prenant ainsi connaissance de ses messages électroniques, l’employeur avait violé le secret des correspondances.

L’argument n’a guère prospéré devant les Juges du fond, pas davantage devant la Chambre sociale de la Cour de cassation, qui considèrent à l’unisson que le licenciement était justifié.

La Haute juridiction rappelle que les messages électroniques litigieux, échangés à l’aide de l’outil informatique mis à la disposition du salarié par l’employeur pour les besoins de son travail, provenaient d’une boîte à lettre électronique professionnelle et qu’ils n’avaient pas été identifiés comme personnels, ce dont il résultait que l’employeur pouvait en prendre connaissance.

Elle ajoute que « les messages échangés avec une collègue, automatiquement transférés à l’assistante du salarié avec l’accord de ce dernier, comportaient d’une part des propos insultants et dégradants envers des supérieurs et subordonnés, et d’autre part de nombreuses critiques sur l’organisation, la stratégie et les méthodes de l’entreprise, ces messages, qui étaient en rapport avec l’activité professionnelle, ne revêtaient pas un caractère privé, de sortequ’ils pouvaient être invoqués au soutien d’une procédure disciplinaire contre le salarié dont le comportement déloyal avait été relevé» (Cass. Soc. 9 sept. 2020 n° 18-20489[4]).

Cette position est dans la droite ligne de sa jurisprudence antérieure.

La Chambre sociale énonce en effet avec constance que « les courriels adressés ou reçus par le salarié à l’aide de l’outil informatique mis à sa disposition par l’employeur pour les besoins de son travail sont présumés avoir un caractère professionnel en sorte que l’employeur est en droit de les ouvrir hors la présence de l’intéressé, sauf s’ils sont identifiés comme personnels » (Cass. Soc. 26 juin 2012 n° 11-15310[5]).

L’employeur peut donc librement accéder à la messagerie électronique professionnelle des salariés et examiner les messages qu’ils envoient, quand bien même ils concerneraient leur vie privée et seraient envoyés à leur cercle familial ou à des amis.

C’est ainsi que la Haute juridiction n’avait vu aucun obstacle à ce que la responsable des ressources humaines d’une entreprise examine les mails d’une salariée pendant qu’elle était en arrêt maladie, et procède à son licenciement pour faute grave en raison des propos jugés inadmissibles qu’elle y avait découverts (Cass. Soc. 3 avril 2019 n° 17-20953[6]).

La seule manière pour le salarié de faire échapper un message électronique, envoyé à partir de son ordinateur professionnel, au contrôle de l’employeur est de l’identifier comme étant personnel.

Pour ce faire, il est nécessaire d’indiquer expressément en objet le mot « personnel » en toutes lettres.

La même précaution devra être appliquée pour les fichiers personnels stockés sur l’ordinateur professionnel, étant précisé que l’indication du prénom de l’utilisateur ou ses initiales sont insuffisants[7] à considérer qu’ils présentent un caractère personnel (Cass. Soc. 21 oct. 2009 n° 07-43877[8]).